Mandat d’arrêt européen : la priorité à la confiance mutuelle supposant la remise au détriment des droits fondamentaux

La Cour de justice vient d’apporter, une nouvelle fois, des précisions quant à l’application de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen. Si elle se montre toujours plus sévère quant à l’appréciation des conditions dans lesquelles il est possible de refuser son exécution en raison d’une atteinte à un droit fondamental allégué par l’autorité judiciaire d’exécution, elle apprécie, à l’inverse, très souplement la possibilité de maintenir le mandat d’arrêt européen dont la mise en œuvre a été refusée une première fois.

Il est essentiel de ne pas perdre de vue l’objectif du législateur de l’Union européenne : permettre la circulation des décisions judiciaires dans un climat de confiance mutuelle entre les États membres. Ce principe n’a d’ailleurs jamais quitté la Cour de justice lorsqu’elle interprète le droit de l’Union, parfois au détriment des droits fondamentaux. À ce titre, l’arrêt rendu le 29 juillet 2024 illustre ce difficile équilibre quant à la mise en œuvre du premier instrument de reconnaissance mutuelle adopté en matière pénale : la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen (ci-après MAE).

Le 17 décembre 2020, une Cour d’appel roumaine a émis un MAE contre un individu se trouvant en France, en vue de l’exécution d’une peine d’emprisonnement à la suite d’une décision de condamnation devenue définitive le jour même (§§ 12 et 13). Le 28 juin 2022, il a donc été arrêté par l’État français, mais la Cour d’appel de Paris a refusé d’exécuter le MAE (§ 14) face à l’existence d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, consacré par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art. 47, al. 2). Afin d’en arriver à cette conclusion (§ 15), la juridiction de l’État membre d’exécution a appliqué le mode d’emploi dégagé par la Cour de justice depuis 2016, et inspiré par la Cour européenne (v. par ex., CEDH 28 fevr. 2008, Saadi c/ Italie, n° 37201/06, § 124, AJDA 2008. 978, chron. J.-F. Flauss ; ibid. 1929, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2008. 692, chron. J.-P. Marguénaud et D. Roets ), quant à la mise en œuvre de l’article 1er, § 3, de la décision-cadre, visant à protéger les droits fondamentaux, dans le cadre du MAE (CJUE, 5 avr. 2016, Aranyosi et Caldararu, aff. C-404/15 et C-659/15, Dalloz actualité, 9 mai 2016, obs. N. Devouèze ; AJDA 2016. 1059, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2016. 786 ; AJ pénal 2016. 395, obs. M.-E. Boursier ; RTD eur. 2016. 793, obs. M. Benlolo Carabot ; ibid. 2017. 360, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 363, obs. F. Benoît-Rohmer ; 17 déc. 2020, Openbaar Ministerie, aff. C-354/20 et C-412/20, D. 2021. 15 ; RTD eur. 2021. 969, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 987, obs. F. Benoît-Rohmer ; ou plus réc., CJUE, 31 janv. 2023, Puig Gordi e. a., aff. C-158-21, Dalloz actualité, 22 févr. 2023, obs. B. Nicaud ; D. 2023. 240 ). Concrètement, pour démontrer, à titre exceptionnel, l’existence d’un risque de violation des droits fondamentaux reconnus par le droit de l’Union permettant à l’autorité judiciaire de s’abstenir d’exécuter l’instrument, un examen en deux temps doit être mis en œuvre. Le premier vise à identifier des défaillances systémiques et généralisées lesquelles reposent sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés relatifs au fonctionnement du système juridictionnel de l’État membre d’émission ; le second exige que ces défaillances aient des conséquences sur la situation individuelle de la personne recherchée (§ 59). En d’autres termes, un examen de la situation in abstracto doit être confirmé in concreto, afin de dépasser les apparences. Entre-temps, l’individu a quitté le territoire de la République pour se rendre à Malte. Partant, les autorités judiciaires roumaines ont maintenu le MAE et l’individu dont la remise a été demandée a fait l’objet d’une arrestation dans ce nouvel État.

À ce titre, sept questions préjudicielles ont été posées, par la Cour d’appel de Brasov, afin que les juges luxembourgeois interprètent essentiellement des dispositions de la décision-cadre relatives au MAE (§ 18). Sans suivre l’ordre des questions, lequel apparaît totalement désorganisé, il est préférable de les identifier en favorisant un découpage chronologique.

