Même caractérisé, le harcèlement sexuel commis par un salarié de la finance ne prive pas celui-ci de sa rémunération variable différée

La répétition et la teneur à connotation sexuelle de messages adressés par le salarié à son assistante, à une salariée intérimaire et à une troisième salariée et la gêne occasionnée par la situation imposée par leur supérieur hiérarchique créant une situation intimidante ou offensante sont de nature à caractériser un harcèlement sexuel et à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise au sens de l’article L. 1153-1 du code du travail. Mais un tel comportement « ne caractérise pas le défaut de respect des exigences d’honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque » au sens bancaire et financier ; la rémunération variable différée reste donc due.

Argent, pouvoir et sexe

Dans les secteurs bancaire, financier et assurantiel, une partie de la rémunération des salariés, preneurs de risques, est variable en raison de la nature des opérations réalisées. Cette rémunération variable du salarié se décompose en plusieurs parties dont le paiement est différé sur trois années par tiers, ou quatre années par quart, imposant la réunion de conditions de performance et de présence à la date d’acquisition.

La condition de performance, légitime en elle-même, est susceptible d’inciter les salariés à prendre des risques. C’est la raison pour laquelle, au niveau européen et national, des gardes fous ont été prévus condamnant toute prise de risques excessive susceptible de générer des pertes significatives ou de caractériser un manquement aux règles professionnelles. Un établissement bancaire ou financier est même en droit de réduire le montant de la rémunération ou en solliciter la restitution. C’est une exception au principe général du droit prohibant les sanctions pécuniaires ainsi qu’au principe selon lequel la responsabilité pécuniaire du salarié ne peut être engagée qu’en cas de faute lourde.

Dans les faits, on constate que la charge de travail des preneurs de risques, notamment lorsqu’ils ont des postes d’encadrement, peut faire tourner la tête, le cœur et les yeux, les amenant parfois à adopter des comportements inappropriés aboutissant à un harcèlement moral ou sexuel. Dans ce monde, se mêlent l’argent, le pouvoir et… le sexe. L’illustrent certains films hollywoodiens ; ici, c’est un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 13 mars 2024 qui en expose la scène.

Un salarié est devenu chargé de mission dans le département Global Market Division (GMD), avec un statut cadre niveau hors classe, dans un établissement bancaire et financier. À la suite d’une expatriation, il a exercé la fonction de responsable GMD Asie. Il a été licencié le 15 novembre 2017 pour faute grave en raison de faits de harcèlement sexuel. Quelques mois plus tard, il a saisi la juridiction prud’homale afin de contester le bien-fondé de son licenciement et de demander le paiement de diverses sommes de nature indemnitaire ou salariale dont des rappels de rémunération différée.

En appel, la société a été condamnée, d’une part, au versement des rémunérations différées des sommes au titre des années 2017, 2016, 2015 et 2014 ainsi que, d’autre part, à verser des sommes au titre de la mise à pied conservatoire, de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité conventionnelle de licenciement au motif que le harcèlement sexuel n’était pas constitué et que le licenciement, s’il repose sur une cause réelle et sérieuse, n’est pas justifié par une faute grave.

Dans son pourvoi, l’employeur a contesté ces deux points. La Cour a rejeté le moyen relatif à la rémunération différée, mais a accueilli celui concernant la caractérisation du harcèlement sexuel.

Les deux questions sont liées. D’abord, est-ce que la faculté de réduction ou de restitution de la rémunération à l’endroit de salariés d’un établissement de crédit et financier ayant commis des manquements à l’honorabilité et à la compétence nécessaires en matière de risques peut s’appliquer lorsque sont constatés des comportements de harcèlement sexuel ? Ensuite, est-ce que des courriels adressés à des subordonnées aux fins d’obtenir une rencontre ou de les féliciter, à connotation sexuelle, intimidants mais sans être humiliants et insistants, caractérisent-ils un harcèlement sexuel ?

À la première question, la Cour de cassation répond que le comportement allégué « ne caractérise pas le défaut de respect des exigences d’honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque » au sens bancaire et financier ; la rémunération variable différée était donc due.

