Modification de la mesure de soins psychiatriques sans consentement et pouvoirs du premier président de la cour d’appel
Dans un arrêt rendu le 28 février 2024, la première chambre civile opère une précision intéressante sur les pouvoirs du premier président statuant en appel sur une décision de maintien d’une hospitalisation complète sans consentement quand celle-ci a été, pendant la procédure d’appel, modifiée en un programme de soins.
L’actualité du contrôle des soins psychiatriques sans consentement continue en ce début d’année 2024. Nous avions, dans ces colonnes, commenté les premières décisions publiées au Bulletin de l’année avec d’une part une question de désistement d’appel (Civ. 1re, 31 janv. 2024, n° 23-15.969 F-B, Dalloz actualité, 7 févr. 2024, obs. C. Hélaine) mais également, d’autre part, une interrogation autour de l’assistance du curateur du majeur concerné par la mesure (Civ. 1re, 31 janv. 2024, n° 22-23.242 F-B, Dalloz actualité, 12 févr. 2024, obs. C. Hélaine).
Aujourd’hui, c’est un arrêt rendu le 28 février 2024 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui nous intéresse et avec lui une interrogation tout à fait légitime, celle de la modification de la mesure pendant le recours aux fins d’en obtenir la mainlevée.
Les faits à l’origine du pourvoi méritent d’être rappelés. Le 10 mai 2016, une personne est admise en soins psychiatriques sans consentement. À partir du 15 juillet 2021, un programme de soins est décidé. La modification de la mesure sera de courte durée car le 19 novembre suivant, le préfet prend une décision tendant à réadmettre la personne en hospitalisation complète et saisit le juge des libertés et de la détention afin de poursuivre l’hospitalisation par application de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. La mesure sera finalement maintenue par ordonnance du 29 novembre 2021. L’intéressée interjette appel de la décision par déclaration reçue au greffe le 1er décembre 2021. À partir du 22 décembre 2021 toutefois, l’appelante voit sa prise en charge évoluer par un nouveau programme de soins. Le premier président de la cour d’appel saisi décide que l’appel est donc devenu, dans ce contexte, sans objet.
Le majeur concerné se pourvoit en cassation en arguant de la plénitude de pouvoir du premier président pour statuer sur la nouvelle mesure ayant remplacé l’hospitalisation complète. La question pose, en effet, difficulté et n’a pas fait l’objet d’une décision publiée au Bulletin récemment au moins depuis ces quatre dernières années. La cassation intervenue dans l’arrêt du 28 février 2024 s’explique par des choix théoriques et pratiques.
La position du problème : l’évolution de la mesure et la saisine du juge
Toute l’interrogation suscitée par le pourvoi repose sur une situation qui n’est pas tout à fait prévue par les textes du code de la santé publique. Pourtant, le cas n’est pas rare et, bien souvent, des hospitalisations complètes sont transformées en programmes de soins et ce afin de faire évoluer la prise en charge du patient. Faut-il alors engager une nouvelle procédure pour demander la mainlevée de la seconde mesure alors même qu’est déjà enrôlée, en première instance ou en appel, une affaire ayant cette fin pour la précédente ? Le raisonnement suivi par le premier président de la cour d’appel, qui était saisi du recours, peut très bien se comprendre pour résoudre cette question. Afin de juger l’appel sans objet, celui-ci estimait en effet ne pas avoir été saisi de la question précise du programme de soins. Il avait donc conclu qu’il ne pouvait statuer que « dans les limites de sa saisine » (pt n° 8 de l’arrêt). Or, sa saisine était selon l’ordonnance limitée à celle de l’hospitalisation complète laquelle a cessé le 22 décembre 2021.
D’une certaine manière, il s’agissait d’une forme de raisonnement a contrario sur l’article L. 3211-12-3 quand il existe à la fois un recours sur hospitalisation complète puis un nouveau recours sur une autre modalité des soins. Le juge des libertés et de la détention avait été saisi, ici, par application de l’article L. 3211-12-1 (prévoyant l’hospitalisation complète) et non par application de l’article L. 3211-12. Autrement dit, il n’y avait qu’une saisine sur la première mesure. Si l’on peut comprendre les raisons de ce choix, celui-ci présente des défauts indéniables. Le premier d’entre eux est d’obliger la personne qui fait l’objet de soins psychiatriques sans consentement à devoir enrôler une nouvelle procédure pour critiquer la nouvelle modalité des soins. Cette question de la formation d’un nouveau recours avait été très clairement examinée par l’ordonnance frappée du pourvoi, par ailleurs. Or, même si la modalité change, les soins psychiatriques en eux-mêmes continuent et on ne perçoit qu’assez mal la nécessité absolue d’exiger un tel formalisme pour la personne souhaitant en demander la mainlevée.
Toutefois, un tel choix s’explique certainement par l’absence de dispositions précises à ce sujet de sorte qu’une interprétation uniforme par la première chambre civile de la cour de cassation était nécessaire ici. L’arrêt décide ainsi de faire primer la mesure en elle-même sur la modalité, plénitude de juridiction oblige.
Une solution souple garante d’une bonne administration de la justice
Les deux textes utilisés au visa, à savoir les articles L. 3211-12-1 et L. 3211-12-4 du code de la santé publique, sont combinés pour opérer une précision intéressante : « il incombe au premier président, saisi de l’appel d’une ordonnance du juge des libertés et de la détention maintenant une mesure de soins sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète, formé par la personne faisant l’objet des soins sans consentement aux fins d’en obtenir la mainlevée, de statuer sur la demande de mainlevée de la mesure, y compris lorsqu’entre temps, celle-ci a pris la forme d’un programme de soins » (pt n° 7 de l’arrêt, nous soulignons). L’arrêt du 28 février 2024 permet ainsi, à raison selon nous, de faire primer la critique de la mesure des soins psychiatriques sans consentement sur la modalité de ceux-ci. On aurait d’ailleurs pu combiner utilement ces deux dispositions avec l’article L. 3211-12 afin d’en renforcer la portée.
En tout état de cause, la première chambre civile rend ainsi une décision garante d’une certaine souplesse pour les personnes qui souhaitent remettre en cause la mesure de soins psychiatriques sans consentement et ce même si elle change de modalité précise pendant la procédure. Cette souplesse est bienvenue pour garantir au mieux les droits de l’intéressé intentant un recours et qui ne peut pas, par nature, prévoir que sa prise en charge sera modifiée quelques mois plus tard en plein milieu de la procédure d’appel. Il est vrai qu’une précision dans les textes du code de la santé publique pourrait s’avérer utile pour prévoir spécifiquement ce cas fréquent en pratique. En tout état de cause, la modification de la modalité ne viendra pas nuire à celui qui souhaite contester la pertinence du maintien de la mesure en elle-même et ce que celle-ci soit une hospitalisation complète ou un programme de soins.
Voici donc une précision intéressante pour les magistrats mais également pour les avocats spécialistes de ce contentieux. Il n’est pas certain qu’elle invite à davantage de simplicité car, même dans le silence du dossier quant à un nouveau recours, il faut alors apprécier la pertinence d’une nouvelle modalité qui n’existait pas en première instance. La complexité de la matière n’est pas prête de diminuer.
Civ. 1re, 28 févr. 2024, F-B, n° 22-15.888
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