Motivation d’un jugement étranger d’adoption : la Cour de cassation poursuit sa construction sur l’ordre public procédural.

La Cour de cassation précise l’exigence de motivation, composante de l’ordre public procédural, des jugements étrangers prononçant une adoption. Elle confirme le refus d’exequatur d’un jugement américain non motivé.

Un homme a adopté un enfant mineur, par jugement américain du 22 janvier 2018 mettant fin de manière permanente aux droits des parents biologiques. Le jugement précise que l’adoptant aura la même relation juridique à l’égard de l’adopté que s’il était naturellement de lui.

Le père adoptif a assigné le procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Paris pour voir prononcer l’exequatur de cette décision. La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 18 avril 2023, a rejeté la demande, estimant le jugement américain contraire à l’ordre public international en ce qu’il ne contenait aucune motivation, n’évoquait pas le consentement des représentants légaux de l’enfant ni les conditions du recueil de celui-ci. Le père adoptif se pourvoit alors en cassation, soutenant que la motivation des jugements d’adoption n’est pas d’ordre public international, et que l’ordre public international ne s’oppose pas à la reconnaissance d’une décision d’adoption étrangère ne mentionnant pas expressément le consentement à l’adoption du représentant légal du mineur adopté.

La Cour de cassation, par son arrêt du 14 décembre 2024, rejette le pourvoi. Reprenant des formulations désormais classiques, elle rappelle que l’exequatur d’un jugement étranger relatif à l’état des personnes, non nécessaire pour que la décision soit mentionnée sur les registres français de l’état civil, est subordonné, en l’absence de convention internationale, à trois conditions : la compétence indirecte du juge étranger, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure, et l’absence de fraude.

C’est la condition de la conformité à l’ordre public international qui est ici discutée, plus précisément la question de l’ordre public procédural à travers l’exigence de motivation des décisions étrangères. La cour rappelle que « est contraire à la conception française de l’ordre public international d’une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante ».

Elle précise ensuite qu’en matière d’adoption, cette motivation s’apprécie au regard de la nécessité de connaitre les circonstances de l’adoption et de s’assurer qu’il a été constaté que les parents ou les représentants légaux de l’enfant y ont consenti dans son principe comme dans ses effets.

La cour d’appel a relevé que le jugement américain ne faisait état ni de l’existence du consentement à l’adoption des parents ou des représentants légaux de l’enfant, dont l’identité n’était pas précisée, ni des conditions de recueil de l’enfant. La motivation était à cet égard défaillante. Par ailleurs, les documents fournis pour servir d’équivalent, à savoir des attestations établies par un avocat du cabinet chargé des démarches judiciaires américaines pour l’adoption, postérieurement à celle-ci et directement à l’intention du juge français, étaient inopérantes, et le père adoptif a refusé de fournir la requête en adoption visée par le jugement. Ne pouvant exercer son contrôle, la cour d’appel en a, à bon droit, déduit que le jugement américain heurtait l’ordre public international et ne pouvait recevoir l’exequatur. Le pourvoi est rejeté.

Par cette décision, la Cour de cassation semble aligner sa jurisprudence en matière d’adoption sur ces récents arrêts intervenus en matière de gestation pour autrui : c’est désormais à l’aune de l’ordre public procédural, et spécifiquement d’une exigence de motivation précisée, que les jugements d’adoption doivent être étroitement contrôlés pour recevoir l’exequatur et produire sur le sol français tous leurs effets.

La décision sous examen rappelle que le constat d’un consentement à l’adoption des représentants légaux de l’enfant peut conditionner la conformité de la décision étrangère à l’ordre public procédural, et spécifiquement à l’exigence de motivation. 

Le contrôle du consentement à l’adoption des représentants légaux de l’enfant

Les adoptions internationales prononcées en France sont soumises, en tout cas lorsqu’elles ne sont pas dans le champ d’application de la Convention de La Haye de 1993, aux règles contenues à l’article 370-3 du code civil, et notamment à son dernier alinéa qui précise que « quelle que soit la loi applicable, l’adoption requiert le consentement du représentant légal de l’enfant dans les conditions définies au premier alinéa de l’article 348-3 » : le consentement à l’adoption doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie après la naissance de l’enfant et éclairé sur les conséquences de l’adoption, en particulier s’il est donné en vue d’une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant.