À la seconde question, la Cour estime que la cour d’appel avait relevé, d’une part, « la teneur à connotation sexuelle des messages adressés par le salarié à son assistante, à une salariée intérimaire et à une troisième salariée » et, d’autre part, « la gêne occasionnée par la situation imposée par leur supérieur hiérarchique », « ce dont elle aurait dû déduire que de tels propos ou comportements à connotation sexuelle répétés créant une situation intimidante ou offensante étaient de nature à caractériser un harcèlement sexuel et à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise », au sens de l’article L. 1153-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021.

Réduction ou restitution des rémunérations variables dans le secteur bancaire et financier : seules les prises de risques excessives le justifient

Exception au principe de l’immunité pécuniaire du salarié fautif…

Comme le rappelle la Cour de cassation, aux termes de l’alinéa 1er de l’article L. 511-84 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, issu de la transposition de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, « le montant total de la rémunération variable peut, en tout ou partie, être réduit ou donner lieu à restitution lorsque la personne concernée a méconnu les règles édictées par l’établissement en matière de prise de risque, notamment en raison de sa responsabilité dans des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l’établissement ou en cas de manquement aux obligations d’honorabilité et de compétence ». Le texte d’alors ne précisait pas son articulation avec l’article L. 1331-2 du code du travail selon lequel « les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites ».

La Cour d’appel de Versailles avait précisé que « la décision de ne pas attribuer une rémunération supplémentaire à un salarié en considération de son comportement estimé non satisfaisant du point de vue qualitatif ne constitue pas une sanction pécuniaire, qui serait prohibée, et ne caractérise pas une rupture d’égalité entre les salariés, étant justifiée par des faits objectifs » (Versailles, 6 juill. 2022, n° 20/01052). La nouvelle version de l’article L. 511-84 du code monétaire et financier à compter du 25 mai 2019 précise que cette faculté s’exerce « par dérogation à l’article L. 1331-2 du code du travail ».

Pour les entreprises d’investissement, une règle identique a été adoptée par l’ordonnance n° 2021-796 du 23 juin 2021 à l’article L. 533-30-13 du code monétaire et financier.

Pour les entreprises d’assurance, si l’article 275 du règlement délégué (UE) 2015/35, du 10 octobre 2014, impose une politique de rémunération « saine et efficace des risques », il n’est pas institué de faculté similaire de réduction ou de restitution de la rémunération variable des preneurs de risques. Ce n’est qu’en cas de défaillance d’une entreprise d’assurance que, lors d’une procédure de résolution, « les éléments de rémunération variables […] peuvent être réduits ou annulés » (C. assur., art. L. 311-16, mod. par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, art. 206 ; Rapp. Ass. nat., 15 sept. 2018, R. Lescure, p. 285).

Pour son application, l’article R. 511-24 du code monétaire et financier ajoute que « les agissements susceptibles d’entraîner la réduction ou la restitution, en tout ou partie, de la rémunération variable sont définis par les établissements de crédit et les sociétés de financement en considération notamment des pertes sérieuses qu’ils peuvent occasionner à ces établissements ou sociétés » ; « la décision de réduction ou de restitution […] tient compte de l’implication de la personne intéressée dans les agissements en cause » et « peut également être prise en considération du défaut de respect des exigences d’honorabilité et de compétence qui sont applicables à la personne en cause ».

On peut ajouter les articles 319-10 et 321-125 du règlement de l’Autorité des marchés financiers qui précise, dans son § 15, que « la rémunération variable, y compris la part reportée, n’est payée ou acquise que si son montant est compatible avec la situation financière de la société de gestion de portefeuille dans son ensemble et si elle est justifiée par les performances de l’unité opérationnelle, [du FIA ou de l’OPCVM] et de la personne concernée. Le montant total des rémunérations variables est en général considérablement réduit lorsque la société de gestion de portefeuille ou [le FIA ou l’OPCVM] concerné enregistre des performances financières médiocres ou négatives, compte tenu à la fois des rémunérations actuelles et des réductions des versements de montants antérieurement acquis, y compris par des dispositifs de malus ou de restitution ».

… d’interprétation stricte

S’agissant d’une exception au principe de l’immunité pécuniaire du salarié fautif, ce dispositif s’interprète strictement à l’aune de sa lettre et de sa finalité.

