Montage d’opérations de défiscalisation et formulation de l’assurance souscrite
Dans un arrêt rendu le 20 novembre 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation se penche sur un pourvoi concernant une assurance visant l’ingénierie financière afin de déterminer si un tel contrat doit englober le montage d’opérations de défiscalisation.
Deux arrêts rendus le 20 novembre 2024 par la chambre commerciale de la Cour de cassation intéressent les conséquences d’opérations de défiscalisation n’ayant pas produit les effets escomptés. Le premier concerne la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de l’article 1147 du code civil (Com. 20 nov. 2024, n° 23-14.351). Le second mobilise l’interprétation du contenu d’un contrat d’assurance afin de déterminer si ledit contrat englobe l’élaboration de montages d’opérations en défiscalisation. C’est l’arrêt que nous étudions aujourd’hui. La solution dessinée permet d’en revenir aux principes classiques d’interprétation des actes juridiques et, notamment, à celui selon lequel le juge ne doit pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis. La décision est promise aux honneurs d’une publication au Bulletin signant la volonté de la Cour de cassation d’attirer l’attention de la pratique, notamment des services juridiques des assureurs.
Les faits à l’origine du pourvoi remontent au 31 mai 2010. À cette date, une personne physique apporte à des sociétés en participation des fonds destinés à acquérir des centrales photovoltaïques, à procéder à leur installation et à proposer leur location à des sociétés les exploitant. Cette opération a été réalisée dans le cadre d’un programme de défiscalisation (dénommé « GSH 2010 ») présenté par une société spécialisée en produits structurés. La personne physique ayant apporté les fonds impute, dans ce contexte, sur le montant de son impôt sur le revenu des réductions liées à ces investissements et ce par application de l’article 199 undecies B du code général des impôts. L’administration fiscale vient opérer un contrôle et remet en question les réductions d’impôt escomptées.
Le contribuable déçu soutient que la société lui ayant proposé le programme de défiscalisation ne lui a pas fourni ce qui avait été promis contractuellement, à savoir un investissement aboutissant à une réduction d’impôts. Assignée en responsabilité, ladite société appelle ses assureurs en garantie. Toutefois, l’un des contrats d’assurance pose difficulté en raison des termes convenus, laissant ainsi planer le doute sur l’inclusion dans les activités assurées des montages d’opérations de défiscalisation. En cause d’appel, les juges du fond considèrent que si le terme ingénierie financière figure dans la liste des activités garanties par ce contrat, ces activités « n’incluent pas celle de montage d’opérations en défiscalisation qui diffère de la prestation de conseil en matière financière » (pt n° 5). La société voit, par conséquent, sa demande en garantie, formée à l’encontre de cet assureur, rejetée. Elle se pourvoit en cassation reprochant une dénaturation de l’acte juridique conclu entre les parties.
L’arrêt du 20 novembre 2024 est l’occasion pour la chambre commerciale de rappeler quelques constantes en droit des contrats dans ce contexte particulier des opérations de défiscalisation.
Un problème de contenu contractuel
La difficulté suscitée par le pourvoi repose sur les termes envisagés dans le contrat d’assurance litigieux. La motivation de l’arrêt frappé du pourvoi résume, à elle seule, toutes les nuances qui peuvent naître dans l’esprit des parties qui, au moment de l’élaboration du contrat, n’ont peut-être pas la même idée des réalités couvertes par le vocabulaire employé. Ainsi, les juges du fond avaient considéré en l’espèce que le vocable « ingénierie financière » figurant dans la liste des activités assurées n’incluait pas les montages d’opérations en défiscalisation comme nous venons de le rappeler dans l’introduction du présent commentaire. Pour la cour d’appel, un tel montage « diffère de la prestation de conseil en matière financière ». Cette dernière activité serait, en creux, couverte par l’assurance litigieuse alors que celle intéressant l’instance ne le serait pas.
