Notification des conclusions en appel, le vertigineux arrêt de la Cour de cassation
La remise des conclusions par l’appelant en main propre à l’avocat de l’intimé contre récépissé, faite en lieu et place de la notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, qui établit non seulement la remise mais aussi sa date certaine, constitue une irrégularité de forme qui n’est susceptible d’être sanctionnée que par la nullité de forme sur démonstration d’un grief.
À la différence du vertige stendhalien, certains vertiges juridiques naissent parfois de la contemplation d’une situation toute simple. Représenté par un défenseur syndical, un salarié relève appel d’un jugement du conseil de prud’hommes devant la Cour d’appel de Metz. La société intimée soulève la caducité de la déclaration d’appel dès lors que le défenseur syndical a remis en main propre, contre récépissé, ses conclusions et pièces à l’avocat de l’intimé et non selon les formes imposées par l’article 930-3 du code de procédure civile. Sur déféré, la cour d’appel confirme l’ordonnance entreprise. Afin de faire échec à cette caducité et arguer que l’irrégularité de la remise relevait de la nullité de forme sur démonstration d’un grief, le pourvoi du salarié avançait la violation des articles 930-3 et 114 du code de procédure civile. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation retient le moyen, non seulement au visa de ces deux textes, mais encore de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
« 7. Selon le premier de ces textes, les notifications entre un avocat et un défenseur syndical sont effectuées par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie de signification.
8. Selon le deuxième, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
9. Il résulte du troisième, selon la Cour européenne des droits de l’homme, que le droit d’accès aux tribunaux n’étant pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, laquelle peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6, § 1, de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (not., CEDH 19 févr. 1998, Edificaciones March Gallego S.A. c/ Espagne, § 34, Recueil 1998).
10. Pour prononcer la caducité de l’appel, après avoir rappelé les termes des articles 908, 911, alinéa 1er et 930-3 du code de procédure civile, l’arrêt énonce que l’article 667 du même code, relatif à la notification des actes en la forme ordinaire, ne s’applique pas en l’espèce, les échanges entre un avocat et un défenseur syndical étant réglementés par l’article 930-3 précité, que le défenseur syndical a déposé, en main propre contre récépissé le 13 décembre 2019, ses conclusions et ses pièces directement auprès de l’avocat de l’intimée, et que celles-ci n’ont fait l’objet d’aucune notification par lettre recommandée avec accusé de réception ou par voie de signification avant la date du 19 décembre 2019, marquant l’expiration du délai de trois mois prévu à l’article 908 du code de procédure civile.
11. En statuant ainsi, alors que la remise des conclusions par l’appelant en main propre à l’avocat de l’intimé contre récépissé, faite en lieu et place de la notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, qui établit non seulement la remise mais aussi sa date certaine, constitue une irrégularité de forme qui n’est susceptible d’être sanctionnée, le cas échéant, que par le prononcé d’une nullité de forme sur la démonstration d’un grief, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Le défenseur syndical n’est pas un avocat comme les autres
La situation impose les prolégomènes. Comme si les choses n’étaient pas déjà assez compliquées en procédure d’appel, le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 a introduit, pour toutes déclarations d’appel formées à compter du 1er août 2016 contre les décisions du conseil de prud’hommes, une représentation obligatoire par avocats mais aussi par défenseurs syndicaux (C. trav., art. R. 1461-1 et R. 1461-2). En même temps que s’imposait le passage d’une procédure orale à une procédure écrite dans laquelle sévissait les innombrables pièges et subtilités nés des décrets Magendie, voire de l’interprétation des textes par la Cour de cassation, cette dualité dans la représentation des parties a induit des difficultés supplémentaires, mais encore des risques accrus, à la fois causes et conséquences d’une absence de postulation et de communication électronique partagée entre avocat et défenseur syndical. Mais après tout, si l’on dira avec un brin de provocation que ce défenseur-là n’est pas un défenseur comme les autres, défenseur syndical ou avocat, spécialiste de la procédure ou novice, l’on n’est jamais obligé d’accepter une mission. Encore moins en l’absence de rémunération.