Le texte en cause est dans une sous-section relative aux « politique et pratiques de rémunérations », incluse dans une section sur la « gouvernance des établissements de crédit et des sociétés de financement ». Les principes fondamentaux sont posés à l’article L. 511-71 du code monétaire et financier : « La politique de rémunération globale, y compris les salaires et les prestations de pension discrétionnaires […], des établissements de crédit et des sociétés de financement s’applique aux catégories de personnel dont les activités professionnelles ont une incidence significative sur le profil de risque de l’entreprise ou du groupe » ; « cette politique est conforme à la stratégie économique, aux objectifs, aux valeurs et aux intérêts à long terme de l’établissement de crédit ou de la société de financement. Elle comprend des mesures destinées à éviter les conflits d’intérêts. Elle est conçue pour favoriser une gestion saine et effective des risques ».

La Cour de justice a rappelé qu’« il découle des considérants 1 à 3 de la recommandation 2009/384, les pratiques inadaptées suivies en matière de rémunération dans le secteur des services financiers, qui tendaient à récompenser les bénéfices à court terme et incitaient le personnel des entreprises financières à se lancer dans des activités exagérément risquées qui généraient certes des revenus supérieurs à court terme, mais exposaient les établissements en question à des pertes potentielles plus élevées à long terme, ont conduit à des prises de risque excessives et contribué, de ce fait, aux pertes importantes encourues par de grandes entreprises financières » (CJUE 1er août 2022, aff. C-352/20).

Les preneurs de risques représentent des catégories de personnel dont les activités ont une incidence significative sur le profil de risque d’un établissement. La cartographie des risques est la suivante :

  1. les risques financiers, qui comprennent notamment les risques de liquidité, de marché et de contrepartie ;
  2. le risque de non-conformité lié au non-respect des obligations professionnelles incombant aux établissements bancaires, de financement et d’investissement, susceptible d’entraîner pour l’établissement un coût lié à la mise en cause de sa responsabilité civile, pénale ou administrative, voire une atteinte à la réputation ;
  3. le risque opérationnel notamment les pertes pour les placements collectifs ou portefeuilles individuels résultant notamment de l’inadéquation de processus internes et de défaillances liées aux personnes et aux systèmes, y compris le risque juridique et le risque de documentation, ainsi que le risque résultant des procédures de négociation, de règlement et d’évaluation…

Comme l’exprime clairement la Cour de cassation, le dispositif légal « a pour objet de prévenir les prises de risques excessives, pouvant nuire à une gestion saine et efficace des risques au sein des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, de la part des salariés amenés à prendre des décisions d’investissement, en prévoyant un malus ou une récupération à 100 % de la rémunération variable à l’égard d’un preneur de risques qui a participé à des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l’établissement ou a été responsable de tels agissements ou n’a pas respecté les normes applicables en matière d’honorabilité et de compétences, lesdites normes s’entendant de règles professionnelles en lien direct et étroit avec l’activité professionnelle d’investissement à risques ».

Les établissements concernés mettent en place un mécanisme interne d’« ajustement au risque a posteriori » ; une fois qu’une composante initiale de la rémunération variable a été attribuée au membre du personnel, et qu’une fraction de la rémunération non-différée a été payée, l’employeur est en mesure d’ajuster la rémunération, en la réduisant au fil du temps au moyen de clauses de malus ou de récupération (c’est-à-dire en réduisant la rémunération en numéraire ou en attribuant un nombre d’instruments rémunérateurs moindre). L’ajustement au risque est souvent désigné par l’expression « prise en compte des performances » parce qu’il constitue une réponse aux résultats effectifs, en termes de risques, des actions du membre du personnel. Les mesures des performances effectuées à ce stade doivent permettre d’effectuer une analyse (similaire à une évaluation a posteriori) pour déterminer si son ajustement au risque préalable initial était correct, le but étant de s’assurer qu’il existe un lien entre la mesure des performances initiale et l’évaluation a posteriori. Ainsi, la nécessité d’un ajustement au risque a posteriori dépend de la qualité (précision) de la prise en compte du risque préalable.

Les établissements peuvent utiliser des critères spécifiques en vertu desquels il est fait application de malus (à la fois à la part en numéraire et à celle en instruments de la rémunération reportée) et de récupérations. Ces critères comprennent notamment la preuve du comportement frauduleux ou d’une erreur grave du membre du personnel (par ex., violation du code de conduite, le cas échéant, et d’autres règles internes, en particulier concernant les risques) ou le fait que l’unité opérationnelle subisse une baisse significative de ses performances financières ou fasse l’objet d’une insuffisance grave de gestion du risque. Une récupération a systématiquement lieu en cas de fraude avérée ou de communication d’informations trompeuses.

