Non-transmission d’une QPC relative au régime des visites domiciliaires en matière d’urbanisme

La Cour de cassation a refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité relative aux visites administratives de domicile en droit de l’urbanisme. Elle a estimé que les garanties encadrant cette mesure suffisent à ménager une juste conciliation entre le droit au respect de l’inviolabilité du domicile et l’intérêt général.

Loin d’être gravé dans le marbre, le régime des visites administratives de domicile en droit de l’urbanisme a une histoire mouvante. En 1945, un article de l’ordonnance n° 45-2542 relative au permis de construire indiquait que les fonctionnaires des services de l’urbanisme et de l’habitation et leurs délégués pouvaient, à tout moment, visiter les constructions en cours et procéder aux vérifications qu’ils jugeaient utiles.

Soixante ans plus tard, on retrouvait une disposition analogue codifiée à l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme. Le texte faisait mention d’un droit de visite, de vérification, de communication de documents techniques dans un délai qui se terminait trois ans après l’achèvement des travaux. En revanche, cet article ne donnait aucune précision sur les conditions de mise en œuvre des pouvoirs des fonctionnaires chargés du contrôle, la procédure et les garanties afférentes. Ainsi, il n’était pas prévu que les agents puissent passer outre le refus de l’occupant des lieux et forcer l’entrée, ce qui a conduit la Cour de cassation à affirmer que l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme n’autorisait aucune mesure coercitive (Crim. 12 juin 2012, n° 12-90.024 ; 7 janv. 2014, n° 13-90.029 ; 18 mars 2014, n° 13-87.112 ; 10 sept. 2019, n° 19-81.542). Cependant, dans le même temps, l’article L. 480-12 dudit code réprimait l’obstacle à l’exercice du droit de visite des services de l’urbanisme. L’occupant des lieux se trouvait donc contraint de l’accepter par la menace d’une sanction pénale, susceptible d’être prononcée dès lors que l’occupant oppose un refus ferme ou un empêchement mensonger (Crim. 29 juin 2010, n° 09-82.834).

Si le Conseil constitutionnel n’a rien trouvé à redire à cette articulation du droit de visite et de la répression de l’obstacle qui lui est opposé (Cons. const. 9 avr. 2015, n° 2015-464 QPC, Dalloz actualité, 5 mai 2015, obs. L. Priou-Alibert ; AJDA 2015. 720 ; D. 2015. 805 ; RDI 2015. 301, obs. G. Roujou de Boubée ; RSC 2015. 873, obs. J.-H. Robert ), il n’en a pas été de même pour la Cour européenne, qui a estimé que le régime des visites en droit de l’urbanisme méconnaissait le droit au respect du domicile, découlant de l’article 8 de la Convention européenne (CEDH 16 mai 2019, Halabi c/ France, n° 66554/14, Dalloz actualité, 22 mai 2019, obs. J.-M. Pastor ; ibid., 14 juin 2019, obs. V. Mikalef-Toudic ; AJDA 2019. 1079 ; ibid. 1826 , note P. Coleman ; D. 2019. 1172, et les obs. ; RDI 2019. 403, obs. C. de Jacobet de Nombel ; AJ pénal 2019. 393, obs. V. Courcelle-Labrousse ). Selon les juges de Strasbourg, le droit français n’était pas conforme à la Convention européenne, car la visite des locaux n’était pas subordonnée à l’assentiment de l’occupant ou à une autorisation judiciaire, et que même si l’assentiment était demandé, la perspective de le refuser était purement théorique en raison de l’infraction prévue par l’article L. 480-12 du code de l’urbanisme.

