Modifications apportées aux équipements commerciaux soumis à autorisation

Le Conseil d’État apporte d’utiles précisions sur le régime juridique de la modification des équipements commerciaux soumis à autorisation d’exploitation commerciale, en cours d’instruction ou lors de la réalisation d’un projet comme après sa réalisation complète, plusieurs années plus tard.

La période estivale a été riche d’enseignements pour la réglementation d’aménagement commercial. Par deux arrêts importants, le Conseil d’État s’est employé à compléter, méthodiquement, sa construction prétorienne de la réglementation d’aménagement commercial. Les décisions concernent toutes deux le régime juridique de la modification des projets commerciaux soumis à autorisation d’exploitation commerciale mais à des stades de réalisation différents – avant la mise en œuvre effective du projet pour la première espèce (contentieux du permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale modificatif), plusieurs années après sa réalisation pour la seconde espèce (contrôle au fond opéré par les commissions d’aménagement commercial).

Rappelons au préalable qu’en dehors de certains secteurs spéciaux institués par la loi, toute création ou extension d’un commerce de détail ou d’un ensemble commercial d’une surface supérieure à 1 000 m² (C. com., art. L. 752-1) nécessite la délivrance d’une autorisation préalable (l’autorisation d’exploitation commerciale – AEC) par une commission ad hoc (la commission départementale d’aménagement commercial – CDAC) statuant sur la conformité du projet au regard des multiples critères listés à l’article L. 752-6 du code de commerce. Lorsque le projet nécessite un permis de construire, la demande d’AEC est déposée et instruite en parallèle de l’autorisation d’urbanisme, et l’autorité compétente en matière de permis de construire devra refuser celui-ci en cas d’avis défavorable de la commission. En revanche, dans le cas d’un avis favorable de la commission, le maire délivrera le permis, qui vaudra à la fois permis de construire et AEC. Lorsque le projet ne requiert pas d’autorisation de construire, la demande d’AEC est directement instruite par la commission départementale.

L’intérêt pour agir du concurrent en matière de permis modificatif « d’adaptation » nécessitant une nouvelle AEC, en cours de réalisation du projet

Dans la première affaire du 16 juillet 2025, un maire avait délivré à une société un permis de construire valant AEC, lequel avait été transféré à un autre porteur de projet, pour une opération portant (entre autres) création d’une surface commerciale. Le nouvel opérateur avait demandé un permis modificatif pour un projet dont le volet commercial était amendé. La nouvelle AEC avait été tacitement accordée par la CDAC. Saisie par un concurrent, la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) donnait elle aussi son consentement au projet et le maire délivrait dans la foulée l’autorisation modificative. La Cour administrative d’appel de Marseille, ayant ensuite à connaître du volet commercial du permis modificatif, avait rejeté le recours du requérant concurrent pour défaut d’intérêt lui donnant qualité pour agir contre l’AEC du permis modificatif. Saisi de la question en cassation, le Conseil d’État devait résoudre le problème de la détermination de l’intérêt pour agir du concurrent contre le volet commercial d’un permis de construire valant AEC modificatif.

L’article L. 752-15 in fine du code de commerce, relatif aux projets commerciaux soumis à autorisation, dispose que lorsqu’en cours d’instruction ou lors de sa réalisation, un tel projet subit des « modifications substantielles au regard des critères énoncés à l’article L. 752-6 [C. com.] », une « nouvelle demande » d’AEC est nécessaire, laquelle, une fois accordée par la CDAC ou la CNAC, se substitue à la précédente AEC. Inscrite en miroir à l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme, relatif au permis de construire valant AEC, la même règle commande qu’une nouvelle AEC soit demandée en cas de modification commerciale revêtant un caractère substantiel en cours de réalisation d’un projet dont la partie urbanistique n’est pas affectée. En revanche, lorsque la demande de permis modificatif ne s’accompagne pas d’une telle « modification substantielle », la commission départementale n’a pas à être saisie.