En premier lieu, certaines portent sur l’exécution du MAE par l’autorité judiciaire française. La Cour de justice devait étudier si les éléments qu’elle avançait – une décision de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol (CCF ; § 56) et des irrégularités en lien avec la prestation de serment des magistrats roumains – permettaient de justifier le refus d’exécution du MAE au regard de la présence d’un risque d’atteinte à un droit fondamental au procès équitable (§ 71).

En second lieu, de nombreuses questions étaient liées à l’application du MAE par les autorités judiciaires maltaises, saisies dans un second temps. Concrètement, l’une d’elles portait sur l’exécution du MAE après un premier refus pour déterminer si elles devaient, de surcroît, rejeter sa mise en œuvre au seul motif qu’il n’aurait pas été exécuté, initialement, au regard d’un risque d’atteinte au droit fondamental à un procès équitable telle que protégée par la Charte (art. 47 § 2 ; § 34). La juridiction de renvoi se demandait, également, si la saisine de la Cour de justice était obligatoire avant de décider de retirer ou de maintenir ledit MAE (§ 62). Elle s’interrogeait, en outre, tant sur le rôle de l’autorité d’émission (§ 89) que de la Commission européenne dans le cadre de cette procédure transnationale (§ 97). Elle devait analyser, enfin, si l’autorité judiciaire maltaise pouvait refuser la mise en œuvre de l’instrument au regard de la présence d’un risque de traitements inhumains ou dégradants sans avoir préalablement exigé de l’autorité judiciaire d’émission des informations complémentaires (§ 100) et en appliquant un standard plus élevé en matière de conditions de détentions que celui envisagé par la Charte des droits fondamentaux (§ 100 et art. 4 de la Charte).

Dans le cadre de la procédure préjudicielle d’urgence (§ 29), au regard de la privation de liberté de la personne visée par le MAE, la Cour de justice a répondu aux diverses interrogations en privilégiant systématiquement la remise au détriment des droits fondamentaux.

Concernant le refus d’exécution du MAE par l’autorité judiciaire française, les éléments avancés ne justifient pas suffisamment, selon elle, le risque d’atteinte au droit fondamental à un procès équitable (§§ 61 et 88). Par ailleurs, face au maintien du MAE après un refus, la nouvelle autorité d’exécution n’est pas obligée de refuser la remise, même si la première autorité judiciaire saisie l’a fait. Toutefois, lors de son propre examen des motifs de non-exécution, elle doit prendre en compte les éléments ayant conduit la première autorité à refuser la remise (§ 55). De surcroît, l’autorité judiciaire d’émission n’est pas tenue de saisir la Cour d’une question préjudicielle avant de décider de retirer ou de maintenir le MAE, sauf si le droit interne n’ouvre aucun recours juridictionnel à l’égard de cette décision (§ 69). Elle ne peut pas, en outre, participer à la procédure devant l’autorité d’exécution en l’absence de droit (§ 96) et la question de l’intervention de la Commission après un refus d’exécution est considérée comme irrecevable (§ 99). Enfin, si l’autorité judiciaire maltaise refuse l’exécution du MAE en raison d’un risque de traitements inhumains ou dégradants, elle doit obligatoirement en amont demander des informations complémentaires à l’autorité d’émission (§1 22), sans appliquer un standard plus élevé que celui garanti par la Charte (§ 122).

En somme, pour en arriver à ces conclusions, la Cour de justice démontre que le refus d’exécution du MAE par l’autorité judiciaire française était doublement injustifié et que, face au maintien du MAE, le nouveau refus d’exécution par l’autorité judiciaire maltaise apparaissait, également, injustifié.

Le refus d’exécution du MAE par l’autorité judiciaire française doublement injustifié

La Cour de justice apparaît sévère quant aux éléments que peut mettre en exergue l’autorité judiciaire d’exécution pour refuser d’exécuter le MAE sur le fondement d’une atteinte à un droit fondamental. À cette fin, elle va considérer que certains éléments sont insuffisants, voire, pour l’un d’eux, inapte à justifier une atteinte au droit à un procès équitable.

