Note salée en matière d’emballages

Alors que la guerre des prix fait rage et que les sociétés de l’industrie alimentaire se livrent un combat sans merci pour tirer leur épingle du jeu, la protection accordée aux emballages apparaît de toute évidence comme un enjeu crucial. Savoir se démarquer de ses concurrents et fidéliser la clientèle sont autant d’ingrédients indispensables au succès commercial, s’agissant notamment des produits de consommation courante.

Le droit français propose un large éventail de fondements juridiques qui peuvent être invoqués par les sociétés victimes du comportement indélicat d’entreprises concurrentes. L’on songe naturellement à la contrefaçon à raison de l’atteinte à un ou plusieurs droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur, dessins et modèles ou encore droit des marques), mais également à la responsabilité délictuelle de droit commun fondée sur l’article 1240 du code civil (concurrence déloyale et/ou parasitisme) ou encore aux pratiques commerciales trompeuses réprimées par les dispositions du code de la consommation.

Pour autant, il n’est pas certain que cet arsenal soit systématiquement d’une grande aide dans un secteur où les conditionnements, reprenant des codes et usages anciens et intégrés, présentent bien souvent des caractéristiques communes.

Quelques décisions sortent toutefois du lot, à l’instar de l’arrêt rendu le 5 décembre 2023 par la Cour d’appel de Rennes, s’agissant d’emballages de sel.

Au menu de cette affaire : rejet de la contrefaçon du droit d’auteur, mais sanction au titre du parasitisme et octroi de dommages-intérêts dissuasifs. Si, de prime abord, la recette peut apparaître classique, son exécution à la sauce rennaise révèle quelques surprises.

Les sociétés L’Atelier du sel (les intimées), exerçant une activité de paludiers, commercialisent une gamme de sels aromatisés sous un emballage spécifique dont elles ont acquis les droits auprès du designer. Considérant que la société Les Délices de Joséphine (l’appelante) commercialisait une gamme de produits copiant les leurs, elles avaient été autorisées à faire diligenter une saisie-contrefaçon avant de saisir le Tribunal judiciaire de Rennes d’une action en contrefaçon de droit d’auteur, finalement couronnée sur le seul fondement de la concurrence déloyale et parasitaire. Elles s’étaient alors vu allouer les sommes de 15 000 € en réparation de leur préjudice matériel et 2 000 € par demanderesse au titre de leur préjudice moral (TJ Rennes, 4 janv. 2021). Le jugement entrepris est confirmé par la Cour d’appel de Rennes.

Pincée de sel sur l’originalité…

L’arrêt commenté suit une approche classique quant à l’appréciation de l’originalité et en décortique soigneusement chaque étape. Tout d’abord, la cour rappelle qu’il est indifférent que le conditionnement d’un produit ne soit pas mentionné dans la liste non-exhaustive des œuvres de l’esprit de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle et qu’il peut, bien entendu, être protégé au titre du droit d’auteur dès lors qu’il présente des caractéristiques originales (i.e., « une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur »).

La cour procède ensuite à une analyse détaillée des éléments composant les emballages des intimées et pour lesquels la protection du droit d’auteur était recherchée : un pot en plastique transparent avec un couvercle vissant en aluminium, un médaillon autocollant à fond noir avec des aigrettes blanches dans des marais symbolisés par des traits colorés en fonction de l’ingrédient ajouté au sel (vert, rose, rouge ou bleu turquoise), une étiquette rectangulaire aux bords irréguliers (comme usés par le temps) avec divers caractères d’imprimerie (comportant notamment le nom des paludiers et leur qualité, « ce qui confère une personnalité supplémentaire au conditionnement »), un sticker de sécurité comprenant le label de qualité agriculture biologique et un trait de couleur renvoyant à celui du médaillon.

En pratique, les juridictions du fond ont souvent refusé de reconnaitre l’originalité d’emballages alimentaires, jugeant leurs caractéristiques courantes (pour quelques ex. réc., Colmar, 1er févr. 2023, n° 21/00635 ; Versailles, 26 janv. 2017, n° 15/01073 ; TGI Paris, 26 févr. 2016, n° 14/05129).

