Mise en place de l’expérimentation des tribunaux des activités économiques
Prévue par l’article 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, l’expérimentation des tribunaux des activités économiques (TAE) a été précisée pendant l’été par trois textes : le décret n° 2024-674 du 3 juillet 2024, et deux arrêtés du garde des Sceaux des 5 et 25 juillet 2024. Cette expérimentation s’appliquera pendant quatre ans à compter du 1er janvier 2025 à douze tribunaux de commerce renommés TAE. Un décret est attendu pour préciser la deuxième facette de l’expérimentation, celle des modalités de la contribution pour la justice économique prévue par l’article 27 de la même loi.
Les vacances judiciaires terminées, la rentrée s’annonce chargée pour les douze tribunaux de commerce qui ont été désignés TAE dans le cadre de l’expérimentation prévue par l’article 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023. Les modalités de sa mise en œuvre ont été précisées pendant l’été par le décret n° 2024-674 du 3 juillet 2024 ainsi que par deux arrêtés du garde des Sceaux, l’un du 5 juillet 2024, et l’autre du 25 juillet 2024. Les chefs des juridictions concernées doivent donc commencer à informer les parties prenantes « de la date de début de cette expérimentation ainsi que de son contenu, en particulier s’agissant de la compétence matérielle et territoriale de chaque tribunal des activités économiques » (Décr. n° 2024-674 du 3 juill. 2024, art. 1er). À compter du 1er janvier 2025, ces juridictions seront en effet compétentes pour connaître de toutes les procédures amiables et collectives, à l’exception de celles concernant les professions libérales réglementées en droit visées par le second alinéa de l’article L. 722-6-1 du code de commerce (avocats, notaires, commissaires de justice, greffiers des tribunaux de commerce, administrateurs et mandataires judiciaires). Les TAE bénéficieront ainsi d’une compétence étendue aux professions relevant jusque-là de la compétence des tribunaux judiciaires (exploitants agricoles et personnes morales non commerçantes telles que les associations, les SCI et les professions libérales). La compétence des TAE est également élargie aux baux commerciaux pour les actions et les contestations nées d’une procédure collective ou présentant avec celle-ci « des liens de connexité suffisants » (Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023, art. 26, II, al. 6).
Les tribunaux de commerce désignés pour l’expérimentation
Depuis l’adoption de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, une question agitait les chefs de juridictions consulaires, celle de savoir si leurs juridictions seraient choisies pour l’expérimentation. L’arrêté du 5 juillet 2024 a mis fin à plusieurs mois d’attente en révélant les douze tribunaux de commerce désignés : Marseille, Le Mans, Limoges, Lyon, Nancy, Avignon, Auxerre, Paris, Saint-Brieuc, Le Havre, Nanterre et Versailles. Une répartition selon la taille des juridictions semble avoir été respectée (sur cette idée de répartition par taille, v. Rapport du comité des États généraux de la justice, Rendre justice aux citoyens, p. 183 ; v. égal., K. Lemercier et F. Mercier, Rapport du comité des États généraux de la justice : propositions pour une réforme de la justice économique, Dalloz actualité, 6 sept. 2022) puisque quatre juridictions (Lyon, Marseille, Nanterre et Paris) sont des tribunaux de commerce spécialisés (C. com., art. D. 721-19 et annexes 7-1-1 et 7-1-2), sept sont de taille intermédiaire (Le Havre, Le Mans, Limoges, Nancy, Saint-Brieuc, Versailles et Avignon), et une est de taille plus petite (Auxerre). Le sujet de la répartition par taille des juridictions n’est d’ailleurs pas anodin pour la carte judiciaire. Le rapport du comité des États généraux de la justice avait ainsi souligné qu’« en cas de transformation en tribunal des affaires économiques, les " petits tribunaux " pourraient être rattachés – sans être supprimés – à des tribunaux de taille plus importante » (Rapport du comité des États généraux de la justice, préc., t. 3, annexe 15, p. 32).