Mais quid lorsque les modifications apportées en cours de réalisation du projet impliquent également, outre de substantielles modifications de la partie commerciale, un amendement des travaux projetés au titre du droit commun de l’urbanisme ? Le législateur, en effet, n’a pas prévu une telle hypothèse, laquelle nécessitait donc une clarification de la part du juge administratif. Le rapporteur public sur l’affaire, Cyrille Beaufils, proposait un raisonnement par analogie avec les règles déterminant la portée du contrôle opéré par les commissions pour les AEC « pures et simples ». « Nous voyons mal », expliquait-il dans ses conclusions, « comment ne pas appliquer aussi [ces règles] aux avis des mêmes commissions lorsque ceux-ci s’incorporent à un permis de construire ». Suivant son rapporteur public, le Conseil d’État indique donc que, dès lors que le permis de construire valant AEC fait l’objet d’une demande de permis modificatif en raison de la modification des travaux projetés et qu’est en outre prévue une modification substantielle du projet d’urbanisme commercial, « la demande de permis modificatif comportant la nouvelle demande d’AEC doit faire l’objet d’une saisine pour avis de la CDAC et, le cas échéant, de la CNAC. Il ne peut être délivré que si la commission départementale ou, si elle est saisie, la Commission nationale émet un avis favorable » (pt 3). Contrairement à un permis modificatif, qui complète sans retirer le permis initial, l’AEC portant sur des modifications substantielles s’analyse en une nouvelle autorisation qui vient se substituer à la première.

Ces préalables étant posés, concernant ensuite l’intérêt pour agir, le juge administratif rappelle qu’en principe, le professionnel « dont l’activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d’être affectée par le projet » peut introduire, devant la CNAC, un recours contre l’avis de la CDAC (C. com., art. L. 752-17). Ce même professionnel a ensuite intérêt pour exercer un recours contentieux devant la Cour administrative d’appel contre le volet commercial du permis (CE 26 sept. 2018, S Casino Distribution France, n° 402275, Dalloz actualité, 4 oct. 2018, obs. J.-M. Pastor ; Lebon ; AJDA 2018. 1870 ; RDI 2018. 622, obs. M. Revert ). Dans le cas où a été délivré un permis valant AEC modificatif, à la suite de modifications apportées par le pétitionnaire sur le volet commercial de son projet, ce professionnel a également intérêt à former un recours contentieux contre le permis modificatif, en tant que ce permis vaut AEC, « quelle que soit la portée des modifications apportées à cette AEC ».

Le Conseil d’État applique au présent litige une solution dégagée dans une décision antérieure, dans laquelle il avait considéré que, lorsque le professionnel requérant n’est pas implanté dans la zone de chalandise du projet contesté mais que sa zone de chalandise chevauche celle du projet qu’il entend contester, il peut toutefois avoir intérêt pour agir contre l’AEC s’il prouve que le chevauchement de ces deux zones de chalandise est susceptible d’avoir une incidence significative sur son activité (CE 15 avr. 2019, Société Difradis, n° 425854, Dalloz actualité, 29 avr. 2019, obs. J.-M. Pastor ; Lebon ; AJDA 2019. 836 ; RDI 2019. 365, obs. M. Revert ; ibid. 410, obs. P. Soler-Couteaux ) ; lue a contrario, cette solution tenait la condition de positionnement du concurrent dans la zone de chalandise du projet litigieux comme suffisante pour conférer au concurrent un intérêt pour agir contre l’AEC (Concl. F. Dieu ss. CE 26 sept. 2018, S Casino Distribution France, n° 402275, préc.). Dans la logique de raisonnement par analogie proposée par son rapporteur public, le juge administratif applique cette solution, antérieurement dégagée dans le cadre d’un permis valant AEC initial, au permis valant AEC modificatif. Il censure donc la cour administrative d’appel, qui avait considéré à tort que le concurrent « n’apportait pas suffisamment d’éléments pour établir que les modifications apportées au projet commercial (…) étaient susceptibles d’affecter son activité de manière suffisamment directe et certaine ».

Ainsi, et pour résumer, en tant qu’il vaut AEC, un permis modificatif implique, de la part de la commission, un réexamen complet de la « nouvelle demande » dont elle est saisie en cours de réalisation du projet initial et la présence du concurrent au sein de la zone de chalandise du projet litigieux suffit à lui donner un intérêt pour agir contre le volet commercial d’un permis modificatif. Mais si la règle est désormais clairement posée, elle pourrait bien n’être que transitoire dans la mesure où, comme le rappelle le rapporteur public, le projet de loi de simplification de la vie économique (à ce jour toujours à l’état de projet) prévoit une modification de l’article L. 752-17 du code de commerce – après « être affectée » seraient ajoutés les mots « de manière directe et significative » (art. 25, al. 16, dans la dernière version du projet de loi) – ajout dont l’exposé des motifs du projet de loi explique qu’il est destiné à restreindre la définition de l’intérêt pour agir à l’encontre des AEC afin de limiter les recours dilatoires.

