Mesures réglementaires sur les investissements étrangers en France
Un décret du 28 décembre 2023 pérennise le dispositif d’autorisation du franchissement du seuil de 10 % des droits de vote dans les sociétés cotées sur un marché réglementé par des investisseurs extra-européens, institué en 2020. La procédure d’autorisation des investissements étrangers en France est, par ailleurs, étendue aux prises de contrôle des succursales en France d’entités de droit étranger et aux activités de transformation et d’extraction de matières premières critiques.
Contexte
Les relations financières entre la France et l’étranger sont libres. Par exception, dans des secteurs limitativement énumérés, touchant à la défense nationale ou susceptibles de mettre en jeu l’ordre public et des activités essentielles à la garantie des intérêts du pays, l’article L. 151-3 du code monétaire et financier soumet les investissements étrangers en France (IEF) à une procédure d’autorisation préalable auprès du ministre chargé de l’Économie.
Mais la crise liée au covid-19 a conduit les pouvoirs publics à instituer des dispositifs temporaires de protection des entreprises françaises devenues, pour certaines, des proies faciles pour les investisseurs étrangers. À cette fin le décret n° 2020-892 du 22 juillet 2020 (JO 23 juill.) était venu abaisser temporairement de 25 % à 10 % le seuil d’acquisition des droits de vote (et non du capital) susceptible de déclencher le contrôle dans les sociétés françaises exerçant des activités sensibles et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé. Cette mesure restrictive ne concerne cependant que les investisseurs extra-européens (précisément ceux n’émanant pas d’un État membre de l’UE ou d’un État partie à l’accord sur l’EEE). La dérogation temporaire devait prendre fin initialement le 31 décembre 2020 (art. 1er, al. 1er), mais compte tenu du prolongement de la crise sanitaire, le décret n° 2020-1729 du 28 décembre 2020 (JO 30 déc.) avait prorogé une première fois la durée d’application du décret du 22 juillet 2020, pour la porter au 31 janvier 2021. Puis, dans la mesure où « le contexte sanitaire et économique actuel ne [permettait] cependant pas d’écarter les risques pour la sécurité nationale liés à des prises de participation minoritaires opportunistes dans les entreprises françaises cotées » (DG Trésor, 30 nov. 2021), un nouveau décret, le décret n° 2021-1758 du 22 décembre 2021 (JO 24 déc. ; BRDA 2/22, inf. 7), a prorogé une nouvelle fois la durée d’application du décret du 22 juillet 2020, qui devait s’étendre jusqu’au 31 décembre 2022.
Élargissement du champ de la procédure d’autorisation des investissements étrangers en France
Mais comme cela a été annoncé il y a un déjà (v. les vœux de Bruno Le Maire aux acteurs économiques, 5 janv. 2023), la mesure de contrôle du franchissement du seuil de 10 % des droits de vote par un investisseur extra-européen dans une société cotée est définitivement pérennisée, avec effet au 1er janvier 2024, par le décret n° 2023-1293 du 28 décembre 2023 (Décr., art. 1er, 2° ; JO 29 déc. ; C. mon. fin., art. R. 151-2, 4°, nouv.). Le champ du contrôle est également étendu. En effet, les prises de contrôle de succursales d’entités de droit étranger exerçant une activité sensible feront désormais l’objet d’un contrôle (Décr. art. 1er, 1° ; C. mon. fin., art. R. 151-2, 1°, mod.), ce, « afin de se prémunir d’éventuelles stratégies de contournement » de la réglementation des IEF (Min. de l’Économie, communiqué de presse, n° 1486, 29 déc. 2023).
En outre, de nouveaux secteurs économique sont désormais éligibles à la procédure d’autorisation des IEF (Décr., art. 2 ; C. mon. fin., art. R. 151-3). Ils sont de trois ordres :
- les activités d’extraction, de transformation et de recyclage de matières premières critiques, qui sont considérées comme « essentielles pour la protection de nos intérêts nationaux » (communiqué de presse, préc.) :
- les activités de recherche et développement dans la photonique et dans les technologies de production d’énergie bas carbone, lorsqu’elles sont destinées à être mises en œuvre dans l’un des secteurs de la réglementation ;
- les activités essentielles à la sécurité des établissements pénitentiaires.
