Mandat d’arrêt européen : quand la chambre criminelle surinterprète le droit de l’Union européenne
Lors de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, si un motif de refus facultatif n’est pas soulevé explicitement par la personne recherchée au sein d’un mémoire, la demande d’information, que peut faire la chambre de l’instruction à l’État membre d’émission avant de prendre sa décision pour vérifier si les conditions liées à sa mise en œuvre sont réunies, n’a pas lieu d’être. Ces exigences dépassent pourtant les prévisions du droit de l’Union.
 
                            Le contentieux lié à l’exécution du mandat d’arrêt européen (ci-après MAE) demeure riche. La chambre criminelle s’est d’ailleurs prononcée durant l’été, dans un arrêt en date du 7 août 2024, sur les conditions liées à l’application d’un motif de refus facultatif.
En l’espèce, les autorités italiennes ont émis un MAE, le 12 octobre 2023, à l’encontre d’un individu de nationalité roumaine, aux fins d’exécution d’une peine de deux ans et trois mois d’emprisonnement pour des faits de vol aggravé, commis entre mai et juillet 2013 (§ 12).
La chambre de l’instruction a ordonné, le 15 mars 2024, un supplément d’information aux autorités judiciaires italiennes, avant de se prononcer sur le motif de refus facultatif prévu à l’article 695-24, 2°, du code de procédure pénale, lequel nécessite la réunion de deux conditions cumulatives. D’une part, la personne recherchée doit justifier qu’elle est de nationalité française, a établi sa résidence sur le territoire national ou y demeure. D’autre part, la décision de condamnation doit être exécutoire sur le territoire français à l’aune de l’article 728-31 du code de procédure pénale. Afin de vérifier cette seconde exigence, la chambre de l’instruction avait ordonné un supplément d’information aux autorités judiciaires d’émission. Or le procureur général près la Cour d’appel de Rennes a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de ladite chambre. Selon lui, comme l’intéressé ne s’était pas prévalu du motif de refus facultatif, il n’était pas nécessaire qu’un tel complément d’information soit adressé aux autorités judiciaires de l’État d’émission (§ 6).
La chambre criminelle devait donc préciser les conditions entourant l’application d’un motif de refus facultatif lié à l’exécution d’un MAE.
En se fondant sur les articles 695-24, 2°, du code de procédure pénale, visant un motif de refus facultatif, et 695-33 dudit code, permettant au juge du fond de solliciter des informations complémentaires auprès de l’État membre d’émission avant de l’exécuter, la chambre criminelle considère implicitement que le MAE aurait dû être exécuté. Concrètement, elle affirme que s’il n’a pas été invoqué explicitement, au sein d’un mémoire, par la personne dont la remise était demandée, les juges n’avaient pas à exiger de supplément d’information à l’État membre d’émission afin de vérifier les conditions d’application du motif facultatif. En somme, pour en arriver à cette solution (§§ 7 s.), elle rappelle le caractère exceptionnel quant à la mise en œuvre d’un motif de refus de remise, puis elle l’encadre assez sévèrement.
Le rappel du caractère exceptionnel lié à la mise en œuvre d’un motif de refus facultatif
En visant le principe de reconnaissance mutuelle, la chambre criminelle rappelle le principe : l’exécution du MAE. Elle l’oppose à son refus « qui n’est possible que pour des motifs de non-exécution obligatoire ou facultative » (§ 9), ces derniers étant déterminés au sein de la décision-cadre puis transposés par les États membres (art. 3 et 4 de la décision-cadre 2002/584/JAI). Il s’agit donc d’« une exception, à interpréter strictement » (§ 9). Afin d’appuyer son raisonnement, elle vise un arrêt récent de la Cour de justice de l’Union européenne au sein duquel le caractère exceptionnel du refus d’exécution était mentionné dans les mêmes termes (CJUE, gr. ch., 6 juin 2023, O.G, aff. C-700/21, § 33, Dalloz actualité, 27 juin 2023, obs. T. Besse ; AJDA 2023. 1542, chron. P. Bonneville, C. Gänser et A. Iljic  ; D. 2023. 1120
 ; D. 2023. 1120  ). En l’espèce, il était question du motif de refus facultatif ayant pour objet de favoriser la réinsertion sociale, lequel est doublement conditionné (C. pr. pén., art. 695-24, 2°).
). En l’espèce, il était question du motif de refus facultatif ayant pour objet de favoriser la réinsertion sociale, lequel est doublement conditionné (C. pr. pén., art. 695-24, 2°).