Afin d’optimiser leur impact sur les primes du personnel, les variables utilisées pour mesurer les résultats doivent être liées aussi étroitement que possible au niveau des décisions prises par le membre du personnel qui fait l’objet de l’ajustement au risque. Par exemple, les variables pour les dirigeants doivent se rapporter aux résultats dans son ensemble, ou aux résultats des unités opérationnelles ou des décisions qui ont été déterminées par la stratégie des dirigeants. En revanche, les variables pour le responsable d’une unité opérationnelle doivent, idéalement, refléter les résultats de cette unité (v. Orientations relatives aux politiques de rémunération applicables aux gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs, ESMA/2013/232, §§ 148 s.).

Le harcèlement sexuel est « un comportement sans lien direct et étroit avec une activité professionnelle d’investissement à risques »

En l’espèce, « la rémunération variable du salarié se décompose en plusieurs parties dont le paiement est différé sur trois années par tiers si les conditions de performance et de présence à la date d’acquisition sont réunies, la condition de présence du salarié n’étant pas discutée ».

Pour justifier le malus appliqué, l’établissement de crédit met en avant son règlement interne relatif aux rémunérations variables attribuées au titre des années 2014-2016 précisant le comportement professionnel à risque comme étant « tout comportement dans le cadre des fonctions du bénéficiaire inapproprié et dommageable pour la société en violation avec la loi et ses filiales et/ou les normes professionnelles applicables à l’activité du bénéficiaire sur la période d’acquisition (non-respect des règles de gouvernance, et/ou de déontologie et/ou des procédures ». Dès lors que « des manquements à l’honorabilité ou à la déontologie par le salarié d’un établissement financier peuvent justifier le non-versement d’une rémunération variable différée », l’employeur en déduit que « constitue de tels manquements le harcèlement sexuel ou les comportements assimilés » de la part d’un salarié exerçant « un très haut niveau de responsabilité ».

L’interprétation proposée par la société aurait pour conséquence d’étendre la faculté de prononcer une sanction pécuniaire sur la rémunération variable des preneurs de risques à tout manquement de nature disciplinaire puisant sa source dans un texte de loi. Cependant, une telle interprétation est contraire à la finalité du texte et au principe d’interprétation stricte des exceptions.

Reprenant la position de la cour d’appel, la Cour de cassation considère que « un comportement déplaisant, déplacé, habituel et totalement inadapté pour un salarié ayant une position de responsabilité vis-à-vis des jeunes femmes contactées » est « un comportement sans lien direct et étroit avec une activité professionnelle d’investissement à risques » ; « la cour d’appel en a exactement déduit que ce comportement ne caractérise pas le défaut de respect des exigences d’honorabilité prévu par les dispositions légales ni le comportement professionnel à risque allégué de sorte qu’elle a condamné la société à payer certaines sommes au salarié au titre des années 2014 à 2017 ».

La solution est pleinement justifiée. Et si une entreprise envisageait, dans sa réglementation interne ou par contrat, d’étendre la portée des textes, une telle extension serait illicite et réputée non écrite car contraire à l’interdiction des sanctions pécuniaires (C. trav., art. L. 1331-2).

Tout propos ou comportement à connotation sexuelle qui impose une situation intimidante à des subordonnés ou collègues caractérise un harcèlement sexuel

Arsenal législatif

Le droit du harcèlement s’étend inexorablement d’année en année. Le harcèlement sexuel, de longue date condamné (Loi n° 92-684 du 22 juill. 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes), s’est précisé au fil des réformes (Loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail ; Loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel ; Loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs ; Loi n° 2002-73 du 17 janv. 2002 relative à la modernisation sociale).

Nonobstant l’arsenal législatif, la difficulté est que la notion de harcèlement est malmenée entre déni et fantasme. Par conséquent, l’exégèse et la finalité des textes sont le meilleur moyen d’apaiser les tensions et les passions. Et il est heureux, comme le confirme l’arrêt commenté, que la Cour de cassation exerce son contrôle en matière de qualification de harcèlement sexuel.