Le nouveau régime des visites en droit de l’urbanisme issu de la loi ELAN

Anticipant une condamnation par la Cour européenne, le législateur a réformé le code de l’urbanisme. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite « loi Elan ») avait pour ambition d’adapter le contrôle de la conformité des constructions aux exigences de l’article 8 de la Convention européenne (C. de Jacobet de Nombel, Le droit de visite et de communication et le droit pénal à la suite de la loi Elan, RDI 2019. 254 ). À cette fin, la loi distingue les opérations visant la constatation d’infractions pénales prévues par le code de l’urbanisme (C. urb., art. L. 480-17) des contrôles administratifs de la réglementation applicable en matière de construction et de travaux (C. urb., art. L. 461-1 s.). Ensuite, elle renforce les garanties offertes à l’occupant des lieux lors des visites : celles-ci ne peuvent être réalisées qu’entre six heures et vingt-et-une heures dans les lieux qui ne sont pas ouverts au public (C. urb., art. L. 461-2, al. 1er), elles supposent l’assentiment et la présence de l’occupant des lieux lorsqu’ils constituent des domiciles ou des locaux comportant des parties à usage d’habitation (C. urb., art. L. 461-2, al. 2), sauf à ce que le juge des libertés et de la détention autorise l’accès en dépit du refus de l’occupant (C. urb., art. L. 461-3, I). Le cas échéant, l’autorisation prend la forme d’une ordonnance, qui doit être notifiée à l’occupant (C. urb., art. L. 461-3, II) et qui peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel dans un délai de quinze jours (C. urb., art. L. 461-3, V). Dans le même délai, il est aussi possible de présenter un recours contre le déroulement des opérations de visite (C. urb., art. L. 461-3, VI).

Dans les grandes lignes, le régime créé par la loi Elan reprend celui de certaines visites domiciliaires réalisées par des agents de l’administration. Depuis plusieurs années, on constate une tendance à uniformiser les garanties prévues lors de ces contrôles. Elle a été initiée en réaction à l’arrêt Ravon c/ France (CEDH 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon c/ France, D. 2008. 1054 ; Rev. sociétés 2008. 658, note B. Bouloc ; RSC 2008. 598, note H. Matsopoulou ), dans lequel la France a été condamnée en raison du manque de recours contre les visites fiscales. L’article L. 16 B du livre des procédures fiscales a alors été modifié pour octroyer des droits procéduraux à l’occupant des lieux. Par la suite, de nombreux régimes de visites domiciliaires par des agents de l’administration ont été réformés pour s’aligner sur le modèle de l’article L. 16 B (sur cette évolution, N. Jeanne, Juridictionnalisation de la répression pénale et institution du ministère public, thèse de doctorat, 2015, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, n° 276).

Conformité du régime des visites domiciliaires administratives du code de l’urbanisme à la Constitution

Bien que la loi Elan ait fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a priori (Cons. const. 15 nov. 2018, n° 2018-772 DC, Dalloz actualité, 19 nov. 2018, obs. Y. Rouquet ; Loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, AJDA 2018. 2269 ), les articles L. 461-1 et L. 461-3 n’ont jamais été soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel. Dans l’affaire commentée, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été soulevée, mais la 3e chambre civile a estimé qu’il n’y avait pas lieu à renvoi.

Les faits en cause remontent à 2022. Il a été reproché à la gérante d’une société propriétaire de parcelles comprenant une maison à usage d’habitation de réaliser des travaux sans en avoir l’autorisation. Par un courrier d’avocat, elle a indiqué à la commune qu’elle refusait de laisser l’accès aux services d’urbanisme. La mairie a sollicité une autorisation du juge des libertés et de la détention, puis a fait procéder à des opérations de visites. La société exploitant les parcelles a formé des recours contre l’autorisation et le déroulement des opérations de visite, mais ils ont été rejetés tant en première instance qu’en appel. C’est dans le cadre de son pourvoi en cassation qu’elle a sollicité la transmission au Conseil constitutionnel d’une QPC.

Elle consistait simplement à demander si les articles L. 461-1 et L. 461-3 du code de l’urbanisme sont contraires au droit au respect de l’inviolabilité du domicile garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Les premières conditions de recevabilité de la QPC ne posaient pas de difficultés : les dispositions en cause étaient bien applicables au litige et elles n’avaient pas déjà été déclarées conformes à la Constitution. Quant à la condition alternative du caractère nouveau ou sérieux de la question, la troisième chambre civile a estimé qu’elle n’avait ni l’un ni l’autre. À l’évidence, la question n’avait pas un caractère nouveau, car le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de faire application de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Pour apprécier le caractère sérieux de la question, la Cour de cassation a contrôlé si l’atteinte au droit au respect de l’inviolabilité du domicile susceptible de résulter des visites était proportionnée. La première étape a été de vérifier que les dispositions contestées poursuivaient un objectif d’intérêt général, ce qui rend possible une ingérence dans l’exercice d’un droit fondamental. En l’espèce, c’était bien le cas, le Conseil constitutionnel ayant déjà reconnu que les règles d’urbanisme servent l’intérêt général (Cons. const. 31 juill. 2020, n° 2020-853 QPC, AJDA 2020. 1574 ; D. 2020. 1573 ; RDI 2020. 530, obs. G. Beaussonie ; RFDA 2021. 1071, note J. Trémeau). Ensuite, la troisième chambre civile a égrené les garanties procédurales en matière de visites : la mesure est subordonnée à l’assentiment préalable de l’occupant ou, si celui-ci refuse ou ne peut être atteint, à une autorisation du juge des libertés et de la détention ; elles ont un objet limité et ne peuvent donner lieu à aucune mesure de contrainte ; elles sont placées sous le contrôle du juge, sont effectuées par des agents limitativement énumérés, à certaines heures, en présence de témoins ; elles sont autorisées par une ordonnance motivée et elles peuvent faire l’objet d’un recours… La Cour de cassation en a conclu que les dispositions étaient de nature à garantir une juste conciliation entre l’intérêt général protégé par le droit de l’urbanisme et le droit au respect de l’inviolabilité du domicile.