Et si l’on discutera, à l’envi, de la clairvoyance d’un législateur qui a souhaité faire cohabiter deux défenseurs en appel en donnant à celui, qui n’est pas un professionnel du droit selon l’expression même de la Cour de cassation (s’il est formé, il n’est ni rémunéré, ni assuré) la possibilité de représenter un justiciable dans la procédure d’appel avec représentation obligatoire (celle-là même qui enregistre, toutes matières confondues, le plus important taux de sinistres chez les avocats), on ne polémiquera pas sur la dérogation qui lui a été offerte dans la notification de ses conclusions. Car s’il doit respecter l’ensemble des obligations procédurales en appel et éviter, tout comme l’avocat, de trébucher en chemin, le défenseur syndical, qui ne connaît pas de limites juridiques, connaît une limite technique, celle de l’accès à la communication électronique.
Le défenseur syndical n’a pas accès au réseau privé virtuel des avocats (RPVA), réservé donc aux avocats (les mauvaises langues ajouteront : quelle chance !), de sorte que l’article 930-3 prévoit que « Les notifications entre un avocat et un défenseur syndical sont effectuées par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie de signification ». À défaut de détenir une clé e-barreau, source d’identification, le défenseur syndical doit donc utiliser ces deux voies de notification. Tenu éloigné du RPVA, il dispose de deux modes précis pour notifier ses écritures. À armes égales dira-t-on puisque dans leurs rapports de communication, défenseurs syndicaux et avocats utilisent une même méthode de notification excluant, logiquement, la voie électronique.
Mais, dans cette affaire, par souci d’économie pour le salarié peut-être, plutôt que d’acquitter le coût d’une signification d’un commissaire de justice ou d’affranchir sa lettre recommandée, le défenseur syndical préféra s’affranchir d’une autre lettre, celle de l’article 930-3. Il déposa, contre récépissé, ses conclusions d’appelant au cabinet d’avocats qui représentait la société intimée, conduisant la Cour de Metz à écarter l’application de l’article 667 du code de procédure civile qui dispose que « la notification en la forme ordinaire peut toujours être faite par remise contre émargement ou récépissé alors même que la loi n’aurait prévu que la notification par voie postale ». La cour d’appel ne le disait pas, mais on le dira pour elle, c’était une manière d’imposer le texte spécial sur le général, sans que, prima facie, on puisse le lui reprocher. Ce d’autant que l’on connaît la rigueur avec laquelle la Cour de cassation interprète les articles spécifiques à la procédure d’appel, et en première ligne ceux propres aux modes de notification des actes de procédure qui ne prévoient que deux très étroites issues de secours, la force majeure et la cause étrangère. Depuis 2006, on sait que la théorie de l’inexistence n’a plus cours devant les cours, et s’il était indéniable que les écritures de l’appelant existaient bien, et avaient été communiquées dans le délai légal à l’avocat de la société intimée, elles n’avaient jamais été déposées, dans ce même délai, selon la forme requise. Dès lors, la caducité était encourue.
Défenseur syndical et avocat, la mise en abyme
Cette caducité était d’autant plus encourue que la deuxième chambre civile, écartant l’article 6, § 1, de la Convention invoqué par un défenseur syndical qui avait relevé appel d’une décision prud’homale, avait approuvé, peu de temps auparavant, une cour d’appel qui avait retenu directement cette sanction après un dépôt des conclusions en main propre : « Mais attendu qu’ayant rappelé que, selon l’article 911 du code de procédure civile, les conclusions de l’appelant sont signifiées aux parties qui n’ont pas constitué avocat sous les sanctions prévues aux articles 908 à 910 du code de procédure civile et constaté que M. J…, appelant, avait seulement déposé ses conclusions au siège de l’[…] dans le délai légal, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit, par ce seul motif et sans qu’il y ait lieu pour elle de rechercher si l’irrégularité dénoncée avait causé un grief à l’intimé, que la caducité de la déclaration d’appel devait être prononcée » (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-21.331). « Sans qu’il y ait lieu pour elle de rechercher si l’irrégularité dénoncée avait causé un grief », limpide. Et logique : ce qui est finalement imposé est que non seulement la formalité attendue soit accomplie en temps et heure, mais encore selon la forme requise, laquelle est imposée au défenseur syndical comme à l’avocat puisque tous deux, dans leurs notifications directes, répondent de l’article 930-3.