Les éléments insuffisants pour justifier une atteinte au droit à un procès équitable

L’autorité judiciaire française visait notamment, pour justifier le refus d’exécution du MAE, une décision de la CCF qui, à la suite d’une requête de la personne condamnée, avait mis en exergue « de sérieuses préoccupations quant à l’existence d’éléments politiques dans le contexte général et quant au respect des principes des droits fondamentaux » (§ 16) dans la procédure pénale roumaine ayant abouti à sa condamnation. Partant, la CCF avait donc décidé d’effacer les informations la concernant au sein des fichiers d’Interpol. Pour autant, selon les juges luxembourgeois cette décision ne peut pas « justifier, à elle seule, que l’autorité judiciaire d’exécution refuse d’exécuter ce MAE » (§ 61). Afin d’en arriver à cette conclusion, elle rappelle, en répondant à la troisième question préjudicielle, sa « jurisprudence bien établie » (§ 37) ayant fourni le mode d’emploi permettant de démontrer l’existence d’un risque de violation des droits fondamentaux, reconnus par le droit de l’Union, pour s’abstenir, à titre exceptionnel, de donner suite à un MAE. Si, selon la Cour de justice, la preuve d’éléments objectifs ne posait pas de difficultés, il en allait différemment concernant la seconde étape du contrôle portant sur l’analyse concrète et précise de la situation individuelle de la personne recherchée (§ 59). Dès lors, elle considère qu’une décision de la CCF est susceptible de faire partie des éléments pouvant être pris en compte, « sans pour autant que l’autorité judiciaire d’exécution soit liée par celle-ci » (§ 60). Elle peut donc la viser, mais il ne s’agit que d’un indice parmi d’autres. En réalité, la Cour de justice avait déjà rendu une solution similaire en présence, cette fois, d’un rapport du groupe de travail sur la détention (CJUE 31 janv. 2023, aff. C-158-21, préc., §§ 126 s.). Ce dernier pouvait lui aussi être mis en lumière pour justifier le refus, mais pas exclusivement.

De surcroît, elle va aller dans le même sens, en utilisant le même mode d’emploi jurisprudentiel en répondant à la deuxième question préjudicielle (v. infra). Ainsi, concernant l’incertitude relative au lieu de conservation des procès-verbaux de prestation de serment ou l’impossibilité de les localiser « notamment si plusieurs années se sont écoulées depuis la prestation de serment du juge concerné, ne sont pas, en elles-mêmes et à défaut d’autres indices pertinents, susceptibles de démontrer que les juges concernés ont exercé leurs fonctions sans jamais avoir prêté le serment exigé » (§ 86). Pour contrebalancer cette difficulté, elle impose à la juridiction de renvoi de vérifier s’il existe des voies de droit efficaces dans le système judiciaire roumain permettant d’invoquer une éventuelle omission de prestation de serment par les juges ayant prononcé un jugement déterminé et d’obtenir ainsi l’annulation de ce jugement (§ 87). Pour autant, la Cour de justice de l’Union va plus loin en considérant, avec sévérité, que la seconde irrégularité liée à la prestation de serment des juges est, quant à elle, inapte à justifier une atteinte au droit à un procès équitable.

L’élément inapte à justifier une atteinte au droit à un procès équitable

L’État d’exécution français vise une seconde irrégularité au sujet d’un autre magistrat concerné par l’affaire. À son égard, il n’existait qu’un seul procès-verbal de prestation de serment en tant que procureur, et non en tant que juge (§ 70). L’argumentation utilisée par la Cour de justice est commune à l’analyse de la première irrégularité soulevée par l’État français en lien avec la prestation de serment des magistrats roumains et relève toujours de la réponse à la deuxième question préjudicielle posée (v. supra). À cette fin, elle rappelle à nouveau sa jurisprudence afin d’analyser si ce motif peut justifier le refus d’exécution du MAE en raison d’un risque de violation du droit fondamental au droit équitable (§§ 75 s.). Elle relève que parmi les exigences inhérentes à ce dernier (art. 47, al. 2, de la Charte), « figure le droit, pour toute personne, à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi » (§ 80). Dès lors, le processus de nomination des juges, mais également leur condition d’entrée en fonction constituent des garanties statutaires. Pour autant, elle considère, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne, que « toute irrégularité intervenant au cours de la procédure de nomination d’un juge, ou à l’occasion de son entrée en fonction n’est pas de nature à jeter un doute sur l’indépendance et l’impartialité » d’une formation de jugement (§ 82, CJUE 9 mars 2022, Getin Noble Bank, aff. C-132/20, § 123, AJDA 2022. 1080, chron. P. Bonneville, C. Gänser et A. Iljic ; § 83, CEDH 1er déc. 2020, Gudmundur Andri Astradsson c/ Islande, n° 26374/18). Ainsi, selon elle, toujours dans le cadre de la seconde étape du contrôle, l’absence de nouvelle prestation de serment d’un procureur devenu juge ne constitue pas une défaillance systémique ou généralisée en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire (§ 84), ces deux statuts étant assimilés (§ 85). L’exigence de la Cour de justice quant aux motifs de refus évoqués sur le fondement de la violation des droits fondamentaux implique le maintien du MAE qui ne sera toujours pas exécuté par l’autorité judiciaire maltaise, au regard, une nouvelle fois, d’une argumentation considérée comme injustifiée par les juges luxembourgeois.

