Maladies professionnelles : les conditions du tableau s’apprécient à la date de la déclaration et non à la date de la première constatation médicale

Résulte des dispositions combinées des articles L. 461-1 et L. 461-2 du code de la sécurité sociale que, sauf dispositions contraires, c’est à la date de la déclaration de la maladie professionnelle accompagnée du certificat médical initial que doivent s’apprécier les conditions d’un tableau de maladies professionnelles, dont celle tenant à la durée d’exposition au risque prévue dans certains cas.

Les tableaux de maladies professionnelles renferment parfois des délais de prise en charge relativement brefs, d’autres fois – comme en l’espèce – des conditions cumulatives plutôt strictes. La Cour de cassation prescrit en conséquence d’apprécier avec bienveillance l’exigence d’une première constatation médicale à l’intérieur du délai de prise en charge et de ne pas se référer aux seuls certificats médicaux. L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence favorable au salarié-victime.

En l’espèce, une salariée « mécanicienne de confection » déclare en juin 2018 une pathologie de l’épaule (rupture de la coiffe des rotateurs) que la caisse primaire d’assurance maladie prend en charge en mai 2019 au titre d’un tableau des maladies professionnelles (Tableau n° 57, « Affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail »). Estimant que l’une des conditions tenant au délai d’exposition au risque renseigné dans le tableau idoine (1 an sous réserve d’une exposition ex ante d’une année) n’est pas satisfaite, l’employeur conteste l’opposabilité de cette décision. Saisie, la juridiction de sécurité sociale ne fait pas la même analyse. Le pourvoi en cassation ne convainc pas plus la deuxième chambre civile. Il est décidé que la décision de prise en charge litigieuse est opposable à l’employeur.

Au soutien de son action, l’employeur renseigne une première constatation médicale fixée au mois de mars 2015 ; il ajoute que la salariée a exercé l’activité incriminée moins de sept mois avant ladite constatation. Le tableau n° 57 conditionnant la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie à une exposition ex ante d’une année, une conclusion s’imposerait alors : les conditions de l’article L. 461-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale ne sont pas remplies ; partant, la décision de prise en charge est inopposable. Les enjeux de l’action engagée par ce dernier sont loin d’être neutres : 1. prévenir une majoration de son taux de cotisation (sous réserve qu’il soit concerné par la modulation, v. not. sur ce point, J. Bourdoiseau, Relations triangulaires, indépendance des rapports, imputation des coûts et tarification, BJT juin 2024. 51) ; 2. se prémunir d’une action éventuelle en reconnaissance du caractère inexcusable de sa faute ; 3. supprimer, voire réduire, l’imputation des coûts du risque professionnel sur les charges de la structure.

Notion de délai de prise en charge et enjeux – Rappel !

L’appréciation de la condition sous étude est une source de contentieux car son maniement peut prêter à confusion. Le délai de prise en charge désigne la période durant laquelle la maladie doit au plus tard se manifester tandis que le salarié a cessé d’être exposé au risque. En l’absence de ce dispositif d’extension de la présomption d’imputabilité – extension de garantie juridique et sociale en quelque sorte – l’option serait à deux branches exclusives l’une de l’autre. Soit la maladie est contemporaine de l’exposition au risque et la présomption d’imputabilité joue de plein droit. Soit la maladie se déclare alors que l’exposition a cessé et la garantie légale n’a pas vocation à jouer. Une telle option aurait sans aucun doute le mérite de la simplicité. La binarité est pourtant trompeuse dans le cas particulier car il faut encore intégrer une variable : la période ou le délai d’incubation de la maladie, qui est un intervalle entre le moment où une personne est exposée à un agent pathogène et celui d’apparition des premiers signes ou symptômes cliniques de ladite maladie.

Ceci étant rappelé, l’affaire se complique pour une bonne raison : le tableau n° 57 renferme, au titre du délai de prise en charge, deux conditions cumulatives. Non seulement, la maladie doit avoir été constatée dans l’année qui suit l’arrêt de l’exposition au risque mais il faut encore que la salariée ait été exposée une année durant, sans quoi la présomption d’imputabilité de l’article L. 461, alinéa 2, du code de la sécurité sociale ne joue pas. Telle a été la position prise par les tutelles après que le conseil national d’orientation des conditions de travail, compétent en la matière (C. trav., art. L. 4641-1 et R. 4641-1 s.), a rendu son avis. Ce n’est pas à dire pour autant que le caractère professionnel de la maladie ne peut pas être du tout reconnu. Mais le parcours à visée indemnitaire est plus compliqué car il importe à la victime, pour saisir éventuellement un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, de rapporter la preuve d’un dommage corporel important et, chose faite, de prouver un lien de causalité entre la maladie et son travail habituel (CSS, art. L. 461-1, al. 3 et 4, et R. 461-8).

En l’espèce, entre le moment où la salariée a fait constater médicalement des souffrances et le moment où elle a formellement déclaré la maladie à la caisse aux fins de prise en charge au titre du livre 4, une période de quatre années s’est écoulée pendant laquelle la salariée a d’abord travaillé en CDD (juin-déc. 2014) puis en CDI à compter du mois d’avril 2015. Sur la période, deux dates retiennent l’attention : la date de la première constatation médicale (mars 2015) et la date de la déclaration de la maladie (juin 2018).