Cette règle n’est pourtant pas applicable lorsque le juge français apprécie la régularité d’une adoption prononcée à l’étranger dans le cadre d’une instance en exequatur, comme c’est le cas en l’espèce. La position de la Cour de cassation a été très clairement rappelée par un arrêt du 7 février 2024 (Civ. 1re, 7 févr. 2024, n° 22-124.72, AJ fam. 2024. 302, prat. A. Boiché ), en dépit de la réforme du 21 février 2022 opérant une « transmutation méthodologique » des exigences relatives au consentement, (v. à ce sujet, R. Legendre, À propos de l’inopposabilité de l’article 370-3 du code civil à un jugement d’adoption étranger, Rev. crit. DIP 2024. 291 ).

Certains ont pu défendre cette solution, en ce qu’elle serait seule respectueuse de la prohibition de la révision au fond (v. en ce sens, M. Farge, Dr. fam. 2019. Comm. 213 ; P. de Vareilles-Sommières, Rev. crit. DIP 2017. 560 ). Pourtant, lorsque la reconnaissance de l’adoption étrangère passe directement par la transcription du jugement étranger, le consentement et ses qualités sont contrôlés à l’aune de l’article 370-3 du code civil (Civ. 1re, 9 mars 2011, n° 09-72.371, Dalloz actualité, 28 mars 2011, obs. P. Guiomard ; D. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2011. 206, obs. A. Mirkovic ; RTD civ. 2011. 338, obs. J. Hauser ; 1er avr. 2015, n° 14-50.044, D. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2015. 339, obs. A. Boiché ).

Une telle différence de régimes entre le contrôle dans le cadre d’une transcription et celui dans le cadre d’un exequatur a ainsi pu être qualifiée d’aberration (P. Salvage-Gerest, AJ fam. 2024. 562 ). Dans l’affaire sous examen, nulle référence à l’article 370-3 du code civil : ce silence confirme en réalité l’inopposabilité de l’article 370-3 aux reconnaissances des jugements d’adoption étrangers, malgré une certaine résistance des juges du fond et de l’entrée en vigueur de la loi du 21 février 2022 portant réforme de l’adoption.

Pourtant, le consentement à l’adoption des représentants de l’enfant est une exigence qui découle des engagements internationaux de la France. L’article 21 de la Convention internationale des droits de l’enfant précise en effet que les États doivent veiller à ce que les personnes intéressées donnent leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires. La Convention de La Haye de 1993 (certes inapplicable en l’espèce, puisqu’il ne s’agissait pas d’une adoption internationale au sens de l’art. 2 de ladite Convention) entoure également le consentement d’un certain nombre d’exigences. Enfin, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales est applicable en la matière, et la Cour de Strasbourg a pu condamner l’Italie en ce qu’elle avait « l’obligation positive de s’assurer que le consentement donné par la requérante à l’abandon de ses enfants avait été éclairé et entouré des garanties adéquates » (CEDH 13 janv. 2009, Todorova c/ Italie, n° 33932/06, D. 2010. 1442, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2009. 82, obs. F. Chénedé ; Dr. fam. 2010. Étude 1, obs. A. Gouttenoire).

Mais la Cour de cassation se refuse depuis quelques années à intégrer l’article 370-3 du code civil, et donc les exigences relatives à la qualité du consentement, dans notre ordre public international (sur l’évolution de la Cour à propos du consentement à l’adoption, J. Guillaumé, D. 2020. 130 ). La solution s’explique aisément, dans la mesure où l’adoption de droit français ne nécessite pas impérativement l’expression d’un consentement parental, et que la Cour a déjà affirmé que « le recours à une décision judiciaire afin de suppléer le consentement du père n’était pas en soi contraire à l’ordre public international français (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-17.111, Dalloz actualité, 8 janv. 2020, obs. N. Reichling ; D. 2020. 130 , note J. Guillaumé ; Rev. crit. DIP 2020. 487, note P. Lagarde ; JCP 2020. 157, note S. Godechot-Patris ; JDI 2020. 937. Comm. S. Bollée).