Le nouveau refus d’exécution, face au maintien du MAE, par l’autorité judiciaire maltaise injustifié

La Cour de justice apprécie souplement la question du maintien du MAE, et rejette le motif de refus, lié au risque de traitements inhumains ou dégradants, soulevé par la seconde autorité judiciaire d’exécution, lequel était insuffisamment justifié, en l’absence d’informations complémentaires fournies par l’autorité judiciaire d’émission.

Le maintien du MAE apprécié souplement

Afin de savoir si le MAE pouvait être maintenu, à l’aune de la première question préjudicielle, la Cour de justice s’interroge sur la nature de la décision du refus d’exécution de l’instrument par l’autorité judiciaire française. À cet égard, même si elle est revêtue de l’autorité de la chose jugée à la lumière du droit national, elle ne peut pas être assimilée à un « jugement définitif », au regard d’une jurisprudence ancienne (CJUE 16 nov. 2010, Mantello, aff. C-261/09, § 45, Dalloz actualité, 2 déc. 2010, obs. C. Girault ; AJDA 2011. 264, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; AJ pénal 2011. 197, obs. L. Ascensi ; RTD eur. 2011. 647, obs. P. Beauvais ). Or un tel jugement est seul susceptible de faire obstacle à l’exercice de poursuites pénales, pour les mêmes faits et contre la même personne (§ 40). Comme une demande de remise n’implique pas l’engagement de poursuites pénales par l’État d’exécution et ne comporte pas d’appréciation sur le fond de l’affaire (§ 42), le MAE pouvait être maintenu. En outre, elle insiste en énonçant qu’aucune disposition de la décision-cadre n’exclut la possibilité, pour l’autorité d’émission, de maintenir la demande de remise lorsque l’autorité d’exécution d’un État membre a refusé de l’exécuter (§ 48). Par une interprétation a contrario, elle confirme donc le maintien de l’instrument en soulignant sa finalité : « conduire la procédure de remise d’une personne recherchée à son terme et ainsi de favoriser la réalisation de l’objectif de lutte contre l’impunité poursuivi par cette décision-cadre » (§ 51). Pour ce faire, elle conditionne le maintien du mandat à son caractère proportionné, mais surtout à la « propre appréciation » de l’autorité d’émission (§ 55). En l’absence de changement de circonstance, le MAE doit être retiré si elle juge légitime le risque de violation d’un droit fondamental, relevé par l’autorité d’exécution. À l’inverse, elle le conservera. En réalité, l’autorité d’émission n’aurait-elle pas tout intérêt à maintenir l’instrument pour se voir remettre la personne recherchée ? Cette dépendance exclusive à son appréciation souveraine vide, en réalité, de sa substance le premier refus d’exécution et amplifie corrélativement la défiance au sein de l’Union européenne.

Dans l’hypothèse où le maintien du MAE a pour conséquence l’arrestation de la personne, la nouvelle autorité d’exécution doit tenir compte de la nature et de la gravité de l’infraction pour laquelle la personne recherchée est poursuivie, des incidences sur cette personne et des perspectives d’exécution de l’instrument (§ 54). De surcroît, en répondant à la quatrième question préjudicielle, la Cour de justice affirme que la décision de maintenir ou de retirer le MAE ne nécessite pas en amont sa saisine, à moins que ladite décision soit insusceptible de recours juridictionnel en droit interne, auquel cas l’autorité d’exécution demeure, en principe, tenue de la saisir (§ 69 ; TFUE, art. 267).

Plus largement, en répondant à la cinquième interrogation, les juges luxembourgeois précisent que l’autorité judiciaire d’émission d’un MAE ne dispose pas du droit de participer, en tant que partie, à la procédure relative à l’exécution de ce MAE devant l’autorité judiciaire d’exécution, pour assurer le respect des principes de reconnaissance mutuelle et de coopération loyale qui sous-tendent le fonctionnement du mécanisme du MAE (§ 96).

S’il est maintenu, il ne sera pas forcément exécuté par la seconde autorité judiciaire, laquelle dénonce le risque de traitements inhumains ou dégradants dans le cadre de la détention future de l’individu recherché, mais ce motif sera à nouveau considéré comme insuffisamment justifié par la Cour de justice.