En raison de l’extension de compétence, les tribunaux judiciaires dont le ressort correspond à celui du TAE ne seront donc plus compétents pour connaître des procédures amiables et collectives, à l’exception de celles ouvertes à l’encontre des professions libérales réglementées en droit. Cela concerne les tribunaux judiciaires des villes énoncées précédemment, exception faite pour Avignon qui comprend deux tribunaux judiciaires (Avignon et Carpentras) dans le ressort du TAE concerné, soit un total de treize tribunaux judiciaires impactés par l’expérimentation. Toutefois, dans la mesure où l’expérimentation ne s’applique qu’à compter du 1er janvier 2025, les tribunaux judiciaires restent compétents pour toutes les procédures ouvertes avant cette date dès lors qu’elles relèvent de leur compétence d’attribution (Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023, art. 26, III, al. 1er, par une lecture a contrario). Rappelons enfin que la désignation n’emporte pas de modification pour les greffes des tribunaux de commerce concernés ; ils deviendront ipso facto ceux des TAE (Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023, art. 26, I, al. 11).
La mise en place d’assesseurs agricoles dans la composition du TAE
La mise en place d’une juridiction aux compétences élargies soulevait inévitablement la question de la représentativité des nouveaux justiciables puisqu’il est de l’essence de la justice consulaire qu’elle soit rendue par les pairs. C’est d’ailleurs dans cet esprit que le décret n° 2021-144 du 11 février 2021 (JO 12 févr.) avait intégré les chambres des métiers et de l’artisanat dans le collège électoral des juges des tribunaux de commerce (C. com., art. L. 723-1) à la suite de l’extension de compétence des tribunaux de commerce aux artisans (Loi n° 2016-1547 du 18 nov. 2016). C’est dans le même esprit que la composition du TAE comprendra des juges exerçant la profession d’exploitants agricoles pendant le temps de l’expérimentation (Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023, art. 26, I). L’arrêté du garde des Sceaux du 25 juillet 2024 est ainsi venu préciser le nombre d’assesseurs exploitants agricoles par TAE.
Le statut des juges exerçant la profession d’exploitants agricoles (éligibilité, formation, déontologie, protection professionnelle, sanctions disciplinaires) emprunte pour l’essentiel à celui des juges élus du tribunal de commerce (par application des al. 2 à 10 de l’art. 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023 et de l’art. 5 du décr. n° 2024-674 du 3 juill. 2024) sans être tout à fait le même puisqu’ils siègeront en qualité d’assesseurs. Cette qualité a plusieurs incidences. D’abord, elle a une incidence sur leur nomination puisqu’ils ne sont pas élus mais nommés par le ministre de la Justice, et choisis sur une liste établie par le premier président de la cour d’appel sur proposition de la chambre d’agriculture départementale. Ensuite, l’article 5, 10°, du décret n° 2024-674 du 3 juillet 2024 précise que les assesseurs exploitants agricoles peuvent assister, « avec voix consultative », aux assemblées générales du TAE. Ils ne pourront donc, par exemple, pas voter lors de l’élection du président du TAE (C. com., art. L. 722-11, al. 2). Enfin, ils ne peuvent eux-mêmes être président du tribunal, et ce pour deux raisons. La première résulte de leur rôle lié à la qualité d’assesseur : ils assistent le juge qui préside l’audience. La seconde résulte de l’alinéa 3 de l’article 26, I, de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, lequel ne prévoit pas l’application des dispositions qui régissent le statut du président du tribunal de commerce (C. com., art. L. 722-11 à L. 722-13). En revanche, ils pourront occuper les fonctions de juge-commissaire dans le respect des conditions de désignation imposées à tout juge puisque les différentes dispositions relatives au statut des juges des tribunaux de commerce – parmi lesquelles figure la désignation du juge commissaire – sont visées pour la détermination de son statut (Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023, art. 26, I, al. 3). Ils doivent donc avoir exercé pendant deux ans au moins des fonctions judiciaires (C. com., art. L. 722-14) sauf si une décision du premier président de la cour d’appel y déroge (C. com., art. L. 722-15).