Les garanties relevées par la Cour de cassation sont pertinentes. En effet, elles correspondent à celles qui sont généralement retenues par le Conseil constitutionnel lorsqu’il apprécie la proportionnalité d’une atteinte à l’inviolabilité du domicile. Ainsi, il prend en compte le fait qu’il y a une autorisation judiciaire en cas de refus de l’occupant (Cons. const. 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC, Dalloz actualité, 2 mai 2019, obs. C. Dreveau ; AJDA 2019. 786 ; D. 2019. 696, et les obs. ; AJDI 2019. 541 , obs. C. Dreveau ; Constitutions 2019. 154, Décision ), l’existence d’un recours contre le déroulement des opérations (Cons. const. 29 nov. 2013, n° 2013-357 QPC, Dalloz actualité, 4 déc. 2013, obs. X. Delpech ; D. 2013. 2777 ; AJ pénal 2014. 84, obs. G. Roussel ) ou le domaine d’application et la présence de l’occupant des lieux ou de témoins (Cons. const. 29 mars 2018, n° 2017-695 QPC, Dalloz actuaité, 5 avr. 2018, obs. E. Maupin ; AJDA 2018. 710 ; D. 2018. 876, et les obs. , note Y. Mayaud ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Constitutions 2018. 277, chron. O. Le Bot ). Au regard de tous ces critères, la Cour de cassation pouvait raisonnablement estimer que le Conseil constitutionnel n’allait pas censurer les articles L. 461-1 et L. 461-3 du code de l’urbanisme.

En revanche, il y a sans doute un angle mort dans le régime des visites administratives, tenant à leurs conditions de mise en œuvre. L’article L. 461-1 du code de l’urbanisme pose comme seule condition que les lieux à visiter accueillent ou sont susceptibles d’accueillir des constructions, aménagements, installations et travaux soumis aux dispositions du code de l’urbanisme et jusqu’à six ans après l’achèvement des travaux. Il s’agit de conditions relativement simples à remplir par comparaison à d’autres visites domiciliaires mises en œuvre par des agents de l’administration. Par exemple, les visites fiscales supposent des présomptions de soustraction à l’impôt ou de déclarations inexactes (LPF, art. L. 16 B, I), tandis que les perquisitions administratives en matière de terrorisme sont conditionnées par des raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics (CSI, art. L. 229-1). Les conditions souples de l’article L. 461-1 du code de l’urbanisme conduisent à un contrôle relativement lâche par le juge qui autorise la mesure. À cet égard, l’article L. 461-3 exige seulement que l’ordonnance comporte l’adresse des lieux à visiter, le nom et la qualité des agents habilités à procéder aux opérations de visite, ainsi que les heures auxquelles ces agents sont autorisés à se présenter. Dans son avis, l’avocat général avait relevé cette faiblesse du contrôle par le juge (Avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, p. 17). Il a néanmoins nuancé la critique, en relevant que la possibilité d’un recours invitait les juges des libertés à étoffer leur motivation en reprenant les éléments de fait justifiant la visite, et qu’il en allait de même pour les requêtes sollicitant les autorisations (ibid.). Sur ce point, la saisine du Conseil constitutionnel aurait pu permettre de savoir quelle importance accorder à ce critère. On se ralliera donc à la conclusion de l’avocat général dans cette affaire : même si les visites sont assorties de nombreuses garanties, la prudence commande de laisser le Conseil constitutionnel apporter son appréciation sur le caractère proportionné d’une atteinte à un droit fondamental. Ce n’est pas le choix qu’a fait la troisième chambre civile.

 

Civ. 3e, 19 déc. 2024, FS-B, n° 24-16.592

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