Mais pour la deuxième chambre civile, version 2023, la notification contre récépissé établit non seulement la remise et une date certaine, mais encore, et surtout, ressort de la seule nullité de forme sur démonstration donc d’un grief. Si la première assertion ne pose pas de difficulté, la seconde liée spécifiquement à la sanction questionne, et pas seulement au regard de l’arrêt précité émanant de la même chambre mais, plus grave, du maniement comme de la cohérence des règles juridiques.
Peut-on véritablement prétendre qu’il s’agit d’une nullité de forme alors que, finalement, ce n’est pas le contenu de l’acte qui est en cause mais la procédure, stricto sensu, de notification qui n’a pas été respectée ? Voilà la première interrogation d’une liste interminable à mesure que l’on explore cet arrêt. En quoi le contenu de l’acte, les conclusions, était-il en cause ? Car lorsque la Cour de cassation juge que la caducité ne peut être prononcée sans que le grief résultant de la nullité ne soit préalablement caractérisé, c’est que le contenu de l’acte est affecté (Civ. 2e , 4 nov. 2021, n° 20-13.568 F-P, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. R. Laffly ; Rev. prat. rec. 2021. 5, chron. E. Jullien et O. Salati
; 4 nov. 2021, n° 20-11.875 F-B, Dalloz actualité, 24 nov. 2021, obs. R. Laffly).
Lorsque l’on discute des irrégularités de forme, c’est le contenu de l’acte qui est en cause, qu’il s’agisse d’une adresse inexacte, d’une erreur sur la forme sociale ou sur la mention de l’organe qui représente la partie, de l’absence de pages, d’un dispositif, d’une annexe, voire d’une signature… Dans ce cas, la deuxième chambre civile emprunte une voie médiane : il faut en passer par la nullité de forme sur preuve d’un grief pour obtenir la caducité. Or, en l’espèce, le contenu des conclusions n’était nullement en cause, c’était la modalité de remise, et elle seule, qui l’était.
Tatillon et proche du texte, il serait aussi possible d’objecter que l’article 667 du code de procédure civile dispose que « la notification en la forme ordinaire peut toujours être faite par remise contre émargement ou récépissé alors même que la loi n’aurait prévu que la notification par voie postale ». Or, la loi n’a pas prévu que la voie postale puisque l’article 930-1 offre au défenseur syndical, comme à l’avocat, deux formes distinctes de notification.
Et en prenant à l’inverse de la hauteur, on observera que le recours contre une décision, s’il n’est pas effectué selon la forme requise, conduit non pas à une nullité mais bien à une irrecevabilité, sans passer non plus par la case nullité alors qu’il est l’expression même de l’accès au juge. Le contenu est d’ailleurs le critère distinctif pour la Cour de cassation. Si l’irrégularité affecte le contenu de l’acte, et non le mode de saisine, c’est qu’il s’agit d’une nullité de forme. Innombrables sont les exemples en procédure ordinaire, et l’on soulignera le raisonnement, sciemment, même en procédure sans représentation obligatoire. Ainsi, l’appel contre la décision du bâtonnier arbitrant un différend entre avocats autrement formé que par lettre recommandée au secrétariat-greffe de la cour d’appel ou remis contre récépissé au greffier en chef n’encourt pas la nullité mais bien directement l’irrecevabilité (Civ. 1re, 22 sept. 2021, Procédures 2021. Comm. 289, obs. R. Laffly). Deux formes possibles d’appel, pas une de plus, une irrecevabilité, pas une nullité. Et quel meilleur exemple que la déclaration de saisine sur renvoi après cassation, qui n’est pourtant pas une voie de recours : si elle mentionne « déclaration d’appel valant saisine », elle n’entraîne qu’une nullité de forme dès lors qu’une déclaration de saisine a bien été régularisée, mais la formalisation d’une déclaration d’appel au lieu et place d’une déclaration de saisine, même avec l’ensemble des mentions requises, entraîne l’irrecevabilité (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-11.266 et n° 16-24.269 F-P+B, Dalloz actualité, 21 nov. 2017, obs. R. Laffly ; 14 janv. 2021, n° 19-14.293 F-P+I, Dalloz actualité, 29 janv. 2021, obs. C. Lhermitte).