C’est probablement la raison pour laquelle la Cour de cassation, dans la décision sous examen précise bien que la motivation doit permettre de « connaître les circonstances de l’adoption » : si un consentement parental fait défaut, peut-être a-t-il été supplée par la décision d’un juge.

La doctrine avait pu voir, dans un arrêt du 11 mai 2023 (Civ. 1re, 11 mai 2023, n° 21-24.178, AJ fam. 2023. 455, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2024. 291, note R. Legendre ) qui refusait de protéger les qualités du consentement à l’adoption prononcée à l’étranger par l’article 370-3, non pas une réduction de la substance de l’ordre public international de l’adoption mais plutôt une manifestation de son effet atténué (R. Legendre, Rev. crit. DIP 2024. 291, préc.).

Une autre lecture de la jurisprudence est possible, non contredite par la décision sous examen : la question de l’existence et des qualités que le consentement doit revêtir ne peut pas entrer, a priori, sous le joug de l’ordre public international substantiel, en ce que l’existence même d’un consentement parental à l’adoption voit son caractère d’ordre public interne discuté. La portée de l’arrêt ici commenté est d’affirmer clairement que la motivation (ou des éléments qui la suppléent) doit permettre de connaître les circonstances de l’adoption et de s’assurer qu’il a été constaté que les parents ou les représentants légaux de l’enfant ont consenti à l’adoption prononcé par le juge étranger. Faute d’être convenablement motivé, le jugement américain n’est pas susceptible de recevoir l’exequatur, en ce qu’il contrevient à l’ordre public procédural. 

La contrariété à l’ordre public procédural du jugement étranger d’adoption

Dans l’arrêt sous examen, la Cour rappelle la contrariété à la conception française de l’ordre public international la reconnaissance d’une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante. En matière d’adoption, elle précise cette exigence de motivation, laquelle doit permettre de connaître les circonstances de l’adoption et de s’assurer qu’il a été constaté que les parents ou les représentants légaux de l’enfant y ont consenti dans son principe comme dans ses effets.

Ses récents arrêts à propos des gestations pour autrui avaient pu susciter un certain étonnement de la doctrine, jugeant la position de la Cour de cassation « en porte-à-faux » avec celle adoptée en matière d’adoption (L. Brunet et M. Mesnil, Exequatur d’un jugement étranger établissant la filiation d’un enfant né par GPA : entre spécificités du contrôle et droit commun de la filiation, D. 2024. 2042 ). La décision sous examen permet de réserver à l’adoption prononcée à l’étranger un traitement tout à fait similaire aux filiations établies par un jugement étranger à l’issu d’un processus de gestation pour autrui.

Une première difficulté interpelle quand on s’interroge sur cette exigence de motivation : on sait qu’en droit français de l’adoption, l’article 353-1, dernier alinéa, du code civil, tel qu’issu de la réforme du 5 octobre 2022, « le jugement prononçant l’adoption n’est pas motivé ». On peut alors s’étonner qu’ici, cette absence de motivation conduise à rejeter l’exequatur du jugement étranger.

Pourtant, comme le souligne le rapport du conseiller rapporteur, « la question n’est pas de savoir si la motivation des décisions d’adoption est d’ordre public ou non, mais de savoir si, à travers la motivation de la décision ou les documents fournis pour pallier l’absence de motivation du jugement, le juge de l’exequatur peut vérifier que certaines conditions, et en particulier, celles qui touchent au consentement du ou des parents d’origine à l’adoption, ont été respectées » (Rapport, p. 36). En réalité, si le jugement d’adoption français n’a pas à être motivé, les qualités du consentement à l’adoption, lorsqu’il est requis, sont protégées par le truchement de l’article 370-3 du code civil. Pour un jugement étranger, il faut alors emprunter une autre voie, et celle de cet ordre public procédural nous paraît à même de remplir l’objectif visé.