La dynamique d’interprétation dans laquelle se sont engagés les juges du fond saute évidemment aux yeux et est liée aux frontières floues des termes insérés au contrat. L’interprétation du contenu était, en effet, justifiée par l’absence de certitude des contours contractuels de l’expression « ingénierie financière ». Mais, ne faut-il pas considérer que l’entreprise à laquelle s’est livrée l’arrêt d’appel semble diminuer le contenu d’une catégorie qui avait été sans doute conçue à dessein comme large au moment de la signature du contrat d’assurance ? Le problème interroge en tout état de cause. Si les termes sont généraux, une interprétation restrictive peut poser difficulté.
La réalité de l’activité de montage d’opérations de défiscalisation et celle d’ingénierie financière peuvent, en tout état de cause, ne pas se recouper intégralement. L’une des expressions est, certainement, plus large que l’autre. À première vue, selon la généralité des termes employés, l’ingénierie financière est probablement une méta-catégorie englobant différents objets, dont les opérations de défiscalisation. L’analyse développée par le second moyen s’engouffre justement dans cette fragilité en précisant que « l’activité d’ingénierie financière, (…) englobe l’élaboration de montages d’opérations de défiscalisation » (pt n° 4 de l’arrêt étudié, second moyen).
Ce sera la solution choisie par la chambre commerciale eu égard à la combinaison des stipulations contractuelles de la convention questionnée.
Une analyse combinée éclairant le sens du contrat
La chambre commerciale commence, au sein de sa motivation, par viser plusieurs des stipulations du contrat litigieux afin de pointer la pluralité des expressions employées :
- les activités assurées mentionnaient « l’activité d’ingénierie financière » (pt n° 6) ;
- les clauses concernant les primes et la franchise indiquaient « les opérations industrielles et immobilières de défiscalisation dans les DOM-TOM » (même pt).
La combinaison de ces différentes stipulations montre que les parties ont certainement visé des opérations plurielles sous une même bannière sans toutefois définir cette dernière explicitement. La cassation intervient donc en raison de « l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis » (v. le visa de l’arrêt). La catégorie la plus large était celle de l’ingénierie financière dans laquelle le montage d’opération de défiscalisation s’insère logiquement.
La solution doit certainement être accueillie favorablement pour plusieurs raisons. La principale concerne l’absence de sens qu’aurait le contrat conclu si dans l’une des stipulations – à savoir les activités assurées – les opérations de défiscalisation étaient exclues alors qu’elles sont explicitement citées dans d’autres clauses s’agissant des primes et de la franchise. Le raisonnement visant à inclure l’activité de montage d’opérations de défiscalisation permet d’assurer une cohésion d’ensemble du contenu contractuel. Le plus probable est, certainement, que la généralité des termes employés dans la stipulation des activités assurées englobe celles, plus précises, des autres clauses.
Reste à comprendre ce que la décision implique pour les assureurs. Le recours à des notions générales, peu ou pas du tout définies en droit positif, implique d’opter pour une ingénierie contractuelle particulièrement précise. Si l’assureur n’avait pas voulu insérer le montage d’opérations de défiscalisation, encore fallait-il le préciser explicitement. Le recours à des clauses de définition du périmètre contractuel reste également une possibilité afin de clarifier pour chacune des parties le champ de l’engagement signé. Il n’y a là guère de sévérité pour l’assureur en présence de stipulations générales sur l’ingénierie financière.
Voici, en somme, un bien bel arrêt mobilisant moins le droit des assurances que la théorie générale du contrat. Le recours à des expressions générales, polysémiques ou floues doit avoir pour corollaire la définition des activités intéressées par le contrat au risque de poser difficulté au stade de l’exécution de celui-ci. Les services juridiques des assureurs en seront probablement avertis dans un contexte aussi sensible que les opérations de défiscalisation.
Com. 20 nov. 2024, F-B, n° 23-14.331
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