L’extradition de droit commun, applicable en dehors de l’Union européenne et en l’absence de convention, exclut la remise des nationaux (C. pr. pén., art. 696-2), mais la décision-cadre relative au MAE s’avère plus souple à cet égard pour « accroître les chances de réinsertion sociale de la personne recherchée » (§ 7). Dès lors, si la personne recherchée justifie d’être de nationalité française, d’avoir établi sa résidence sur le territoire national ou d’y demeurer, il sera possible de refuser sa remise. En l’espèce, l’individu justifiait bien d’une « résidence ininterrompue et régulière en France depuis cinq ans » (§ 11). Concrètement, il dispose d’un logement depuis le 14 mars 2019 et d’un travail déclaré dont le contrat est à durée indéterminée. De surcroît, il vit en concubinage tout en étant père d’un nouveau-né (§ 11). En exécutant sa peine en Italie, il serait effectivement coupé de sa famille nucléaire, situation pouvant être préjudiciable pour sa réinsertion.
Or, cette première condition est nécessaire, mais pas suffisante. Ainsi, la décision de condamnation doit, également, être exécutoire sur le territoire français à l’aune de l’article 728-31 du code de procédure pénale. Pour contrôler cette seconde exigence, la chambre de l’instruction a ordonné « un supplément d’information aux fins, d’une part, de vérifier auprès des autorités italiennes si elles entendent formuler une demande aux fins de reconnaissance et d’exécution de la condamnation sur le territoire français, d’autre part, d’inviter le procureur général à solliciter le procureur de la République, compétent afin de savoir s’il entendait susciter une telle demande » (§ 11). Elle avait, en effet, considéré « au regard de la stabilité de la situation familiale et personnelle en France de l’intéressé, et afin de répondre aux conditions de l’article 695-24, 2°, du code de procédure pénale » (§ 13), d’ordonner un tel complément d’information.
Néanmoins, selon la chambre criminelle, cette condition n’avait pas à être vérifiée.
L’encadrement sévère de la mise en œuvre d’un motif de refus facultatif
Selon la Haute juridiction, la personne recherchée n’avait, en réalité, à aucun moment soulevé le motif de refus facultatif. Pour ce faire, elle aurait dû produire un mémoire devant la chambre de l’instruction. Or, en ayant avancé « seulement des pièces qui ne sauraient s’analyser en un tel mémoire », l’individu « ne s’est pas prévalu du motif facultatif de refus de remise » (§ 15).
Cette solution appelle, au moins, deux remarques. D’une part, il semblerait que le juge ne puisse pas soulever d’office un motif de refus facultatif. À ce titre, la chambre criminelle va au-delà des textes en ajoutant une condition quant à sa mise en œuvre en prévoyant que ledit motif de refus soit allégué exclusivement par la personne dont la remise est demandée. En réalité, elle semble aller toujours plus loin, puisqu’elle avait récemment affirmé que « les juges ne sont pas tenus de rechercher d’office » l’existence d’un motif de refus (§ 13, Crim. 29 mai 2024, n° 24-82.747, v. notre commentaire, Mandat d’arrêt européen : le recul du contrôle de la double incrimination, Dalloz actualité, 18 juin 2024 ; AJ pénal 2024. 343 et les obs.  ). Certes, ils ne sont pas tenus de le faire, mais le peuvent-ils ? Dans cet arrêt, la chambre criminelle semble répondre par la négative à cette interrogation. Or ni la décision-cadre, ni sa transposition française, ont exclu une telle possibilité. D’autre part, concernant les formalités, la chambre criminelle considère qu’il n’est pas possible de déduire de simples pièces de procédure l’allégation du motif de refus. Elle exige à cette fin un mémoire. Cet encadrement formel apparaît donc parfaitement prétorien. La chambre criminelle surinterprète le droit de l’Union européenne, tout en allant dans le sens de ses objectifs : permettre la circulation de la personne recherchée.
). Certes, ils ne sont pas tenus de le faire, mais le peuvent-ils ? Dans cet arrêt, la chambre criminelle semble répondre par la négative à cette interrogation. Or ni la décision-cadre, ni sa transposition française, ont exclu une telle possibilité. D’autre part, concernant les formalités, la chambre criminelle considère qu’il n’est pas possible de déduire de simples pièces de procédure l’allégation du motif de refus. Elle exige à cette fin un mémoire. Cet encadrement formel apparaît donc parfaitement prétorien. La chambre criminelle surinterprète le droit de l’Union européenne, tout en allant dans le sens de ses objectifs : permettre la circulation de la personne recherchée.
Elle en vient à conclure que si le motif de refus prévu à l’article 695-24, 2°, du code de procédure pénale n’est pas invoqué, « les juges ne peuvent solliciter des informations complémentaires afin de vérifier si les conditions d’application dudit article sont réunies » (§10). À ce titre, une question préjudicielle serait peut-être judicieuse afin de mieux cerner l’office du juge et les formalités à accomplir lors de la mise en œuvre des motifs de refus. D’ailleurs, il est vrai que la Cour de justice pourrait aller dans un sens analogue à celui emprunté par la chambre criminelle, tant la circulation de la personne recherchée demeure fondamentale, parfois au détriment de ses chances de réinsertion après l’exécution de sa peine.
Crim. 7 août 2024, F-B, n° 24-81.863
© Lefebvre Dalloz