Mode éditorial participatif : demandes d’annulation pour dol et de résiliation des contrats rejetées

Entre 2013 et 2016, une dizaine d’auteurs ont signé des contrats « de publication d’œuvre littéraire » avec une maison d’édition. Invoquant des manœuvres dolosives à propos notamment de la qualité d’« éditeur » (celui-ci était auparavant responsable d’une société de pneumatiques, soupçonné d’escroquerie) et quant à la nature du contrat (ils pensaient avoir signé un contrat d’édition, qui était un contrat de compte à demi), ils saisissent la cour en vue de les annuler, ou, à titre subsidiaire, de les résilier, mais leur demande est rejetée, faute de preuves suffisantes.

Nommés contrats de « publication d’une œuvre littéraire », les contrats prévoyaient en l’espèce la prise en charge par l’auteur d’une partie du coût total de l’édition « à hauteur de 4 000 € », un règlement de 2 000 € étant prévu « à la signature du contrat », le solde de 2 000 € étant, selon les contrats, versé « au moment de la signature du bon à tirer », laissant penser à un contrat de compte à demi, ce qui était problématique pour les auteurs qui pensaient avoir signé un contrat d’édition.

Les appelants soulevaient le dol en vue d’annuler les contrats et, à titre subsidiaire, ils invoquaient certains manquements contractuels afin d’obtenir, à défaut d’annulation, une résiliation des contrats litigieux. Il leur fallait toutefois convaincre la cour de la recevabilité des demandes à cause d’une clause de conciliation qui n’aurait, semble-t-il, pas été respectée, selon le jugement de première instance.

Clause de conciliation et recevabilité des demandes

La cour s’interrogeait d’abord sur la recevabilité des demandes de nullité des contrats pour dol présentées pour la première fois en cause d’appel, puisque le tribunal avait été saisi uniquement d’une demande de résiliation judiciaire des contrats et de remise des redditions de compte qu’il avait jugé irrecevable « faute de respect de la clause de conciliation préalable et obligatoire prévue au contrat ». Cela soulevait donc deux questions : pouvaient-ils défendre, pour la première fois en appel, l’annulation au motif de manœuvres dolosives ? Pouvaient-ils agir à défaut d’avoir au préalable tenté une conciliation, comme le contrat l’indiquait pourtant ?

Les demandeurs soulèvent que leur objectif « était la cessation des effets du contrat et l’obtention de dommages et intérêts », dès lors la nullité des contrats sollicitée en cause d’appel ne constituait pas une prétention nouvelle, mais un moyen tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge (indemnisation des préjudices subis et privation d’effet des contrats, à l’appui de l’art. 565 c. pr. civ.). Ils avouent une certaine « maladresse de rédaction et une confusion entre le régime de la résiliation et de la nullité des contrats ». La cour leur reconnaît donc que « l’ambiguïté de ces demandes permet de considérer que, devant le tribunal, les demandeurs recherchaient par leurs demandes de résiliation des contrats, l’anéantissement de ceux-ci et tendaient aux mêmes fins que la demande de nullité desdits contrats pour vice du consentement présentées devant la cour ».

À propos de la clause de conciliation, les contrats stipulaient que « tout différend pouvant naître à l’occasion du contrat sera soumis au tribunal du lieu où est situé le siège social de l’éditeur. Préalablement à tout recours devant le tribunal, le différend donnera lieu à une tentative de conciliation entre les parties ». Sur ce point, la décision de la cour d’appel est aussi à l’abri de la critique : « cette clause est rédigée en termes très généraux et prévoit simplement une tentative de conciliation sans plus de précisions. Cette clause qui n’est pas suffisamment claire et précise et s’apparente à une clause de style ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir ». Les demandes des auteurs sont recevables et le jugement est infirmé, mais c’est le seul point sur lequel les appelants sont parvenus à convaincre la cour d’appel.

Demande d’annulation pour dol

Les auteurs soulevaient un vice de consentement généré par des manœuvres dolosives de la part de l’éditeur. Rappelons d’abord que l’article 1116 du code civil dans sa version applicable au litige prévoyait que : « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé ».

