Modalités de fixation du prix d’un lot de copropriété préempté

Le prix du bien préempté, qui doit être fixé d’après sa consistance au jour du jugement de première instance, prend en compte, s’agissant de biens situés dans un immeuble en copropriété, l’état des parties privatives et des parties communes, même si la dégradation de ces dernières résulte de l’arrêt de tous travaux de rénovation et d’entretien après la création de la zone d’aménagement différé.

Préemption d’un lot de copropriété situé dans une zone d’aménagement différé

Le propriétaire d’un lot au sein d’une copropriété située dans une zone d’aménagement différé (ZAD) a notifié une déclaration d’intention d’aliéner à la commune concernée. L’établissement public foncier local (EPF) délégataire du droit de préemption a décidé de préempter le bien. Il a ensuite saisi le juge de l’expropriation afin d’en fixer le prix d’acquisition car les parties n’avaient pas réussi à trouver un terrain d’entente.

L’EPF finit par se pourvoir en cassation, reprochant à la cour d’appel de sous-évaluer le montant du lot préempté (Aix-en-Provence, 5 oct. 2023, n° 22/00044). Il estime en effet que le prix du bien a été mal fixé puisque la consistance matérielle de ce dernier a été estimée au moment de la décision de première instance, sans prendre en compte l’état dégradé du bâtiment et des parties communes. La cour a jugé que l’acheteur n’apportait pas la preuve d’une évaluation fondamentalement insuffisante de la part du premier degré de juridiction au regard de la valeur du lot.

Les juges d’Aix-en-Provence ont en effet observé que le délabrement découlait de la création de la ZAD par l’expropriant, bloquant l’entièreté des travaux de rénovation et d’entretien. Ainsi et sur le fondement de la violation de l’article L. 322-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le requérant fait grief à l’arrêt de déclarer que l’état de dégradation n’était pas la conséquence d’une carence du propriétaire du bien préempté, alors qu’il importe peu de savoir « qu’il ne soit pas imputable à l’exproprié ou qu’il soit la conséquence de la création de la zone d’aménagement différé, ces circonstances étant étrangères à la consistance du bien ».

Prise en compte du délabrement du bâtiment

La troisième chambre civile commence par rappeler la règle consacrée par l’article L. 213-4 du code de l’urbanisme, selon laquelle, en l’absence d’accord amiable, le montant du bien préempté est « exclusif de toute indemnité accessoire », et déterminé au regard des principes applicables en matière d’expropriation (Civ. 3e, 14 févr. 1996, n° 94-70.249, D. 1997. 153 , obs. F. Catalano ; AJDI 1996. 486 , obs. C. M. ). Enfin, elle cite l’article L. 322-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, au visa duquel « le juge fixe le montant des indemnités d’après la consistance des biens à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété » (Civ. 3e, 13 juill. 1993, n° 91-70.058, AJDI 1993. 866 , obs. C. M. ; RDI 1993. 495, obs. C. Morel et F. Lamy ; ibid. 1994. 424, obs. B. du Marais et C. Morel ; 19 mars 2020, n° 19-11.463, AJDI 2021. 375 , obs. H. Heugas-Darraspen ; ibid. 2020. 694 ).

Dès lors, le prix du bien préempté dans un immeuble en copropriété doit :

  • être établi en fonction de sa consistance au jour du jugement de première instance ;
  • tenir compte de l’état des parties privatives et communes ;
  • faire abstraction des causes de leur potentielle dégradation (même lorsqu’elle serait engendrée par la création de la ZAD empêchant travaux de rénovation et d’entretien).

Dans la solution rapportée, les juges du quai de l’Horloge affirment que ceux du second degré ont violé les articles mentionnés supra en jugeant que le délabrement du bâtiment n’avait pas à être pris en considération dans la fixation du prix de vente, étant donné que le propriétaire n’en était pas à l’origine. Le fait que l’état abîmé du lot soit le résultat de la création de la ZAD dans le but, pour l’expropriant, d’ériger une réserve foncière ainsi que l’acquisition de lots de copropriété importe peu. La Haute juridiction infirme l’arrêt d’appel.

En définitive, dans l’évaluation du coût d’acquisition, le jugement de fixation du prix doit considérer l’état du lot préempté, mais ignorer la cause du mauvais état, si tel est le cas. Même si elle provient de la mise en œuvre, par l’expropriant, de la zone d’aménagement (et non de la négligence du propriétaire), la dégradation du bâtiment et des parties communes n’a aucun impact sur la baisse du prix de vente.

La puissance publique est gagnante : elle peut paralyser un particulier dans la mise en œuvre de travaux de rénovation, puis préempter le bien déprécié. Cette décision de censure se fait le reflet de la préservation, par la Cour régulatrice, des prérogatives exorbitantes du droit commun que possède l’administration, justifiées par la volonté de satisfaire l’intérêt général (v. en ce sens, Civ. 3e, 5 juill. 2018, n° 17-20.033).

 

Civ. 3e, 3 avr. 2025, FS-B, n° 23-23.206

© Lefebvre Dalloz