Mandat de protection future : le registre spécial dispose enfin de son décret !
Le décret n° 2024-1032 du 16 novembre 2024 vient prévoir les modalités de l’inscription au sein du registre spécial évoqué par l’article 477-1 du code civil, près de neuf ans après son insertion dans le marbre de la loi.
Le mandat de protection future est, sans doute, la « grande innovation de la loi du 5 mars 2007 » (M. Douchy-Oudot, Introduction. Personnes. Famille, 12e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2023, p. 355, n° 502). En ce sens, l’article 477 du code civil dispose que « toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où, pour l’une des causes prévues à l’article 425, elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts ».
La loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 a ajouté, dans un second temps, un nouvel article 477-1 du code civil imposant de publier le mandat de protection future par une inscription sur un registre régi par un décret. Le projet était ambitieux mais cette disposition est restée « lettre morte » pendant presque neuf ans faute de texte réglementaire (F. Chénedé [dir.], Droit de la famille, 9e éd., Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2023, p. 1593, n° 336.69). L’attente est désormais terminée après une décision du Conseil d’État en date du 27 septembre 2023 ayant enjoint la Première ministre de l’époque à prendre « dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, le décret en Conseil d’État prévu par l’article 477-1 du code civil » (CE 27 sept. 2023, n° 471646, inédit au Lebon, D. 2024. 1203, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro
).
Le décret n° 2024-1032 du 16 novembre 2024 relatif au registre des mandats de protection future vient, notamment insérer une sous-section 2 intitulée « Dispositions relatives au registre des mandats de protection future » au sein de la section II du chapitre X du titre Ier du livre III du code de procédure civile (Décr., art. 2). Reprenons ses principales innovations.
Fonctionnement général du registre
La première étape afin de pouvoir donner vie au registre prévu par l’article 477-1 du code civil était de prévoir son mode de fonctionnement. Il s’agit, sans très grande surprise, d’un registre « dématérialisé tenu par le ministère de la Justice » (art. 1260-1 nouv.). Le but reste, bien évidemment, l’identification des personnes intéressées (à la fois le mandataire mais également le mandant). Les informations précises qui doivent y figurer attendent, sur ce point, un arrêté du ministre de la Justice.
L’article 1260-1 prévoit un délai de six mois à compter de l’établissement du mandat lequel permet d’inscrire toutes les informations qui seront prévues par l’arrêté quand celui-ci sera à disposition (ce qui n’est pas encore le cas au jour de la rédaction de cet article). Ce délai de six mois viendra commencer à courir, assez logiquement, pour les mandats de protection future conclus auparavant à partir de la date d’entrée en vigueur dudit arrêté (Décr., combinaison des art. 2 et 4). Après avoir attendu le décret, il faut maintenant patienter pour ce nouveau texte qui devrait être d’élaboration plus rapide.
Les articles 1260-2 à 1260-4 du code de procédure civile permettent d’encadrer la temporalité du registre dans le temps :
- avant la prise d’effet du mandat, encore faut-il déterminer qui va réaliser les formalités de l’article 1260-1. L’article 1260-2 nouveau prévoit ainsi une répartition heureuse entre le mandant et le mandataire. Le premier inscrit, modifie et supprime le cas échéant les informations tandis que le second s’occupe des démarches concernant une modification, s’il renonce au mandat par exemple, ou si le décès du mandant intervient avant même que le mandat ait pu prendre effet ;
- après la prise d’effet du mandat de protection future, le greffier doit indiquer à quel moment ledit mandat est activé ou quand il est suspendu. L’intérêt est d’assurer une traçabilité de l’exécution du mandat de protection future. Il peut évidemment arriver que le mandat n’ait pas du tout été enregistré. Dans ce cas, le mandataire s’occupe a posteriori des démarches de l’article 1260-1 du code civil (art. 1260-3, al. 2). Ceci concernera, en réalité, probablement un très grand nombre de ces actes juridiques. On notera, surtout, qu’aucune sanction n’est prévue en cas de défaut d’inscription, ce qui est assurément une bonne nouvelle. L’utilité du mandat de protection future est ainsi préservée. Il aurait été, en effet, malheureux de prévoir une déchéance de l’acte juridique lequel est censé projeter un cadre souhaité par le mandant de sa propre protection. En d’autres termes, le défaut d’inscription peut être corrigé à tout moment par le mandataire lorsque le mandat prend effet. Mieux vaut, toutefois, ne pas attendre ce moment pour éviter que ces dispositions contractuelles ne prennent jamais effet en cas de saisine parallèle du juge des tutelles ;
- l’article 1260-4 du code civil prévoit les cas de suppression des informations inscrites au sein du registre du mandat de protection future notamment quand l’intéressé retrouve ses facultés, ce qui arrive rarement. La suppression intervient surtout pour d’autres causes plus fréquentes : la mise en place d’une curatelle, d’une tutelle ou lors de la révocation du mandat de protection future. Le décès de l’intéressé permet également la suppression du registre tant que le greffier est informé et ce par n’importe quelle personne qui dispose de ce renseignement. Le but est d’assurer une symétrie entre la fin du mandat et la fin de l’inscription sur le registre dématérialisé. Malheureusement, il y a fort à parier que cette symétrie ne sera pas facile à respecter convenablement. Un cas très particulier est prévu à l’article 1260-6 : si le mandat est annulé par un juge, le greffe de la juridiction procède à la suppression de l’inscription. Cette solution est logique car si l’acte est censé n’avoir jamais existé, son inscription n’a plus d’utilité. Il est, dans le même ordre d’idées, plus facile d’opérer la suppression de l’inscription des informations par le greffe de la juridiction qui rend la décision d’annulation puisque le registre a été conçu pour être dématérialisé.