Il appartenait donc aux auteurs de démontrer le vice des consentements et ceux-là pointaient notamment une manœuvre quant à la qualité de leur cocontractant, quant à la qualité littéraire des ouvrages, au nombre d’impressions d’exemplaires et canaux de diffusion ainsi que sur le budget publicitaire et quant à la nature du contrat soumis aux auteurs.

Sur la qualité du cocontractant, il est vrai que les circonstances n’étaient pas banales, puisque la maison d’édition était, à sa création, une entreprise de pneumatiques dont l’objet social avait été transformé trois ans après sa création, et un an avant la signature des premiers contrats. En outre, selon les appelants, le dirigeant se présentait comme un directeur riche d’une solide expérience dans le domaine du livre. Il aurait utilisé un pseudonyme derrière lequel se cachait un actionnaire « qui ne disposait d’aucune expérience dans le milieu de l’édition et condamné pour escroquerie ».

Sur la qualité du travail éditorial, les auteurs rapportaient que le dirigeant était le seul interlocuteur avec lequel ils échangeaient par téléphone. Ce dernier indiquait pourtant l’existence d’un « comité de lecture » composé de cent trente membres, mais rien n’était clair en pratique et les manuscrits étaient validés dès le lendemain de leur envoi… D’ailleurs tous étaient acceptés et « édités à bas coût, avec de nombreuses erreurs et sans l’ensemble des mentions légales obligatoires ». Ils « étaient uniquement disponibles à la demande ».

Enfin, la nature des contrats est aussi très floue. D’un côté, les appelants étaient persuadés d’avoir signé des contrats d’édition, ce qui pouvait se défendre dans la mesure où l’une des clauses du contrat prévoyait que « les tirages seront effectués par l’éditeur pendant toute la durée du présent contrat d’édition » (nous soulignons). D’un autre côté, ceux-là étaient nommés contrats de « publication d’une œuvre littéraire » et prévoyaient la prise en charge par l’auteur d’une participation au coût total de l’édition « à hauteur de 4 000 € ». Le directeur de publication aurait simplement indiqué aux auteurs qu’il ne s’agissait pas d’un « contrat à compte d’auteur », puisque les sommes engagées étaient censées être récupérées dès le début de la commercialisation… Une lettre d’information jointe au contrat présentait celui-ci comme une innovation dénommée « mode éditorial participatif », nous laissant penser que cet ovni juridique n’en est finalement pas un, étant probablement requalifiable en contrat de compte à demi.

À titre de preuves, les auteurs rapportaient plusieurs échanges téléphoniques avec le directeur de publication au cours desquels ce dernier leur faisait diverses promesses à propos des investissements et des moyens qu’il allait fournir pour la diffusion des ouvrages. Ils s’appuyaient sur des extraits de blog et des copies de pages de sites web, mais la cour rejette leur demande en considérant que les escroqueries ne sont pas établies ou inopérantes à caractériser des manœuvres dolosives. Elle ajoute que les circonstances de fixation des pages internet sont inconnues de la cour, que l’attestation de l’un des auteurs ne procède que par suppositions et ne peut être retenue faute de valeur probante. En somme, il y a bien des faits, mais il manque les preuves.

La cour conclut que « la condamnation réelle ou supposée [du dirigeant] pour escroquerie dans une affaire totalement étrangère à celle dont est saisie la cour est indifférente comme le changement d’objet social de la société ». En conséquence, « aucun mensonge ni manœuvres de la société éditrice sans lesquels les auteurs n’auraient pas contracté ne sont établis par les appelants et leurs demandes tendant à la nullité des contrats pour vice du consentement doivent être rejetées ».