Pourtant, comme le savent les gourmets, l’assemblage d’ingrédients simples ou communs peut parfois permettre d’obtenir un résultat original : si tarte Tatin et tarte aux pommes ont la même composition, nul ne songerait à les confondre ! La Cour partage cette conviction et rappelle que, si les caractéristiques présentées ci-dessus, prises isolément, sont courantes, voire imposées au regard de la nature du produit, l’originalité peut se déduire de leur combinaison (pour un ex. réc.,TJ Paris, 13 avr. 2023, n° 21/09930). Au cas d’espèce et dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation, les magistrats rennais soulignent l’adoption d’une « charte graphique, qui met en avant des symboles identitaires – un oiseau caractéristique de la faune saline, un savoir-faire (l’ancestralité et la confidentialité de la technique de récolte du gros sel est signifiée par les bords irréguliers comme usés par le temps de l’étiquette du produit et l’emploi du vocable "paludiers"), ainsi que des couleurs inspirées des cristaux de sel ou de l’argile qui donne au gros sel sa couleur grise […] » et en concluent que l’emballage est original en ce qu’il « produit ainsi un effet à la fois soigné et artisanal singulier, évocateur de délicatesse et de tradition. Cet aspect esthétique est le fruit d’une recherche et d’une démarche créative traduisant le parti pris esthétique et l’empreinte de la personnalité de l’auteur ».

De manière surabondante, la cour d’appel souligne pour finir que des contrats de cession avaient été conclus avec la société ayant conçu les étiquettes et le conditionnement. Ce constat en confirmerait de plus fort le caractère protégeable.

L’argument apparaît toutefois quelque peu artificiel : peut-on vraiment juger un livre sur sa couverture ? La soupe a-t-elle le goût de sa couleur ?

… Grains de sable dans les rouages de la contrefaçon

En droit d’auteur, caractériser la contrefaçon implique d’établir la reproduction ou la représentation non autorisée des éléments caractéristiques de l’œuvre protégée. Or, pour les magistrats bretons, les ressemblances entre les conditionnements en conflit portent uniquement sur des caractéristiques présentes sur de nombreux emballages alimentaires, notamment de condiments (y compris le choix des couleurs en référence à l’ingrédient ajouté au sel). Ce simple constat justifie donc d’écarter toute contrefaçon.

Toutefois et alors que la contrefaçon s’apprécie par les ressemblances et non les différences (v. not., Civ. 1re, 6 janv. 2021, n° 19-20.758, D. 2021. 1442, obs. J.-C. Galloux et P. Kamina ), la cour croit utile de s’attarder longuement sur l’existence d’importantes disparités entre les emballages, notamment eu égard au choix d’une police de caractère lourde et épaisse ainsi qu’à l’absence de dessins ou de la mention du producteur sur les emballages querellés. Les magistrats estiment que ces différences confèreraient aux packagings litigieux « un aspect d’ensemble plus moderne, essentiellement informatif, beaucoup moins sophistiqué, presque "industriel", par opposition au caractère raffiné, cultivant à la fois une douce nostalgie ancestrale et un parti pris écologique, qui se dégage de celui du GAEC L’atelier du sel et de la SARL L’atelier du sel ».

Au titre des différences censées permettre d’écarter la contrefaçon, l’arrêt du 5 décembre 2023 souligne qu’aucun label ne figurerait sur l’emballage de l’appelante/défenderesse, alors que le label agriculture biologique serait mentionné à deux reprises sur l’emballage des intimées/demanderesses. Elle intègre donc cette certification dans l’appréciation de l’originalité et de la contrefaçon. Or, la délivrance de la certification est encadrée par des normes et son usage strictement réglementé : l’apposition d’un label répond donc à des impératifs techniques et ne reflète en aucun cas la personnalité de l’auteur de l’emballage. Ainsi, ne faisant pas partie des éléments originaux protégés par le droit d’auteur, son éventuelle non-reprise sur l’emballage argué de contrefaçon apparaît indifférente. Seul le choix du positionnement du label sur l’emballage aurait éventuellement pu impliquer – au mieux – un très faible parti pris esthétique.

Si la protection des caractéristiques habituelles d’emballages dans un secteur d’activité donné (étiquettes rectangulaires, mentions semblables, sticker liant le couvercle et le pot, usage de diverses polices de caractères, couleurs proches, voire identiques) peut apparaître complexe au visa du droit d’auteur, l’arrêt commenté démontre que le fondement de la responsabilité civile de droit commun peut, à l’inverse, s’avérer beaucoup plus accueillant.

