Mention manuscrite du cautionnement et durée de l’engagement

Dans un arrêt rendu le 29 novembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient rappeler que lorsque la durée exigée dans la mention manuscrite de l’ancien article L. 341-2 du code de la consommation est absente, la nullité de l’acte est encourue sans pouvoir l’éviter en se référant à d’autres clauses pour compléter ladite mention.

Le contentieux autour de la mention manuscrite pourra-t-il un jour se tarir ? La question reste probablement attachée à un avenir incertain. L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés a, en effet, substitué à la formule à recopier servilement prévue par divers textes du code de la consommation une mention apposée plus souple qui donne actuellement un peu de mal à la pratique pour s’assurer qu’elle correspond aux exigences du nouvel article 2297 du code civil issu de la réforme et applicable au 1er janvier 2022. En attendant que la vie des affaires parvienne à trouver quelques formules ne posant pas de difficultés en jurisprudence, le droit ancien continue de poser difficulté avec une actualité importante ces derniers mois (Com. 5 avr. 2023, n° 21-20.905 FS-B, Dalloz actualité, 21 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 684  ; ibid. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers  ; 25 janv. 2023, n° 21-17.589, Dalloz actualité, 1er févr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 172  ; RTD civ. 2023. 143, obs. C. Gijsbers  ; 6 juill. 2022, n° 20-17.355, Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1308  ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers  ; RTD civ. 2022. 676, obs. C. Gijsbers ).

En ce sens, l’arrêt rendu le 29 novembre 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation permet, de nouveau, de questionner le sens et la portée des mentions manuscrites de l’ancien article L. 341-2 du code de la consommation.

Les faits à l’origine du pourvoi débutent autour d’un acte conclu le 14 décembre 2009 entre un établissement bancaire et une société afin d’accorder à cette dernière un emprunt d’une somme de 320 000 € remboursable en une durée de 84 mois. Deux personnes physiques se portent, dans ce même acte (et c’est important de le préciser), cautions solidaires du prêt à concurrence d’une somme inférieure à celle objet du prêt. La société devient défaillante et est placée sous différentes mesures (en redressement puis en liquidation judiciaires) de sorte que l’une des cautions est appelée en paiement. Celle-ci argue que son engagement doit être déclaré nul dans la mesure où la mention manuscrite recopiée dans l’acte ne précisait pas la durée de l’emprunt cautionné. En cause d’appel, les juges du fond retiennent cette argumentation et annulent le cautionnement en cause. L’établissement bancaire se pourvoit en cassation en avançant qu’un tel raisonnement viole tant l’article L. 341-2 du code de la consommation que l’ancien article 1134 du code civil, le contentieux étant en effet à la fois antérieur à la réforme du droit des sûretés et de celle du droit des obligations issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Son pourvoi sera rejeté et nous allons expliquer une telle décision s’inscrit dans la droite lignée des arrêts rendus ces derniers mois autour de la mention manuscrite.

Du caractère suffisant de la mention manuscrite pour sa compréhension

Le demandeur au pourvoi reprochait à l’arrêt d’appel de ne pas avoir considéré, au moins par la première branche de son moyen, que la mention manuscrite indiquant « pour la durée de l’emprunt » suffisait pour correspondre aux exigences de l’ancien article L. 341-2 dans sa rédaction applicable au litige, soit celle antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2006. Il avançait, en ce sens, que l’acte sous seing privé prévoyant la garantie rappelait dans d’autres clauses la durée de l’emprunt, soit de 84 mois. Ce raisonnement ne peut pas complètement emporter l’adhésion eu égard à l’intérêt de la mention manuscrite pour la personne physique qui ne lira peut-être pas l’intégralité de l’acte cautionné. La précision de la  durée était exigée par les textes antérieurs au moins pour cette raison bien qu’une certaine jurisprudence libérale ait pu exister de la part de la Cour de cassation (v. les développements de D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, 15e éd., Lextenso, coll. « Manuel », 2022, p. 132, n° 151, note 6).