Au-delà, l’encadrement précis des modes de notification est une source de sécurité juridique, laquelle s’accorde mal avec une multiplicité de procédés d’accomplissement des actes de la procédure (mail, télécopie…), comme d’un trop-plein d’interrogations. La sécurité naît toujours d’une règle claire. Et si l’on peut imaginer que dans une procédure avec représentation obligatoire non soumise à des délais de rigueur une diversité des modes de notification entre les parties puisse être de mise, la même procédure impactée par des délais de notification tels qu’ils existent en appel, tous prévus à peine de caducité ou d’irrecevabilité, nécessite a minima une règle du jeu précise. Ce n’est pourtant pas la voie choisie par la Cour de cassation, mais peut-être l’explication est-elle à trouver dans la procédure de notification des conclusions entre avocats ?
Défenseur syndical et avocat, même combat
Pour comprendre la problématique posée, une incursion dans la procédure « classique » entre avocats semble nécessaire. Les notifications entre avocats bénéficient d’une section spéciale du code de procédure civile et sont prévues par les articles 671 et suivants, celles-ci étant faites uniquement par voie de signification ou de notification directe. Et au visa des articles 672 et 673 du code de procédure civile, la Cour de cassation estime que ces modes de notification entre avocats sont exhaustifs (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-12.752 et n° 19-12.753 F-P+B+I, Dalloz actualité, 28 juill. 2020, obs. G. Maugain ; D. 2020. 1472
; Rev. prat. rec. 2020. 12, obs. O. Cousin, M. Draillard, E. Joly et R. Laher
). Selon le premier de ces textes, la signification des actes entre avocats est constatée par l’apposition du cachet et de la signature de l’huissier de justice sur l’acte et sa copie avec l’indication de la date et du nom de l’avocat destinataire. Selon le deuxième, la notification directe des actes entre avocats s’opère par la remise de l’acte en double exemplaire à l’avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l’un des exemplaires après l’avoir daté et visé. En sorte, une forme améliorée de la remise en main propre telle qu’utilisée par le défenseur syndical.
On pourrait donc en déduire que si le mode de remise est exhaustif, selon le mot de la Cour de cassation, l’utilisation de tout autre procédé débouche sur une irrecevabilité. Mais il faut nuancer.
Déjà parce que la notification directe et la signification, méthodes qui s’imposèrent dans le code de procédure civile de 1976, ont su laisser place à une forme de notification particulière, celle de la communication par voie électronique prévue par les articles 748-1 et suivants du code de procédure civile, le consentement de l’auxiliaire de justice se déduisant de son adhésion à un réseau de communication électronique, en l’occurrence le RPVA. C’est même le mode privilégié, pour ne pas le dire exclusif, de notification entre avocats. C’est une autre forme de notification directe, qui ne remet pas en cause le principe d’exhaustivité du mode de notification, plutôt celui d’exclusivité de l’outil de communication.
Ensuite car un autre article du code de procédure civile, l’article 693 qui ressort de la section « Dispositions diverses », précise que « ce qui est prescrit par les articles 654 à 659, 663 à 665-1, 672, 675, 678, 680, 683 à 684-1, 686, le premier alinéa de l’article 688 et les articles 689 à 692 est observé à peine de nullité ». À peine de nullité de forme donc. Un seul problème : si l’article 692 est visé, l’article 693 sur la notification directe manque à l’appel ! Or, la nullité doit découler d’un texte, c’est même l’article 114, alinéa, 1er, qui le dit, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public. Est-ce à dire qu’il y aurait une autre voie que la nullité ? Non, si l’on raisonne par extension et analogie pour imposer là aussi la nullité. Oui, si l’on se réfère aux décisions des cours d’appel, comme celle de la Cour de Metz, qui estiment qu’hors ces modes précis et recensés de notification, la caducité de la déclaration de l’appel ou l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé est encourue (v. en ce sens, E. Vajou, Appel prud’homal : validité de la notification par courriel ou par lettre recommandée entre avocats ? Gaz. Pal. 29 janv. 2019, n° 4). Et si l’on demande aux avocats ce qu’ils en pensent, ils répondront qu’ils savent depuis longtemps que l’absence de notification de leurs écritures par voie électronique conduit à leur irrecevabilité.