La décision est très sévère à deux égards. D’une part, il y avait de quoi douter de l’expérience ancienne et solide de l’éditeur puisqu’il dirigeait un an avant la signature des premiers contrats une société spécialisée dans les pneumatiques. On peut aimer les livres et les auteurs, cela ne nous donne pas automatiquement toutes les compétences requises pour être un éditeur ! Et sans doute qu’à défaut de pouvoir prouver les « manœuvres intellectuelles » du directeur de publication (lesquelles ont déjà donné lieu à l’annulation de contrats dans d’autres affaires, v. à propos de l’expérience d’un franchiseur et à la qualité de la formation dispensée, Civ. 1re, 8 déc. 2009, n° 08-16.471, Dalloz actualité, 18 déc. 2009, obs. I. Gallmeister ; D. 2010. 15 ; LPA 1er mars 2010, note Brusorio-Aillaud), on aurait pu lui reprocher son silence, sa réticence à prévenir les auteurs de sa jeune expérience ou de la transformation récente de l’objet social de sa société, une sorte de réticence dissimulant à ses cocontractants un fait qui, s’il avait été connu d’eux, les auraient, peut-être, empêché de contracter. Mais l’on voit bien que juridiquement, l’argument est faible puisqu’il n’existe pas, et heureusement, d’obligation d’informer ses futurs cocontractants de son entrée récente en carrière…

D’autre part, et c’est surtout sur ce point que la décision est sévère, la nature du contrat présentée par l’éditeur n’est pas claire du tout. Le problème est que si dans le monde du livre, le contrat le plus fréquent et le plus connu est bien le contrat d’édition, il pullule de plus en plus de contrats s’apparentant à des contrats d’édition, sans en être. Et si les faits sont curieux, le monde du livre y est souvent confronté, malheureusement. Entre le contrat à compte d’auteur, le contrat de compte à demi et le contrat d’édition, il y a de quoi s’y perdre surtout quand l’interlocuteur se présente comme un « éditeur » et que l’auteur, encore dépourvu d’expérience, lui confie – et c’est souvent ce cas – son tout premier ouvrage.

Pour rappel, le contrat d’édition est « le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre ou de la réaliser ou faire réaliser sous une forme numérique, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion » (CPI, art. 132-1). Dès lors, si l’auteur reçoit la proposition d’une publication, mais qu’on lui demande de verser une somme d’argent, quel que soit le montant, quelle que soit la raison (correction, maquette, impression), c’est qu’il n’est pas face à un contrat d’édition.

Dans cette affaire, le directeur de publication parlait de « mode éditorial participatif ». Or, cette sémantique fait illusion, puisqu’elle pourrait impliquer l’idée que l’auteur et l’éditeur collaborent et décident en commun de toutes les étapes indispensables à la production de l’ouvrage alors que l’une des parties, se faisant pourtant appeler « l’éditeur », échappe aux obligations légales qu’il devrait respecter s’il était engagé dans un contrat d’édition.

On peut soulever la question de savoir si la notion d’éditeur ne devrait pas être écartée lorsque le contrat n’est pas un contrat d’édition. À tort, selon nous, elle est utilisée pour la définition légale du contrat à compte d’auteur (CPI, art. L. 132-2) et pour la définition du contrat de compte à demi (CPI, art. L. 132-3), car dans les deux situations, le cocontractant n’édite pas « conformément aux usages de la profession ».

Il n’est soumis à aucune obligation de transparence, aucune obligation d’exploiter de façon permanente et suivie l’œuvre, de rendre compte, de fournir à l’auteur toutes justifications propres à établir l’exactitude de ses comptes. Son rôle l’apparente plutôt à un prestataire de services, mais il n’est pas l’éditeur tenu par les obligations du code de la propriété intellectuelle incombant aux éditeurs engagés dans des contrats d’édition.

Il est évident que les auteurs auraient dû être plus précautionneux. La somme d’argent à débourser était un indicateur clair, et la rapidité avec laquelle ils ont reçu une réponse positive de la part du soi-disant « comité de lecture » (dès le lendemain de l’envoi de leur manuscrit) était aussi un signe.

Leur manque d’expérience, pour ne pas dire leur naïveté, leur coûte cher, d’autant plus que les contrats dans lesquels ils sont engagés sont si peu contraignants pour le directeur de publication, qu’une inexécution fautive était tout aussi difficile à prouver que des manœuvres dolosives…

Demande de résiliation

À titre subsidiaire, les appelants demandaient la résiliation des contrats litigieux aux torts exclusifs de la société du fait de l’inexécution contractuelle fautive. Ils invoquent des manœuvres déloyales pour amener les auteurs à contracter, des mensonges quant au fonctionnement de la société ; un encaissement de 2 000 ou 4 000 € alors qu’aucune somme n’a été ensuite investie dans la distribution et la commercialisation des ouvrages ; une absence de reddition de comptes sous des prétextes fallacieux ; une impossibilité de joindre l’éditeur après la signature des contrats ; des tirages ridicules en violation des engagements contractuels ; un faible nombre de séances de dédicaces ou de publicité organisées ; une absence de déclaration des ouvrages auprès de la Bibliothèque nationale de France (BNF) et le fait qu’aucune librairie avait reçu d’exemplaires desdits ouvrages ; une distribution sur un seul canal : celui du site internet.