Le parasitisme, plat de résistance peu garni

C’est finalement sur le fondement de l’article 1240 du code civil que les intimées/demanderesses obtiennent gain de cause. À cet égard, il est intéressant de constater que la cour n’entre pas en voie de condamnation au titre de la concurrence déloyale (en l’absence de risque de confusion entre les emballages en cause), mais au visa du parasitisme.

Le parasitisme consiste « pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis » (Com. 5 janv. 2022, n° 19-23.701, Légipresse 2022. 144 et les obs. ) et « requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements » (Paris, 18 oct. 2023, n° 21/14626). En revanche et ainsi que le rappelle la cour, l’existence d’un risque de confusion est indifférente.

Au cas d’espèce, la cour reproche à l’appelante/défenderesse de s’être placée dans le sillage des intimées, lesquelles ont « investi dans le développement d’une charte graphique contenant une identité forte, qu’ils ont appliquée dans leurs conditionnement et emballages ».

Toutefois, l’on ne peut manquer de rester sur sa faim s’agissant de la motivation retenue. En effet, le comportement fautif résulterait du fait, d’une part, que l’appelante et les intimées avaient recours aux mêmes entités pour le conditionnement de leurs produits et la fourniture de leurs étiquettes et, d’autre part, que les étiquettes des produits de l’appelante avaient le même motif à bords irréguliers (comme usés par le temps), ce qui ne saurait être fortuit.

Si la volonté de l’appelante de se placer dans le sillage de sa concurrente semble effectivement caractérisée, ce seul constat ne nous semble pas suffire à engager sa responsabilité. En effet, le seul fait de commercialiser des produits identiques ou similaires à ceux, qui ne font pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, distribués par un concurrent relève de la liberté du commerce et n’est pas fautif, dès lors que cela n’est pas accompagné de manœuvres déloyales constitutives d’une faute telle que la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce (Paris, 21 juin 2023, n° 21/08929, Dalloz actualité, 19 sept. 2023, obs. F. Donaud).

Selon nous et contrairement à ce qu’a pu retenir la Cour d’appel de Rennes, le seul constat de la reprise de « l’idée novatrice » des intimées était insuffisant pour entrer en voie de condamnation, les idées et concepts n’étant ni protégeables ni appropriables (s’agissant d’un concept d’emballage, Com. 22 juin 2017, n° 14-20.310, D. 2017. 1359  ; Dalloz IP/IT 2017. 597, obs. A. Lecourt  ; Légipresse 2017. 366 et les obs.  ; RTD com. 2017. 885, obs. F. Pollaud-Dulian ), pas davantage que les éléments banals d’un conditionnement (Com. 15 janv. 2002, n° 99-21.547 ; Versailles, 26 janv. 2017, n° 15/01/073 ; Paris, 1er mars 2023, n° 21/05308, Légipresse 2023. 148 et les obs. ), notamment lorsqu’ils répondent à des exigences fonctionnelles (Paris, 17 janv. 2014, n° 12/22891 ; 28 sept. 2022, n° 18/09161). D’ailleurs, la Cour d’appel de Rennes précise elle-même que « ce détail est à peine perceptible (blanc sur crème) », permettant dès lors de douter qu’il puisse s’agir d’une valeur économique individualisée, ainsi que l’exige la jurisprudence.

La présente affaire illustre la forte casuistique qui prévaut en matière d’emballages alimentaires au gré des décisions rendues par les juridictions françaises et, surtout, de la sensibilité des magistrats amenés à se prononcer. L’analyse de l’état du marché conduit d’ailleurs bien souvent les juges du fond à écarter tout comportement déloyal, après avoir constaté l’existence de normes et d’usages communs (pour un ex. en matière d’emballages de chips, Paris, 16 juin 2023, n° 21/13906).

Quoi qu’il en soit, au cas d’espèce, la Cour d’appel de Rennes confirme le jugement entrepris en ce qu’il a retenu un préjudice matériel de 15 000 €, non sans avoir préalablement souligné qu’une partie de ce montant sert « de sanction dissuasive ».

Ce faisant, alors que le droit français retient un principe de réparation de « tout le préjudice, rien que le préjudice », l’arrêt ajoute in extremis un ingrédient de nature à gâter la sauce et qui pourrait inciter la défenderesse/appelante à saisir la Cour de cassation… 

 

Rennes, 5 déc. 2023, n° 21/01537

© Lefebvre Dalloz