La question est posée de savoir s’il faut apprécier la réunion des conditions d’un tableau de maladie professionnelle à l’aune de la première date ou bien de la seconde ?

Appréciation de la réunion des conditions d’un tableau de maladie professionnel – Date ?

Si l’on prend en considération la date de la constatation médicale, la salariée ne répond pas à la condition du tableau. C’est la thèse de l’employeur. Si l’on prend celle de la déclaration, la condition peut éventuellement être considérée comme satisfaite et les prestations sociales servies ipso facto majorées (CSS, art. R. 433-1, comp. CSS, art. R. 323-1 s.) en comparaison avec celles accordées par la branche maladie. C’est l’option choisie par les juges successivement saisis.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation, qui s’inscrit dans un courant jurisprudentiel favorable aux salariés victimes, ne convainc pas pleinement en raison, à tout le moins, de sa rédaction.

Relativement à l’exigence de première constatation médicale de la maladie à l’intérieur du délai de prise en charge, on sait la Cour de cassation relativement bienveillante, qui prescrit de ne pas se référer seulement aux certificats médicaux (v. par ex., Civ. 2e, 3 avr. 2014, n° 13-14.418, inédit ; v. égal. en ce sens, P. Morvan, Droit de la protection sociale, 11e éd., LexisNexis, 2023, n° 140, p. 132). Il faut bien convenir que les dates des examens cliniques ne sont pas toujours précises et qu’il n’est pas acquis que la victime ait été informée à cette occasion du caractère professionnel de sa maladie. Soucieuse de protéger le salarié-victime tandis que certains délais de prise en charge sont brefs, la Cour de cassation considère que, « sauf dispositions contraires, c’est à la date de la déclaration de la maladie professionnelle accompagnée du certificat médical initial que doivent s’apprécier les conditions d’un tableau de maladies professionnelles ».

L’affirmation, aussi limpide soit-elle, n’est pas de nature à emporter pleinement la conviction en l’espèce. Car de deux choses l’une : soit le certificat médical initial ne renseigne aucun lien entre le travail et la maladie et l’on comprend que les juges tirant enseignement d’une constatation médicale faite ultérieurement, la condition d’une année d’exposition a fini par être remplie – c’est semble-t-il en ce sens que la cour d’appel s’est prononcée – ; soit ledit certificat médical ne laisse aucun doute sur l’imputabilité de la rupture de la coiffe des rotateurs et alors la décision rendue est contra legem car la victime n’a été exposée que sept mois durant et non une année entière.

Qu’il faille imputer au caractère répétitif des gestes professionnels de la confection les blessures graves à l’épaule, cela ne prête pas à discussion. Qu’il s’agisse de condamner le dernier employeur en date – car c’est ce dont il est question en fin de compte –, cela est discutable à hauteur de principe. C’est que ce dernier, en vertu du principe de responsabilité, n’est tenu à réparation que parce qu’il a contribué à la production du dommage et dans la mesure seulement où il l’a créé. Dans le cas particulier, au jour de la première constatation médicale, la salariée ne travaille que depuis sept mois pour son employeur. Le mal s’origine très vraisemblablement dans des gestes répétitifs faits au service d’un précédent employeur et/ou d’une prédisposition pathologique. C’est le sens du combat qui a été entamé par l’entreprise.

La solution participe donc d’une « responsabilité solidaire de métier », qui ne dit pas son nom, dont on peut discuter la pertinence selon les modalités de tarification des risques professionnels.

Solidarité de métier et tarification des risques professionnels – Doute

Si l’employeur concerné est une petite entreprise soumise à la tarification collective de son risque professionnel, qu’elle ne souffre donc pas en principe de majoration de son taux de cotisation AT-MP consécutivement à la survenance d’un accident du travail, il peut être soutenu que la solution se recommande d’un certain pragmatisme. Le dommage corporel ayant été causé par l’activité professionnelle, il est juste que la branche AT-MP couvre le sinistre car il est utile d’améliorer les revenus de remplacement. En revanche, si c’est une tarification individuelle qui a vocation à s’appliquer, alors la solution est trop sévère : de nombreuses entreprises ne sont pas ou mal assurées contre une majoration des charges sociales et/ou une condamnation pour faute inexcusable (qui est un risque fort aussitôt que le caractère professionnel d’un accident ou d’une maladie est reconnu).

Dans tous les cas, l’employeur est fondé à réclamer un partage de responsabilité à un tiers coauteur du dommage pour alléger, le moment venu, l’impact financier du risque professionnel et obtenir notamment le remboursement des charges sociales patronales afférentes au salaire qu’il a dû verser à raison de l’incapacité de son collaborateur.

 

Civ. 2e, 26 juin 2025, F-B, n° 23-15.112

par Julien Bourdoiseau, Professeur des Universités et avocat (assurance/distribution – santé – sécurité sociale)

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