Après un rappel court de quelques circonstances, la cour souligne que « s’il existe une différence entre le nombre des tirages prévu aux contrats et celui déclaré à la BNF par la société éditrice, les redditions de compte adressées aux auteurs font état de ventes supérieures au nombre de tirages déclaré, certaines mentionnant la vente de plusieurs centaines d’exemplaires (livre broché), chiffres supérieurs au nombre de tirages déclaré à la BNF ». Elle ajoute que « s’il peut être déduit de cette différence que les ouvrages étaient tirés à la demande, ce manquement n’est pas d’une gravité telle qu’il justifierait la résiliation du contrat aux torts de la société éditrice (…) ». Les éléments fournis montrent que la société leur a adressé des redditions de comptes contrairement à ce qu’ils soutiennent, « ceux-ci alléguant sans aucune démonstration que ces redditions de compte sont incohérentes et fausses ».

Selon la cour, les auteurs ne parviennent pas à démontrer ni le défaut d’investissement des sommes versées dans la distribution et la commercialisation des ouvrages (aucun élément ne démontre que les ouvrages n’étaient pas distribués en librairie) ni la mauvaise qualité de l’impression (la seule pièce fournie au débat serait un montage comparant des extraits de l’ouvrage édité par la société et une impression de ce même ouvrage réalisée en Thaïlande). Bref, on comprend à demi-mot que le dossier des appelants n’était pas suffisamment étoffé de pièces prouvant le manque de diligence du prestataire. Il en résulte que les appelants échouent à démontrer un manquement contractuel et qu’ils sont déboutés de leur demande de résiliation.

Conclusion

La vraie leçon de cette affaire est que les auteurs, mais aussi les éditeurs, ont besoin d’une vraie clarification de la notion d’éditeur. Et en ce sens, de la même manière que le décret n° 2015-810 du 2 juillet 2015 relatif à la qualité d’artisan permet de réglementer certaines professions, on pourrait imaginer un système plus transparent afin que la notion d’éditeur ne soit réservée qu’aux seuls signataires d’un contrat d’édition.

Du côté des auteurs, de nombreuses campagnes participatives lancées par des maisons dites « d’édition » sont vendues à l’auteur comme un moyen de « mobiliser une communauté » autour du projet et de garantir une publication, mais en réalité, l’auteur finit par solliciter son propre réseau personnel (amis, famille, collègues, etc.) pour atteindre un certain montant nécessaire à la publication. L’auteur perd de l’argent, et parfois beaucoup (en l’espèce on parle de 4 000 € par manuscrit) et l’échec de la diffusion du livre est quasi prévisible en raison d’un manque de soutien dans la promotion et la distribution, laissant l’auteur avec un stock invendu ou des ventes marginales.

Du côté des éditeurs, l’intérêt serait une concurrence plus saine : cesser les amalgames entre ceux qui assument leurs responsabilités en signant de véritables contrats d’édition, car on le sait les obligations sont importantes et dépassent l’engagement d’une simple prestation de services, et les autres prestataires qui se contentent d’offrir un service minimal en faisant reposer les risques financiers sur les auteurs.

Et pour faire écho à l’article de Me Duval-Stalla (Un éditeur qui trompe énormément ?, Livres Hebdo, 11 sept. 2025) il nous semble que la Cour d’appel de Paris aurait peut-être dû se montrer plus sévère, car la décision suggère implicitement que les prestataires peuvent poursuivre leurs pratiques sans crainte de répercussions juridiques significatives… Et ce n’est pas parce que les tribunaux ne sont pas encore saisis par un contentieux de masse que le problème doit être ignoré ou minimisé.

 

Paris, 21 juin 2024, n° 22/20801

© Lefebvre Dalloz