Pourtant, seule la communication électronique avec la juridiction est imposée à peine d’irrecevabilité. Sans équivoque, l’article 930-1 dispose qu’« À peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ». À la juridiction seulement. Et l’article 930-2 répute ces mêmes dispositions inapplicables au défenseur syndical, lui qui n’a pas accès au RPVA. En matière de mode de notification des actes de la procédure, la sanction d’irrecevabilité, textuelle, ne s’impose qu’entre l’avocat et la juridiction. Au détriment du premier bien sûr.
Mais dans 99,99 % des cas, pour ne pas dire plus, l’avocat qui notifie ses conclusions d’appelant ou d’intimé au greffe les adresse, via RPVA, à la chambre devant laquelle l’affaire est distribuée avec en copie ses confrères constitués. Au-delà de la sécurisation de la transmission du message, cela permet, dans une matière où la sanction s’impose en cas de non-respect des délais de notification des conclusions, de l’horodater de manière certaine alors que l’article 911 du code de procédure civile dispose, à peine de caducité et d’irrecevabilité, que les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Instantanéité, à la minute près. Mieux qu’un commissaire de justice ! Sans compter que le RPVA fonctionne – quand il fonctionne – jour et nuit, week-end et jours fériés compris, autre différence de choix avec l’officier ministériel ! C’est encore une manière de conforter le contradictoire, en mettant instantanément en copie son confrère et la juridiction, avec une fluidité et une conservation renforcées des échanges. Chacun peut donc s’assurer non seulement du moment de la transmission, mais encore de son contenu exact.
Bref, face à ce couteau suisse permettant à l’avocat de communiquer, jusqu’à des heures indues, à la fois avec la juridiction mais encore avec son confrère, la communication par voie électronique s’est imposée au point qu’on la juge, dans ce dernier cas, indispensable… à peine d’irrecevabilité. Très perfectible, très critiquable et très critiqué, ce mode de communication s’est néanmoins imposé, mais, on l’aura compris, ad probationem et non ad valididatem dans les rapports entre avocats.
On dirait presque tout cela pour se convaincre qu’une autre sanction serait impensable et qu’il est logique de faire triompher la nullité, sur preuve d’un grief, sans le moindre égard au contenu d’un acte qui n’est, nullement, en cause. Autant dire qu’il faudra passer, la plupart du temps, son chemin. Mais, décidément, cet arrêt n’en finit pas d’interroger. Car il n’y aurait rien d’étonnant, on l’a vu comme l’avait vu elle-même en 2020 la deuxième chambre civile, à considérer, dès lors que la partie est réputée ne pas avoir notifié ses écritures selon le mode approprié dans le délai imparti, à peine de caducité de la déclaration d’appel ou d’irrecevabilité des conclusions, que ce soient ces mêmes caducité et irrecevabilité qui puissent être directement prononcées. Et sans en passer donc par la résurrection de feu la théorie de l’inexistence des actes. On voudrait bien sauver cet arrêt, mais il continue à interroger ; pire, il jette le trouble aux termes d’une motivation trop enrichie par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Défenseur syndical et avocat, l’interrogatoire en règles
On aurait pu s’arrêter là, mais la deuxième chambre civile ne s’arrête pas. Plutôt que de se limiter au visa des articles 930-3 et 114 du code de procédure civile, elle convoque aussi l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui, ici, à des allures d’interpolation. Après avoir rappelé les règles internes, puis le principe bien connu de l’autonomie processuelle des États contractants, elle ajoute aussitôt que « les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6, § 1, de la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ». Et là on ne suit plus très bien.