L’examen au fond des commissions dans le cadre d’une modification d’un équipement commercial autorisé, après sa réalisation

Le Conseil d’État fut ensuite invité, dans une décision du 19 septembre 2025, à préciser le régime applicable aux modifications apportées à un bâtiment soumis à AEC, cette fois après (voire bien après) la réalisation du projet. Dans les faits, une société avait déposé une demande d’AEC pour le regroupement en une seule unité commerciale de plusieurs surfaces de vente dont la construction avait été autorisée en 2002. Le projet était tour à tour rejeté par la CDAC puis la CNAC. Ayant fait application de la faculté ouverte par le second alinéa de l’article L. 752-21 du code de commerce, qualifiée de « revoyure » par les services de la Direction générale des entreprises, l’opérateur avait déposé auprès de la Commission nationale une nouvelle demande d’AEC pour un projet amendé tenant compte des motifs de rejet de la décision initiale. Cette nouvelle demande était de nouveau refusée par la Commission nationale en raison de manquements à l’objectif de développement durable fixé par l’article L. 752-6 du code de commerce. La Cour administrative d’appel de Nantes rejetait dans la foulée la requête du pétitionnaire.

Saisi de l’affaire en cassation, le Conseil d’État était interrogé, entre autres, sur un point inédit, celui de l’étendue du contrôle des commissions d’aménagement commercial dans le cadre d’une demande de modification d’un projet déjà mené à son terme après l’obtention d’une première autorisation. Doivent-elles (ré)examiner le projet dans sa globalité ou borner leur contrôle aux seules modifications apportées au projet initial – au cas présent, le regroupement de plusieurs surfaces de vente ? L’interrogation est cruciale si l’on considère les dynamiques actuellement à l’œuvre en matière d’aménagement commercial – le coup d’arrêt mis par le législateur à la bétonisation des entrées de ville et de la proche périphérie urbaine (Loi Climat n° 2021-1104 du 22 août 2021, art. 215) a engendré une mutation des équipements commerciaux comme des types de demandes d’implantation, les projets prenant désormais davantage la forme de modifications que de créations de surface commerciale.

Le Conseil d’État adopte ici un raisonnement en deux temps.

Il commence par régler le sort de l’étendue de la motivation de la décision de la CNAC dans le cadre de la procédure spécifique de revoyure (C. com., art. L. 752-21, al. 2), que le porteur de projet avait activée en l’espèce. Le juge administratif rappelle que la Commission nationale, saisie directement par le pétitionnaire d’une demande amendant celle qu’elle avait précédemment rejetée, peut retenir dans sa nouvelle décision des motifs de refus relatifs à la méconnaissance de critères visés à l’article L. 752-6 du même code « sur lesquels elle ne s’était pas déjà prononcée dans sa première décision » (pt 5). Autrement dit, la faculté de revoyure n’empêche pas la Commission de contrôler de nouveau entièrement le projet, et éventuellement de sanctionner le projet amendé (comme elle l’a fait en l’espèce) sur des exigences de fond dont il n’avait pas été fait mention dans sa décision antérieure.

Cette position du juge administratif, qui n’est pas nouvelle, résulte de la solution rendue dans un arrêt du 7 octobre 2022 (CE 7 oct. 2022, S Entrepôt Nîmes, n° 450615, Dalloz actualité, 17 oct. 2022, obs. D. Necib ; Lebon ; AJDA 2022. 1927 ; RDI 2023. 130, obs. J. Waltuch ) dans lequel il avait considéré qu’après avoir vérifié que la recevabilité de la demande (prise en compte des motivations ayant fondé le refus initial), la Commission devait ensuite examiner la conformité du projet aux autres exigences découlant du code de commerce (J. Waltuch, Conditions du dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation d’exploitation commerciale après un premier refus par la CNAC pour un motif de fond, RDI 2023.130 ). Il est alors regrettable que le législateur ait gardé sur cette question de motivation en matière d’aménagement commercial un silence coupable pouvant engendrer, au vu de la brièveté des motifs des décisions de la Commission, une réelle insécurité juridique pour le pétitionnaire – à la différence des décisions refusant un permis de construire classique, lesquelles sont soumises à une obligation de motivation maximale par l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme, qui fait obligation au rédacteur d’indiquer « l’intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ».