L’article 2 de la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 définit le harcèlement et le harcèlement sexuel, dans les termes suivants : « c) "harcèlement" : la situation dans laquelle un comportement non désiré lié au sexe d’une personne survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; « d) "harcèlement sexuel" : la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

Le harcèlement sexuel est défini aux articles L. 1153-1 du code du travail et 222-33 du code pénal avec des conditions à la fois proches et distinctes. Selon le premier texte, seul applicable en l’espèce, « aucun salarié ne doit subir des faits : 1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle [ou sexiste depuis le 31 mars 2022] répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante […] ; 2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

Harcèlement hiérarchique

En l’espèce, les propos ont été tenus par le responsable hiérarchique à l’égard de son assistante, d’une salariée intérimaire et d’une troisième salariée de l’unité opérationnelle. Le rapport d’autorité facilite l’émergence d’un harcèlement ; en droit pénal, il est même pris en compte comme circonstance aggravante (C. pén., art. 222-33, III, 1°).

La victime d’un harcèlement n’est jamais consentante ; le harcèlement est « subi » ou « imposé ». Outre le refus exprès (Crim. 18 nov. 2015, n° 14-85.591, Dalloz actualité, 4 déc. 2015, obs. D. Goetz ; D. 2015. 2444 ), le silence face à un « comportement non désiré » ne vaut pas consentement (Soc. 18 déc. 2012, n° 11-23.530), surtout dans un rapport d’autorité (Soc. 25 mars 2020, n° 18-23.682 P, Dalloz actualité, 6 mai 2020, obs. C. Couëdel ; D. 2020. 772  ; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane  ; RSC 2020. 344, obs. A. Cerf-Hollender ).

Ce point n’était pas contesté, en l’espèce, et avait été reconnu par les juges du fond relevant que « les attestations et les courriels versés aux débats par l’employeur suffisent à établir l’attitude déplacée, tendancieuse donc inappropriée du salarié à de nombreuses reprises à l’encontre de salariées de l’entreprise, et notamment de son assistante sans que jamais cette dernière n’ait tenu des propos équivoques dans les échanges » ; « il ne s’agit donc pas uniquement "d’échanges pour mieux apprécier des collaborateurs dans le cadre professionnel", propos relevés lors de l’entretien préalable dont le compte-rendu est communiqué au dossier par le salarié, ni d’un mode de communication courtois, ces propos allant au-delà d’un management "proche" de ce dernier avec ses équipes, connu et apprécié par l’employeur ».

Connotation sexuelle

La spécificité du harcèlement sexuel tient à la connotation sexuelle des propos et comportements.

Par « sexuel », il faut comprendre que les propos ou comportements concerne le sexe au sens de « sexualité », c’est-à-dire des comportements liés à la satisfaction des besoins érotiques ou à l’amour physique (pratiques sexuelles ou rapports sexuels). Ainsi, n’est pas condamnable le fait de déclarer plusieurs fois ses sentiments à une personne, de tels propos n’étant pas de nature sexuelle mais sentimentale (Soc. 23 sept. 2015, n° 14-17.143), tout comme le fait d’inviter une salariée à manger (Soc. 8 juill. 2020, n° 18-24.320 P, D. 2020. 1467  ; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane  ; RDT 2020. 687, obs. G. Pignarre ) ; la même conclusion doit être retenue pour un compliment, objectif, hormis lorsque celui-ci est vulgaire ou répété en dépit des refus du destinataire (Soc. 28 janv. 2014, n° 12-20.497).

Le texte vise la « connotation » afin de prendre en compte le sens premier mais aussi le sens caché ou dérivé ; le texte a pour objectif de réprimer « les plaisanteries ou commentaires grivois sur l’apparence, la tenue vestimentaire ou la sexualité d’une personne » (Rapp. Ass. nat., 18 juill. 2012, P. Crozon, n° 86, p. 30 s.). L’allusion peut ainsi résulter de l’invitation dans une chambre d’hôtel (Soc. 11 janv. 2012, n° 10-12.930 P, Dalloz actualité, 25 janv. 2012, obs. A. Astaix ; D. 2012. 224  ; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; JA 2012, n° 455, p. 11, obs. L.T.  ; 17 mai 2017, n° 15-19.300 P, Dalloz actualité, 6 juin 2017, obs. M. Peyronnet ; D. 2017. 1129  ; ibid. 1551, chron. P. Flores, F. Salomon et N. Sabotier  ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire  ; ibid. 2018. 813, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; RDT 2017. 548, obs. P. Adam ).