Le risque de traitements inhumains ou dégradants insuffisamment justifié

Dès lors, si la remise conduit à un risque réel, lors de la détention, de traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte, l’autorité judiciaire d’exécution doit reporter la mise en œuvre du MAE, sans toutefois l’abandonner ; dans le cas contraire, il doit être exécuté (§ 108). Pour prouver une telle atteinte, l’examen en deux temps posé par la Cour de justice s’impose à nouveau : l’analyse du risque réel in abstracto doit précéder la détermination de son existence in concreto (§§ 101 et 105). Pour cette seconde étape, elle rappelle que l’autorité judiciaire d’exécution doit « demander à l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission la fourniture en urgence de toute information complémentaire nécessaire en ce qui concerne les conditions dans lesquelles il est envisagé de détenir la personne concernée dans cet État membre », comme l’envisage la décision-cadre relative au MAE (art. 15, § 2, de la décision-cadre 2002/584 ; § 106). Or, en l’espèce, si l’autorité judiciaire d’émission a fourni des informations sur les conditions de détention de l’individu en cas de remise aux autorités roumaines, l’autorité d’exécution maltaise a refusé la remise de celui-ci en se fondant sur des informations consultables sur le site internet de l’administration pénitentiaire roumaine (§§ 20 et 113) – témoignant, en réalité, d’une certaine défiance mutuelle. En somme, l’autorité judiciaire d’exécution ne peut, en effet, écarter les informations fournies par les autorités judiciaires roumaines au motif qu’elle aurait elle-même tiré les informations de sources publiquement accessibles, sans leur demander des informations et des explications complémentaires, toujours à la lumière de la décision-cadre (§ 116).

De surcroît, la Cour de justice va plus loin, en faisant écho au célèbre arrêt Melloni (CJUE 26 fevr. 2013, aff. C-399/11, Dalloz actualité, 22 mars 2013, obs. N. Devouèze ; AJDA 2013. 1154, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2013. 711 ; AJ pénal 2013. 350, obs. J. Lelieur ; Constitutions 2013. 184, obs. A. Levade ; RTD eur. 2013. 267, note D. Ritleng ; ibid. 812, chron. P. Beauvais ; ibid. 2015. 166, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 235, obs. L. d’Ambrosio et D. Vozza ; Rev. UE 2015. 277, étude D. Ritleng ; ibid. 562, étude S. Van Raepenbusch ) sans pour autant le citer, préférant viser des arrêts plus récents (CJUE 15 oct. 2019, Dorobantu, aff. C-128/18, § 47, AJDA 2020. 398, chron. P. Bonneville, C. Gänser et S. Markarian ; D. 2019. 1995 ; ibid. 2020. 1643, obs. J. Pradel ; RTD eur. 2020. 312, obs. F. Benoît-Rohmer ). Dès lors, « les États membres peuvent être tenus de présumer le respect des droits fondamentaux par les autres États membres, de telle sorte qu’il ne leur est pas possible, notamment, d’exiger d’un autre État membre un niveau de protection national des droits fondamentaux plus élevé que celui assuré par le droit de l’Union » (§ 119), pour ne pas compromettre l’effectivité de la décision-cadre. Par conséquent, l’autorité judiciaire d’exécution maltaise ne peut pas refuser la remise « au seul motif que l’autorité judiciaire d’émission ne lui a pas communiqué un "plan précis de l’exécution de la peine" ou des "critères précis pour établir un régime d’exécution déterminé" » (§ 120).

En somme, la Cour de justice se montre particulièrement stricte quant à l’application des motifs de refus liés à une atteinte aux droits fondamentaux, donnant l’impression d’être guidée par une conception excessive de la remise. L’autorité judiciaire maltaise n’avait d’autre choix que de revoir sa position. Cependant, cette dernière, à juste titre, a de nouveau rejeté l’exécution du MAE, en invoquant les mêmes motifs, dans un jugement particulièrement motivé en date du 12 août 2024 (Court of Criminal Appeal, n° 395/2024). Cette décision mérite d’être saluée. Même si, à première vue, elle semble constituer une franche résistance face à la solution rendue par la Cour de justice, les juges maltais ont en réalité, en mai 2024, demandé des informations complémentaires à l’autorité judiciaire roumaine, lesquelles ne les ont toujours pas convaincus. Ils estiment, en effet, qu’il existe toujours un risque réel de traitements inhumains ou dégradants pour la personne recherchée. Il est donc temps pour la Roumanie de se résigner à retirer le MAE litigieux, à moins que les autorités judiciaires de ce pays ne persistent à formuler une nouvelle question préjudicielle après deux refus d’exécution par deux États membres différents.

 

CJUE 29 juill. 2024, aff. C-318/24

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