Pour accompagner la mise en œuvre de l’expérimentation, le décret n° 2024-674 du 3 juillet 2024 prévoit un comité de pilotage. Il sera composé de quinze personnes comprenant principalement des professionnels de la justice qui participeront à l’expérimentation (v. art. 2, I du décr. n° 2024-674 du 3 juill. 2024 pour la liste précise des différents membres). Ce comité de pilotage a d’abord pour mission d’élaborer rapidement deux documents qui seront transmis aux chefs de cour : un premier document destiné à informer les justiciables de l’expérimentation (avant le 1er oct. 2024) et un second document qui servira de questionnaire de satisfaction (avant le 1er janv. 2025). Il est notamment précisé que ce questionnaire devra être adapté à chaque catégorie de justiciable. La précision est importante car elle permet de prendre en compte la pluralité des justiciables. La connaissance de la justice consulaire, la relation avec les juges ou les auxiliaires de justice et plus simplement les attentes du justiciable ne sont en effet pas les mêmes selon son secteur d’activité (s’il est, par ex., commerçant ou agriculteur), selon la taille de son entreprise, ou si un administrateur judiciaire a été désigné à l’ouverture de la procédure collective. Le comité devra ensuite se réunir régulièrement pour suivre l’expérimentation et, le cas échéant, recommander des bonnes pratiques, voire proposer des évolutions réglementaires ou organisationnelles (Décr. n° 2024-674 du 3 juill. 2024, art. 2, II).
Les mêmes membres de ce comité composeront en partie le comité d’évaluation enrichi de leurs homologues qui n’expérimentent pas le TAE (v. art. 3, I du décr. n° 2024-674 du 3 juill. 2024 pour la liste précise des différents membres), ainsi que de deux députés et deux sénateurs à parité entre les hommes et les femmes. Ce comité aura principalement pour mission d’élaborer le rapport d’évaluation sur l’expérimentation (Décr. n° 2024-674 du 3 juill. 2024, art. 4), lequel devra être adressé au garde des sceaux au moins huit mois avant le terme de l’expérimentation (Décr. n° 2024-674 du 3 juill. 2024, art. 4, II). Le rapport d’évaluation devra notamment indiquer le nombre d’actions et de contestations relatives aux baux commerciaux « pour lesquelles les tribunaux des activités économiques se sont reconnus compétents et les motifs retenus pour caractériser les liens de connexité avec la procédure » (Décr. n° 2024-674 du 3 juill. 2024, art. 4, al. I, 5°, b), le critère de « connexité » risquant en l’occurrence d’être d’un maniement difficile (F. Kendérian, Le transfert au tribunal des activités économiques du contentieux du bail commercial en lien avec les procédures collectives : une fausse bonne idée, D. 2024. 130
, spéc. n° 11). Il devra également, aux fins de comparaison entre les TAE, indiquer la durée des procédures collectives (la question étant particulièrement surveillée pour la liquidation judiciaire), le taux de réformation des décisions et le recours au règlement amiable agricole comme préalable à l’ouverture d’une procédure du livre VI du code de commerce. Au-delà, il devra identifier les perspectives d’évolution, tant sur les questions de compétence que sur celles de la composition, et émettre d’éventuelles recommandations, notamment l’opportunité d’une généralisation des TAE à l’issue de l’expérimentation (Décr. n° 2024-674 du 3 juill. 2024, art. 4, I, 3°).
Si l’expérimentation des TAE peut laisser un sentiment d’incomplétude (v. J. Jourdan-Marques, Le tribunal des activités économiques : une chimère ?, D. 2024. 735
), elle présente toutefois l’intérêt majeur de présenter aux justiciables « un bloc de compétences unique, plus facilement lisible » en matière d’insolvabilité (Circ. de présentation de la loi d’orientation et de programmation pour le ministère de la Justice 2023-2027, JUST 2332699C). Le rapport d’évaluation permettra de le vérifier. Il s’agit par ailleurs bien d’une expérimentation, et comme telle, elle a vocation à évoluer.
Décr. n° 2024-674, 3 juill. 2024, JO 5 juill.
Arr. 5 juill. 2024, JO 6 juill.
Arr. 25 juill. 2024, JO 3 août
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