En l’espèce, la teneur des messages était la suivante : « j’aime votre façon de manger des bananes très inspirante », « vos excuses sont bien acceptées mais vous devriez chercher à obtenir le pardon », « voulez-vous voir la chambre, je peux la réserver si vous voulez », cette offre étant suivie des propos suivants, après refus de la salariée, « pourquoi ne venez-vous pas chez moi ce soir » et « vous pouvez m’appeler quand vous voulez… J’ai beaucoup aimé votre tenue ce soir ??? vous allez me prendre pour un fou ou trouver mon comportement déplacé mais j’adorerais passer le reste de la nuit avec vous. Une seule et unique fois ». Comme le reconnaît la Cour de cassation, « la teneur à connotation sexuelle des messages adressés » est évidente.

Situation intimidante

Enfin, le harcèlement sexuel doit « soit porter atteinte à la dignité », « soit créer une situation intimidante, hostile ou offensante ». S’agissant du délit civil, « la caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail […] ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel » (Soc. 25 mars 2020, n° 18-23.682, préc.).

« Intimidante » serait la situation suscitant la peur ou celle tenant au fait de subir une pression, comme une menace voire la fermeté d’une attitude. La situation « hostile » est celle qui manifeste de l’agressivité. L’offense suggère des propos ou des actions qui blessent quelqu’un dans son honneur, sa dignité ou sa personne.

C’est sur l’appréciation de cette condition que la Cour d’appel de Versailles avait considéré que « les courriels adressés aux fins d’obtenir une rencontre ou féliciter une personne ne contiennent pas de propos à caractère professionnel sans pour autant qu’ils soient dégradants ni humiliants, le salarié n’étant jamais insistant dans ses demandes, n’ayant pas commis de pressions graves dans le but apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle et n’ayant jamais créé une situation hostile ou offensante ou intimidante ». Elle en a conclu que, « si le comportement du salarié était déplaisant et déplacé et avait un caractère habituel, s’agissant d’un salarié qui était un excellent collaborateur et n’avait subi aucun reproche tout au long de la longue collaboration, ce comportement ne rendait pas impossible son maintien dans l’entreprise et n’était pas constitutif d’une faute grave mais d’une cause réelle et sérieuse de licenciement ».

La cassation était inévitable et permet de préciser l’interprétation de la condition tenant à l’intimidation ou l’offense. Pour la Cour de cassation, « plusieurs salariées avaient témoigné de la gêne occasionnée par la situation imposée par leur supérieur hiérarchique », ce dont la cour d’appel « aurait dû déduire que de tels propos ou comportements à connotation sexuelle répétés créant une situation intimidante ou offensante étaient de nature à caractériser un harcèlement sexuel et à rendre impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ».

Ce n’est pas la première fois que la Cour d’appel de Versailles est rappelée à l’ordre par la Cour de cassation en matière de harcèlement sexuel. Souvenons-nous de l’affaire Renault avec cette célèbre phrase « bon, c’est quand qu’on couche ensemble », pour laquelle la cour d’appel avait considéré cette « trop grande proximité, voire familiarité, » était sans « invitation ou provocation à caractère sexuel », position alors fermement condamnée par la Cour de cassation (Soc. 3 déc. 2014, n° 13-22.151).

Sanction disciplinaire

Mieux, rappelant l’article L. 1153-5 du code du travail, aux termes duquel « l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner » et visant l’article L. 1153-6 du code du travail, qui dispose que « tout salarié ayant procédé à des faits de harcèlement sexuel est passible d’une sanction disciplinaire », la Cour de cassation considère implicitement mais nécessairement que le harcèlement sexuel est une faute grave et que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité, ne saurait le pardonner ou le minimiser sans licencier son auteur (Soc. 17 févr. 2021, n° 19-18.149 ; 19 janv. 2012, n° 10-20.935).

Aucune tolérance pour l’auteur d’un harcèlement n’est admissible.

 

Soc. 13 mars 2024, FS-B, n° 22-20.970

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