Le Conseil d’État se penche ensuite sur le contrôle que les commissions doivent effectuer sur les demandes de modification d’équipements commerciaux autorisés et déjà réalisés (parfois depuis longtemps, comme en l’espèce). Il rappelle d’emblée que l’AEC est le principe, et qu’elle ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi (CE 4 oct. 2010, n° 333413, Dalloz actualité, 14 oct. 2010, obs. A. Vicent ; Lebon ; AJDA 2010. 1852 ; RDI 2011. 185, obs. D. Gillig ). Lorsqu’elles statuent sur les dossiers de demande d’autorisation, les commissions apprécient la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d’évaluation prévus par la loi. Quid lorsque le projet vise simplement à étendre la surface de vente d’un magasin de commerce de détail ? Dans ce cas, il incombe aux commissions de « s’assurer du respect des critères mentionnés aux a) et b) du 2° du I de l’article L. 752-6 [C. com.] par les bâtiments existants du magasin » (pt 10 de l’arrêt). Il s’agit des critères de « qualité environnementale » et « d’insertion paysagère et architecturale du projet », tous deux rattachés à l’objectif de développement durable de l’article L. 752-6 du code de commerce. Il faut alors comprendre de la lecture littérale – et extensive – faite par les membres du Palais-Royal de la disposition qu’ils appliquaient, éclairée par les travaux préparatoires de la loi Pinel de 2014 (dont était issue la disposition) que ces deux critères s’appliquent également aux projets d’extension de magasins de commerce de détail, et ce, « même lorsque l’extension de la surface de vente ne requiert aucune modification extérieure de ces bâtiments, ou lorsque le projet vise, même sans créer des surfaces supplémentaires, à regrouper des surfaces de vente en dépassant les seuils mentionnés au I de l’article L. 752 2 du code de commerce ». Le juge administratif prend par ailleurs soin de préciser que les bâtiments dont il est question dans l’article « s’entendent (…) non seulement des immeubles bâtis du magasin mais également des installations et équipements nécessaires à son exploitation, y compris les espaces de stationnement qui lui sont associés et les voies de circulation au sein de ces espaces ».

La primo-autorisation ne confère donc pas au pétitionnaire de « droit acquis » pour les aspects que son projet de modification n’envisage pas d’amender. Et donc, par voie de conséquence, il devra désormais « apporter des améliorations à son projet y compris sur des questions qu’il n’avait initialement pas envisagé de modifier ». Les commissions, quant à elles, veilleront à « apprécier globalement le respect des exigences de l’article L. 752-6 du code de commerce, même en cas de modification ou extension du projet » (J.-F. de Montgolfier, concl. sur l’arrêt). Cette approche « globale » du contrôle des commissions, y compris lorsque les extensions de surface de vente n’impliquent aucune modification extérieure peut paraître, à certains égards, bien sévère pour les porteurs de projet qui souhaitent simplement, comme dans l’espèce, regrouper des surfaces commerciales.

Ainsi combinées, ces deux décisions appellent in fine deux remarques. D’une part, que ce soit pour l’examen d’une nouvelle AEC en cours de réalisation du projet ou après la mise en œuvre d’un projet, l’étendue du contrôle effectué par les commissions sur les modifications des équipements commerciaux est maximale puisqu’elle s’analyse dans les deux cas comme une AEC « autonome ». D’autre part, loin d’être inscrites dans la mouvance de rapatriement de l’aménagement commercial au sein de l’urbanisme de droit commun, ces précisions jurisprudentielles semblent plutôt avoir contribué à maintenir l’éloignement entre les deux matières.

 

CE 16 juill. 2025, S Distribution Casino France, n° 475637

CE 19 sept. 2025, S Montfort Force Unie, n° 470356

par Emmanuelle Bornet, Doctorante en droit public Université Toulouse Capitole (UT Capitole), Institut des Études Juridiques de l'Urbanisme, de la Construction et de l’Environnement (IEJUC)

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