«Neuf entreprises sur dix de celles qui avaient un contrat d’assurance susceptible de couvrir les conséquences du Covid ne l’ont pas fait jouer», estime J.Goy

Le 24 novembre dernier, le tribunal de commerce de Lille a condamné AxaXL (XL Insurance Company) et deux co-assureurs, AIG Europe SA et Abeille Iard & Santé à indemniser Promod au titre des pertes d’exploitations dues au Covid. On revient sur la portée de cette décision avec Jérôme Goy, avocat fondateur du cabinet Enthémis, conseil de Promod.

A la suite des décisions administratives de confinement prises pendant la pandémie de Covid-19, Promod a déclaré des sinistres et demandé l’indemnisation de ses pertes d’exploitation. Devant le refus d’Axa et des deux co-assureurs de l’indemniser, Promod a alors engagé une action.

Le 24 novembre 2022, le tribunal de commerce de Lille a donné raison à Promod. Si le juge a reconnu que les conditions d’application de la garantie « pertes d’exploitation de base » n’étaient pas réunies, il a validé l’extension de garantie. Une indemnité provisionnelle de 3M€ a été fixée et payée par les assureurs. Analyse de la décision avec Jérôme Goy, conseil de Promod.

Pouvez-vous nous expliquer la portée générale du jugement ?

Le juge a validé l’extension de garantie qui s’exerce lorsqu’il y a impossibilité d’accès aux établissements assurés en raison d’une interdiction des autorités. Elle ne suppose pas qu’un dommage matériel existe. Ce type de clause est très fréquent dans de nombreux contrats d’assurance d’ETI et de grandes entreprises, par exemple dans le secteur du commerce. Enthémis avait déjà obtenu gain de cause pour Kookaï contre Allianz pour une clause similaire.

Il faut savoir que cette clause avait très probablement été repérée par l’ACPR lorsqu’elle a réalisé une étude en juin 2020 à la demande des assureurs sur les « clauses à risque » pouvant être actionnées en raison de la période de crise sanitaire. Etrangement, cette étude n’a jamais été publiée. Un certain pourcentage de clauses sont très à risque pour les compagnies d’assurance.

Quelle est la particularité de la clause qui a permis de condamner l’assureur à indemniser Promod ?

La particularité de cette clause est qu’elle est très répandue dans les entreprises du retail, y compris dans les entreprises de grande taille et des entreprises internationales. Il y a parfois des enjeux financiers de plus de 100 millions d’euros.

C’est une clause assez ancienne, qui a une vingtaine d’années. Cela signifie donc qu’elle concerne énormément de contrats. Les cas de contentieux restent toutefois discrets.

Quelles sont les autres clauses à risque contenues dans les contrats d’assurance ?

Il existe dans des contrats une clause qui prévoit l’impossibilité, la difficulté ou l’interdiction d’accès aux locaux. Cette clause est rédigée de manière très large et elle ne comporte pas d’exclusion relative aux épidémies ou aux pandémies.

Une autre clause « difficulté d’accès » a permis à une entreprise d’être indemnisée en raison de la fermeture des frontières. Cette clause a posé quelques soucis aux assureurs.

Une autre clause a permis de faire condamner l’assureur à indemniser un grand groupe de restaurants car les juges ont considéré que sa fermeture administrative constituait « une atteinte » au sens du contrat » et donc « un dommage matériel » au fonds de commerce des sociétés. Le raisonnement serait donc applicable à toutes les entreprises qui accueillent du public.

Quelles sont les conséquences à retirer pour autres entreprises ?

Il est intéressant de savoir que cette clause a permis de générer des montants importants pour les sociétés concernées. La particularité du jugement de novembre 2022 est également que les montants de garanties sont multipliés par le nombre de pays dans lesquels la société est implantée et par le nombre de confinements. Et chaque montant de garantie est de 5 millions d’euros d’indemnisation (contre 1 million dans l’affaire Kookaï).

Auriez-vous des recommandations aux entreprises ?

Oui, les contrats d’assurance sont généralement considérés comme de l’administratif dans les entreprises. Or, c’est du droit et les contrats d’assurance doivent être rédigés par les directions juridiques avec autant d’attention que les autres contrats.

Les contentieux démontrent que cela s’interprète de manière très pointue.

Je pense que 9 entreprises sur 10 de celles qui avaient un contrat d’assurance susceptibles de couvrir les conséquences du Covid ne l’ont pas fait jouer. Elles ont abandonné le sujet trop vite, c’est dommage car notre expérience des pertes Covid à mon cabinet montre qu’un cas sur deux est favorable aux entreprises dans les affaires en cours ou terminées.

propos recueillis par Leslie Brassac

© Lefebvre Dalloz