Pourquoi faire appel à l’article 6, § 1, si la règle posée est claire, si le double mode de notification prévu à l’article 930-3 n’est pas limitatif et qu’une notification contre récépissé peut parfaitement être préférée ? Est-ce parce que la solution ne serait pas si sûre et peinerait à s’imposer sans l’incantation d’une règle supérieure ? Si, finalement, l’écart du texte spécial et l’utilisation d’un autre procédé de notification ne conduit pas à l’irrecevabilité, pour quelle raison le défenseur syndical serait-il privé d’un accès au juge ? Est-ce que la preuve d’un grief, bien hypothétique, serait toujours trop sévère ? Est-ce parce que la remise contre émargement ou récépissé de l’article 667 du code de procédure civile serait encore d’usage trop restreint pour lui qu’il faudrait aussi pouvoir autoriser tout type de notification ? Il est vrai, en cherchant un peu s’agissant d’un arrêt inédit, que la chambre sociale a pu valider la remise de conclusions d’appelant par un défenseur syndical à l’avocat de l’intimé par courrier électronique (Soc. 22 mars 2023, n° 21-25.897). Est-ce donc une manière pour la deuxième chambre civile de rejoindre la chambre sociale, tout en s’écartant de son propre arrêt du 9 janvier 2020, rendu dans des conditions identiques, l’application de l’article 6, § 1, de la Convention étant cette fois écartée ? Est-ce encore une manière de prendre ses distances, puisque nous ne sommes plus à une incohérence près, avec ses deux arrêts de section, publiés, du 8 décembre 2022 ?
Rappelons la solution : « l’obligation impartie aux défenseurs syndicaux, en matière prud’homale, de remettre au greffe les actes de procédure, notamment les premières conclusions d’appelant, ou de les lui adresser par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ne crée pas de rupture dans l’égalité des armes dès lors qu’il n’en ressort aucun net désavantage au détriment des défenseurs syndicaux auxquels sont offerts, afin de pallier l’impossibilité de leur permettre de communiquer les actes de procédure par voie électronique dans des conditions conformes aux exigences posées par le code de procédure civile, des moyens adaptés de remise de ces actes dans les délais requis ». Pour la Haute Cour, le défenseur syndical, que choisit l’appelant pour le représenter, s’il n’est pas un professionnel du droit, n’en est pas moins à même d’accomplir les formalités requises par la procédure d’appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif de nature à porter atteinte au droit d’accès au juge garanti par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme (Civ. 2e, 8 déc. 2022, n° 21-16.487 FS-B et n° 21-16.186 FS-B+R, Dalloz actualité, 4 janv. 2023, obs. C. Bléry ; D. 2022. 2296
; ibid. 2023. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras
). Rappelons encore la solution du premier arrêt : « La cour d’appel, qui a exactement retenu que l’obligation pour les défenseurs syndicaux de remettre au greffe leurs actes de procédure ou de les lui adresser par lettre recommandée avec accusé de réception, excluant ainsi leur envoi par télécopie ou courriel, ne faisait que tirer les conséquences de l’impossibilité pour eux d’accéder au réseau privé virtuel des avocats (RPVA), en a à juste titre déduit que ces modalités de remise des actes de procédure, par leur simplicité et leur caractère peu onéreux, ne plaçait pas les défenseurs syndicaux dans une situation de net désavantage par rapport aux avocats ». Est-ce un revirement ou un pied de nez juridique à sa propre jurisprudence ? Dans un espace-temps si rapproché (chambre sociale/deuxième chambre civile, 2020/2023), la mise en perspective des solutions dégagées par la Haute Cour donne en tous le cas le vertige.
Et l’on peut poursuivre. Est-ce que cette solution ne vaut qu’en procédure avec représentation obligatoire sur appel des décisions prud’homales du fait de la dualité de la représentation, à l’image des précédentes décisions sur l’absence de mention des chefs de jugement critiqués figurant à l’acte d’appel en procédure sans représentation obligatoire ? Mais pour quelle raison alors y aurait-il un régime distinct sur appel des autres jugements alors que la procédure de notification entre avocats autorise de la même manière des procédés identiques ? Ou est-ce une volonté assumée de dire que le statut du défenseur syndical vaudrait, per se, un traitement différencié de celui de l’avocat (mais alors la rupture d’égalité serait consommée) lorsque celui-ci notifie ses écritures à un défenseur syndical ? Ou bien faut-il comprendre que la solution s’impose également dans la notification des actes entre avocats, mais seulement dans les procédures devant la chambre sociale sur appel des décisions prud’homales ? Ou peut-être aussi devant les chambres civiles et commerciales comme pourrait le suggérer l’arrêt qui in fine dévoile sa solution sans référence au défenseur syndical (arrêt, pt 11) ? Mais brisons-là, à trop s’interroger, on finit par devenir paranoïaque.
© Lefebvre Dalloz