Reste à savoir comment ce registre pourra être combiné à celui de la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 qui a codifié, au sein de son article 18, un nouvel article 427-1 du code civil. Cet article prévoit que « les informations relatives aux mesures de sauvegarde de justice, de curatelle, de tutelle et d’habilitation familiale ainsi que celles relatives aux mandats de protection future ayant pris effet en application de l’article 481 et aux désignations anticipées prévues à l’article 448 sont inscrites dans un registre national dématérialisé dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État » (nous soulignons). L’articulation des deux registres devra être surveillée de près pour éviter que des problématiques supplémentaires apparaissent puisque leurs thématiques respectives se croisent très facilement. N’aurait-il pas fallu un registre unique ? La question se discute. L’accumulation de registres différents peut, en effet, aboutir à une situation de complexité pour les praticiens.
Le décret n° 2024-1032 prévoit également l’utilisation de ce nouveau registre.
Utilisation du registre
Afin d’assurer l’utilité de ce registre dématérialisé, il fallait aménager l’article 1219-1 du code de procédure civile (Décr., art. 1er). Le procureur de la République doit donc vérifier l’existence d’un mandat de protection future dans le registre dématérialisé lorsqu’il est saisi d’une demande aux fins de saisine du juge des tutelles, ce qui sera une formalité habituelle à partir de maintenant. On retrouve un certain calque de cette vérification lors de la saisine du juge par requête de l’article 1221-3 du code civil. Il faut louer une telle adéquation des textes entre les modes de saisine du juge. Le but est, là-encore, de pouvoir repérer très rapidement l’existence d’un éventuel mandat de protection future. C’est ici tout l’intérêt de ce registre dématérialisé.
L’utilisation du registre est régie par l’article 1260-7 du code de procédure civile qui restreint son accès aux magistrats et agents de greffe ainsi qu’aux attachés de justice (anc. juristes assistants), aux assistants spécialisés et aux personnels de l’article R. 123-14 du code de l’organisation judiciaire. Le but de cette restriction est de préserver la confidentialité, assez relative, qui doit régir le mandat de protection future, son auteur n’ayant pas nécessairement le souhait que cette information soit consultable librement. C’est pour cette même raison que le registre est ouvert également aux parties à l’acte juridique conclu (art. 1260-7, 2°). Ainsi tant le mandant que le ou les mandataires peuvent avoir accès aux informations enregistrées. Ceci leur permettra, par exemple, de vérifier les informations inscrites à l’article 1260-1 en vue d’une modification ou d’une révocation du mandat de protection future.
Certains professionnels du droit ont pu, tout à fait légitimement, s’étonner de l’absence d’une disposition permettant aux notaires d’accéder au registre. Il ne s’agit sans doute pas d’un oubli après neuf ans de réflexion puisque l’on a pu noter que les seules personnes autorisées à accéder au registre sont des agents du ministère de la Justice (magistrats fonctionnaires, contractuels ou vacataires). Un décret modificatif pourrait changer cette orientation si le notariat pensait la solution choisie inadaptée. Il est vrai que le notaire, en tant qu’officier public établissant des actes authentiques, aurait pu avoir un intérêt à pouvoir consulter ce registre dématérialisé.
Voici, en somme, un décret rendant presque fonctionnel le texte de l’article 477-1 du code civil pris en 2015. Il ne reste plus qu’à attendre l’arrêté prévoyant les informations qui devront être portées au moment de l’inscription du mandat de protection future. Une fois cet arrêté élaboré, tout sera prêt pour que la publication du mandat soit opérationnelle.
Décr. n° 2024-1032, 16 nov. 2024, JO 17 nov.
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