Mesures complémentaires
Enfin, le décret comporte des mesures de simplification en matière d’exemptions pour les réorganisations intra-groupe et de révision des conditions. Ainsi, il est prévu que l’investisseur réalisant un investissement mentionné au 4° de l’article R. 151-2 (franchissement, directement ou indirectement, seul ou de concert, du seuil de 10 % de détention des droits de vote d’une société de droit français cotée sur un marché réglementé) est dispensé de la demande d’autorisation, « sous réserve que le projet d’investissement ait fait l’objet d’une notification préalable au ministre chargé de l’économie. Sauf opposition du ministre, la dispense de demande d’autorisation naît à l’issue d’un délai de dix jours ouvrés à compter de la notification « (Décr., art. 3 ; C. mon. fin., art. R. 151-5, al. 3, nouv.).
En outre, l’investisseur étranger est dispensé de la demande d’autorisation « lorsque l’investisseur en dernier ressort dans la chaîne de contrôle, au sens du II de l’article R. 151-1, avait, antérieurement à l’investissement, déjà acquis le contrôle, au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, de l’entité objet de l’investissement » (Décr. art. 3 ; C. mon. fin., art. R. 151-5, al. 3, nouv.).
Par ailleurs, on sait que l’article R. 151-9 du code monétaire et financier prévoit la possibilité de révision des conditions de l’autorisation, dès lors que certains critères sont remplis, à la demande de l’investisseur ou à l’initiative du ministre chargé de l’Économie. Le décret du 28 décembre 2023 modifie cet article, mais uniquement dans la seconde hypothèse, celle qui concerne l’hypothèse de la révision des conditions de l’autorisation à l’initiative du ministre, ce dernier pouvant fixer de nouvelles conditions ou, à l’inverse, en supprimer (art. 5 – C. mon. fin., art. R. 151-9, II, mod.). Il est prévu que les conditions fixées pour l’autorisation peuvent être révisées à l’initiative du ministre dans les cas mentionnés aux 2° et 3° du I de cet article (2° : en cas de modification de l’actionnariat de l’entité ayant fait l’objet de l’investissement ou de modification des membres de la chaîne de contrôle ; 3° : en application de l’une des conditions fixées lors de l’autorisation). Le décret du 28 décembre 2023 étend le pouvoir révision du ministre : il était prévu que « La fixation de nouvelles conditions ne [pouvait] intervenir que dans l’hypothèse de l’acquisition du contrôle, au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, par l’investisseur au sein de l’entité ayant fait l’objet de l’investissement ». Cette condition est supprimée par le nouveau décret.
Enfin, il est prévu que, désormais, les demandes d’autorisation et les demandes préalables d’examen d’une activité, les notifications, les déclarations d’investissements ayant fait l’objet d’une autorisation et toute correspondance relative aux IEF en France doivent être transmises par voie électronique selon des modalités fixées par voie d’arrêté. Ce même arrêté doit venir préciser la liste des pièces et informations à fournir à l’appui de la demande de notification prévue par le troisième alinéa de l’article R. 151-5 du code monétaire et financier (pour rappel et selon cet alinéa, introduit par le décr. du 28 déc. 2023, dans les groupes de sociétés, l’investisseur est dispensé de la demande d’autorisation sous réserve que le projet d’investissement ait fait l’objet d’une notification préalable au ministre chargé de l’Économie).
C’est un arrêté du même jour, qui modifie l’arrêté du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France, qui précise tous ces éléments. En particulier, il dévoile l’adresse à utiliser pour contacter Bercy en cas de projet d’IEF.
Ce même arrêté modifie et complète, par ailleurs, la liste des « technologies critiques » mentionnées au 1° du III de l’article R. 151-3 du code monétaire et financier, les IEF portant sur ces technologies étant, en effet, soumises à autorisation du ministre : la référence à l’« énergie renouvelable » est remplacée par celle à l’« énergie bas carbone », tandis que la liste des technologies critiques est logiquement étendue à la photonique.
© Lefebvre Dalloz