Le jugement étranger ne doit pas nécessairement être motivé, dès lors que sont produits des éléments de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante. Or, qu’il s’agisse de motivation ou d’éléments équivalents, tout l’enjeu est de connaître les éléments de fait et de droit qui ont contribué au raisonnement mené par le juge étranger et lui ont permis d’aboutir à la solution retenue. Il est parfaitement logique qu’en l’espèce la cour d’appel n’ait pas retenu comme équivalent à la motivation défaillante des attestations qui ont été établies postérieurement au jugement d’adoption et à la seule intention du juge français : ce ne sont manifestement pas des éléments qui ont permis au juge de forger sa conviction, et ils ne peuvent à ce titre servir d’équivalent à la motivation défaillante.

La motivation du jugement étranger est en outre précisée, orientée par des considérations substantielles. La cour d’appel retient l’absence de motivation en ce que le jugement étranger ne fait état ni de l’existence du consentement à l’adoption des parents ou des représentants légaux de l’enfant, ni des conditions de recueil de l’enfant.

La Cour de cassation précise la teneur de la motivation : il s’agit de « connaître les circonstances de l’adoption », « s’assurer qu’il a été constaté que les parents ou les représentant légaux ont consenti », « dans le principe comme dans les effets » de l’adoption. Tout cela paraît bien moins exigeant qu’un consentement « libre », « sans aucune contrepartie », « après la naissance de l’enfant » et « éclairé sur les conséquences de l’adoption ». Faut-il déplorer ces exigences diminuées ? La réponse se doit d’être mesurée. D’abord, parce qu’il n’est pas question ici de prononcer une adoption, mais de reconnaître une adoption qui a déjà été prononcée à l’étranger. Entrent alors en ligne de compte d’autres impératifs bien connus du droit international privé au premier chef desquels se trouvent le respect des prévisions des parties et les droits fondamentaux, notamment le droit au respect de la vie privée et familiale dont on connait la vigueur (v. à cet égard, CEDH 28 juin 2007, Wagner, n° 76240/01, AJDA 2007. 1918, chron. J.-F. Flauss ; D. 2007. 2700 , note F. Marchadier ; ibid. 2008. 1507, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2007. 807, note P. Kinsch ; RTD civ. 2007. 738, obs. J.-P. Marguénaud ; 3 mai 2011, Negrepontis, n° 56759/08, D. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2011. 817, étude P. Kinsch ).

Ensuite, parce que contrôler les qualités du consentement (et non sa seule existence), ne peut se faire à l’aune de l’ordre public procédural : ce serait là procéder à une révision au fond en appréciant un consentement en contemplation des exigences françaises. Est-ce à dire, en l’état de la jurisprudence actuelle, que le consentement à l’adoption peut être donné avec une contrepartie, ou avant la naissance de l’enfant ? Probablement pas. Si consentement parental il y a, il faudra attendre d’autres arrêts de la Cour de cassation pour déterminer les qualités qu’il doit revêtir pour qu’une décision étrangère qui le constate soit jugée conforme à l’ordre public international substantiel.

À notre sens, l’arrêt invite à faire une distinction entre deux problématiques bien différentes : le constat d’un consentement (ou à défaut, des circonstances de l’adoption) d’une part, et les qualités que le consentement doit, ou non, revêtir lorsqu’il est donné par les parents par le sang de l’enfant, d’autre part. L’apport de la décision sous examen est simplement de faire rentrer la première problématique sous le joug de l’ordre public procédural, via l’exigence d’une motivation ou de la production de documents de nature à servir d’équivalent. En revanche, les contours de la seconde problématique, et des liens qu’elle entretiendrait avec l’ordre public international substantiel ne sont pas pour l’instant clairement dessinés. 

 

Civ. 1re, 11 déc. 2024, FS-B+R, n° 23-15.672

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