Il n’en reste pas moins que l’argumentation pouvait paraître séduisante, au moins en théorie, car on sait que la même cour de cassation sait parfois sauver des mentions manuscrites de leur sort funeste depuis quelques années (sur des différences de montant qui ne concernent pas le formalisme légal, Com. 25 janv. 2023, n° 21-17.589 F-B, Dalloz actualité, 1er févr. 2023, obs. C. Hélaine ; sur l’imperfection mineure, Com. 6 juill. 2022, n° 20-17.355 F-B, Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1308  ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers  ; RTD civ. 2022. 676, obs. C. Gijsbers  ) ; sur des ajouts par rapport à la formule légale, Com. 21 avr. 2022, n° 20-23.300 F-B, Dalloz actualité, 18 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 836  ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers  ; sur l’ensemble de ces questions, v. P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 112, n° 118 spéc.). L’espoir était donc permis car une référence à la durée était faite (celle de l’emprunt), elle n’était juste pas assez précise.

Mais le pourvoi est assez rapidement balayé comme non fondé au n° 7 de l’arrêt. On notera l’importance de la partie selon laquelle la mention manuscrite doit être précise sans créer une nécessité de se reporter aux clauses imprimées de l’acte (n° 5 de l’arrêt reprenant la motivation d’appel). En somme, s’agissant de la durée, la mention doit se suffire à elle-même. La mention, toute la mention mais rien que la mention donc. L’orientation choisie est dure pour une garantie qui est contenue dans le même acte que le prêt cautionné en l’espèce… Tout ceci formait un tout dans lequel la durée était certainement rappelé seulement quelques lignes avant la mention manuscrite incomplète ou trop peu précise. Dura lex, sed lex.

L’avenir de la portée de cet arrêt interroge toutefois.

Quel avenir pour cette jurisprudence ?

La solution donnée par l’arrêt étudié ne pourra pas survivre avec le nouvel article 2297 du code civil. Ce n’est pas la fin de la mention à recopier servilement qui l’impose mais plutôt l’absence de la durée des éléments cités par cet article (v. J.-B. Seube, Droit des sûretés, Dalloz, coll. « Cours », 2023, p. 69, n° 93). Cette disparition permet de supprimer purement et simplement une partie des litiges qui ont occupé les juridictions pendant des années au profit des cautionnements à durée indéterminée (v. P. Simler, La réforme du droit des sûretés, LexisNexis, coll. « Actualités », 2022, p. 23, n° 21).

Mais, au moins méthodologiquement, l’arrêt du 29 novembre 2023 permet de comprendre comment la chambre commerciale procède. Au-delà de la durée, la Cour de cassation semble montrer une hostilité assez claire – et légitime – pour se référer à une clause du contrat afin de compléter la mention qu’impose le législateur. La mention doit concentrer l’information car elle lutte contre les lecteurs peu attentifs des engagements dangereux signés rapidement. Or, si une solution contraire avait été décidée, même pour des contrats antérieurs au 1er janvier 2022, le signal n’aurait pas été des plus adéquats pour les juges du fond qui vont devoir, ces prochaines années, mettre en place des solutions opérationnelles pour juger le caractère pertinent ou non des mentions imaginées par la pratique sur le fondement de l’article 2297 nouveau du code civil.

Le sens de l’arrêt du 29 novembre 2023 est donc intéressant non seulement sur la durée exigée par l’ancienne mention manuscrite mais également pour cerner quelle pourrait être une méthodologie de l’appréciation des mentions apposées de demain. Celle-ci pourrait impliquer de ne pas se référer à un élément extérieur à la mention pour en comprendre le sens et la portée. Rien que du très classique, en somme, mais la publication au Bulletin de l’arrêt appelle à pouvoir en tirer toutes les conséquences utiles. 

Voici donc une décision qui intéressera les praticiens du droit des sûretés. Les cautionnements antérieurs au 1er janvier 2022 dénués de mention manuscrite suffisamment précise sur la durée doivent encourir la nullité. Quant à ceux concernés par le nouvel article 2297 du code civil, la durée n’étant pas exigée, une certaine souplesse est donc permise au moins sur ce point.

 

© Lefebvre Dalloz