Missives contenant des stupéfiants : l’expéditeur a intérêt à agir en nullité…mais doit invoquer un grief
Le mis en examen identifié comme expéditeur d’enveloppes contenant des stupéfiants a intérêt à demander la nullité des opérations de saisie. Encore faut-il, néanmoins, qu’il invoque un grief distinct de la seule saisie des stupéfiants.
Saisie d’enveloppes contenant des stupéfiants dans un bureau de poste
Des fonctionnaires de police sont avisés d’une suspicion de découverte de produits stupéfiants dans un bureau de poste. Sur place, après avoir ouvert une enveloppe et y avoir découvert du cannabis, ils saisissent vingt enveloppes. Moins d’une heure plus tard, ils sont appelés dans un autre bureau de poste, où ils procèdent à la saisie de dix enveloppes dans les mêmes circonstances. L’exploitation de la vidéosurveillance permet d’identifier l’individu les ayant expédiées. L’enquête se poursuit en préliminaire, et les enquêteurs procèdent à l’ouverture des enveloppes et à la pesée de stupéfiants. Une information est ensuite ouverte du chef d’infraction à la législation sur les stupéfiants, dans laquelle l’individu reconnu sur la vidéosurveillance est mis en examen, et reconnaît devant le juge d’instruction être l’expéditeur de ces enveloppes.
Une requête en nullité visant les conditions d’ouverture des enveloppes dans le bureau de poste est déposée par le mis en examen.
Irrecevabilité opposée au mis en examen, expéditeur des enveloppes, compte tenu de leur contenu illicite
La chambre de l’instruction déclare irrecevable ce moyen de nullité, faute de qualité à agir, en se fondant notamment sur le caractère illicite du contenu des enveloppes et les livraisons clandestines qu’elles avaient vocation à accomplir, pour exclure l’existence de « correspondances » protégées. Le demandeur au pourvoi conteste cette position à travers son moyen de cassation, en mobilisant les deux articles du code de procédure pénale consacrés à la recevabilité des demandes de nullité (C. pr. pén., art. 171 et 802) ainsi que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège la vie privée mais également la correspondance.
Inopérance du moyen tiré de la violation de la compétence des OPJ pour procéder à la perquisition, la règle étant sans lien avec la protection de la vie privée
S’agissant du premier moyen de nullité qui était soumis à la chambre de l’instruction, et qui consistait à critiquer la perquisition pour avoir été opérée par un agent ne présentant pas la qualité d’officier de police judiciaire, en violation de l’article 56 du code de procédure pénale, la chambre criminelle précise que « cette disposition tend à garantir la bonne administration de la preuve » (ce qui n’est pas inutile pour aiguiller le requérant quant au grief à invoquer lorsqu’il soulève une violation de ce texte – probablement une contestation quant à l’authenticité des éléments recueillis, mais pas une atteinte à la vie privée). En conséquence de quoi elle juge que le moyen, qui se prévaut de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, est inopérant.
Rejet du moyen tiré de la violation du principe de l’assentiment exprès ou d’une décision du JLD pour ouvrir des enveloppes, faute de grief invoqué par le demandeur
S’agissant du second moyen, la Cour de cassation rappelle la substance de l’article 8 de la Convention, et le principe de l’interdiction des perquisitions sans assentiment exprès de la personne concernée ou décision du JLD en enquête préliminaire, posé à l’article 76 du code de procédure pénale. Elle poursuit en évoquant une ancienne jurisprudence rendue à l’occasion d’une procédure douanière, selon laquelle la saisie d’une correspondance postale adressée à un particulier pour procéder à l’ouverture des enveloppes et au contrôle de leur contenu est assimilable à une perquisition ou visite domiciliaire (Crim. 4 mars 1991, n° 90-82.002 P, Gaz. Pal. 29-30 mai 1992, obs. Pannier). La Cour de cassation en déduit qu’à défaut d’un texte l’autorisant expressément, une telle saisie entre dans le champ matériel de l’article 76 du code de procédure pénale et ne peut être effectuée qu’avec l’accord de l’intéressé ou une autorisation du JLD. C’est donc à tort que les juges ont énoncé que le mis en examen n’était pas recevable à critiquer la régularité de l’ouverture des enveloppes faute d’accord de sa part ou de décision du JLD, après avoir constaté qu’il en était l’expéditeur effectif, de sorte qu’il résultait d’éléments objectifs de la procédure qu’il disposait d’un droit propre sur celles-ci. La chambre criminelle renvoie à un arrêt ayant jugé recevable le moyen tiré de la violation dispositions relatives à la captation des données informatiques par des requérants ne revendiquant pas l’usage d’un téléphone crypté, dès lors que cet usage avait été constaté par les enquêteurs (Crim. 25 oct. 2022, n° 21-85.763 B, Dalloz actualité, 14 nov. 2022, obs. J. Pidoux ; ibid. 15 nov. 2022, obs. J. Pidoux ; D. 2023. 1833
, note M. Lassalle
; ibid. 1488, obs. J.-B. Perrier
; AJ pénal 2022. 586, obs. P. de Combles de Nayves
; v. égal., pour une captation d’images à l’intérieur d’un parking, condition pour la recevabilité d’un moyen tiré de la nullité de cette captation, Crim. 5 mars 2024, n° 23-83.817).
Le moyen de nullité soumis à la chambre de l’instruction était donc recevable, nonobstant le fait que les correspondances constituaient en réalité le moyen de commettre une infraction. Mais la chambre criminelle rejette néanmoins le moyen du pourvoi. Elle considère en effet qu’« en cas de non-respect de ces dispositions, il appartient au requérant d’établir qu’un tel acte lui a causé un grief », et que le demandeur n’allègue pas un grief distinct de celui qui résulte de la seule saisie des produits stupéfiants.
Crim. 13 févr. 2024, FS-B, n° 23-82.950
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