Notification par le juge d’instruction du droit de se taire en matière de diffamation et d’injure

L’absence d’information sur le droit de se taire en matière de procédure de presse, sur le fondement de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, constitue une nullité qui fait nécessairement grief, dès lors que la personne mise en cause a formulé des observations écrites ou a répondu aux questions que lui a posées le juge d’instruction.

La procédure de presse issue de la loi du 29 juillet 1881 est considérée comme un régime sui generis qui déroge pour une large part au droit commun et qui est adapté aux infractions contenues dans cette même loi. Cette procédure prévue aux articles 47 à 60 de ladite loi est conçue dans un objectif de protection stricte de la liberté d’expression (v. en ce sens, Cons. const. 12 avr. 2013, n° 2013-302 QPC, D. 2013. 1526 , note E. Dreyer ; AJ pénal 2013. 410, obs. J.-B. Perrier ; Légipresse 2013. 269 et les obs. ; ibid. 350, Étude B. Ader ; Constitutions 2013. 248, obs. D. de Bellescize ; RSC 2013. 910, obs. B. de Lamy ) et des droits de la défense (v. en ce sens, Cons. const. 24 mai 2019, n° 2019-786 QPC, Dalloz actualité, 5 juin 2019, obs. S. Lavric ; Légipresse 2019. 263 et les obs. ; ibid. 414, étude E. Tordjman, G. Rialan et T. Beau de Loménie ; ibid. 2020. 193, étude N. Verly ; Constitutions 2019. 306, Décision ; RSC 2020. 101, obs. E. Dreyer ; 17 mai 2013, n° 2013-311 QPC, Dalloz actualité, 31 mai 2013, obs. S. Lavric ; D. 2013. 1279 ; Légipresse 2013. 337 et les obs. ; ibid. 415, Étude G. Lécuyer ; Constitutions 2014. 225, chron. D. de Bellescize ; RSC 2013. 917, obs. B. de Lamy ). On imagine dès lors mal que cette procédure déroge aux garanties générales accordées par la procédure pénale de droit commun, en particulier s’agissant de la notification du droit de se taire. C’est sur point que la Cour de cassation a porté son analyse.

Les faits

Le 13 juin 2022, les plaignants ont porté plainte et se sont constitués partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier à la suite d’un reportage diffusé à la télévision. Le juge d’instruction a adressé des avis préalables à une mise en examen à la directrice de publication et à l’auteur du reportage. Cet avis posait deux questions relatives au caractère public des propos et à leur qualité au regard des faits. Les mis en cause ont répondu par courrier, confirmant le caractère public des propos et leurs qualités respectives. Ils ont par la suite reçu un avis de mise en examen. Ils ont alors demandé la nullité des avis préalables à la mise en examen en se fondant sur l’absence de notification du droit de se taire.

La cour d’appel a prononcé l’annulation des avis préalables et a, en conséquence, constaté la prescription de l’action publique. Un pourvoi a été formé contre cette décision en arguant que l’absence de notification se justifiait par les limites aux pouvoirs du juge d’instruction fixées par l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 – les questions ne pouvant porter que sur l’imputabilité de faits et non sur la reconnaissance de l’infraction et le droit de se taire n’entrant en jeu que si la personne demande à être entendue –, l’article 51-1 garantissant suffisamment le droit de ne pas s’auto-incriminer.

Jurisprudence de la Cour de cassation relative au droit de se taire

La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler l’exigence de l’information du droit de se taire à tous les stades de la procédure dans lesquels le mis en cause doit répondre sur le fond d’une accusation (Crim. 14 mai 2019, n° 19-81.408, Dalloz actualité, 6 juin 2019, obs. S. Fucini ; D. 2019. 1050 ; AJ pénal 2019. 390, obs. D. Miranda ; 8 juill. 2020, n° 19-85.954, Dalloz actualité, 7 sept. 2020, obs. M. Recotillet ; D. 2020. 1463 ; AJ pénal 2020. 414, obs. J.-B. Thierry ; RSC 2020. 686, obs. P.-J. Delage ; 18 oct. 2023, n° 21-85.228, Dalloz actualité, 9 nov. 2023, obs. T. Scherer ; D. 2023. 1858 ; AJ pénal 2024. 48, obs. J. Chapelle ). En conséquence, la loi du 22 décembre 2021 a inscrit au sein de l’article préliminaire du code de procédure pénale qu’« en matière de crime ou de délit, le droit de se taire sur les faits qui lui sont reprochés est notifié à toute personne suspectée ou poursuivie avant tout recueil de ses observations et avant tout interrogatoire ». Toutefois, la jurisprudence de la Cour exclut une telle exigence lors des phases de procédure qui n’appellent pas d’appréciation, de la part des magistrats, d’éléments à charge (Crim. 6 janv. 2015, n° 14-87.893, RTD eur. 2016. 374-31, obs. B. Thellier de Poncheville ; 5 déc. 2023, n° 23-86.232, Dalloz actualité, 18 déc. 2023, obs. H. Christodoulou ; AJ pénal 2024. 49 et les obs. , en matière de mandat d’arrêt européen).

Ainsi, se posait la question d’une telle exigence de notification dans le cadre spécifique de la mise en examen en matière de diffamation et d’injure où le juge d’instruction dispose de pouvoirs limités.

Modalités de mise en examen en matière de diffamation et d’injure et droit de se taire 

L’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit des modalités particulières de mise en examen applicables aux délits d’injure et de diffamation, par dérogation aux articles 80-1 et 116 du code de procédure pénale. Cette procédure spécifique, prise dans un objectif de célérité, comporte un premier temps dans laquelle le juge d’instruction informe la personne des faits qui lui sont reprochés, de leur qualification juridique et du droit de formuler des observations écrites. Dans un second temps vient la mise en examen. Or, la création de cette procédure a révélé des difficultés. Une décision du Conseil constitutionnel avait déjà sanctionné la mise en œuvre du système de la purge des nullités en la matière (Cons. const. 14 sept. 2021, n° 2021-929/941 QPC, Dalloz actualité, 23 sept. 2021, obs. S. Lavric ; Légipresse 2021. 531, étude C. Bigot ; ibid. 2022. 194, étude N. Verly ).

Dans une décision du 17 mai 2024, le Conseil constitutionnel a retenu la contrariété de l’article 51-1 de la loi de 1881 à la Constitution à raison de l’absence d’information sur le droit de se taire. En effet, le juge d’instruction a pour mission d’établir l’imputabilité des propos à la personne poursuivie, en ce qu’il « lui revient de s’assurer qu’il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ». Dès lors, « la personne dont la mise en examen est envisagée peut être amenée à reconnaître les faits qui lui sont reprochés » et « le fait même que le juge d’instruction l’invite à présenter des observations et, le cas échéant, à répondre à ses questions, peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire ». Ainsi, l’absence d’information du droit de se taire sur des éléments qui pourront être portés à la connaissance de la juridiction de jugement méconnaît l’article 9 de la Déclaration de 1789. Le Conseil reportant l’abrogation de cette disposition au 1er juin 2025, il disait pour droit que « le juge d’instruction, lorsqu’il informe la personne de son intention de la mettre en examen en application de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, doit lui notifier son droit de se taire » (Cons. const. 17 mai 2024, n° 2024-1089 QPC, Dalloz actualité, 30 mai 2024, obs. H. Diaz ; D. 2024. 967 ).

Concordance de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation

Bien que les faits soient antérieurs à la décision du Conseil, la Cour de cassation rejette ici logiquement le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt d’appel qui a prononcé l’annulation des avis préalables à raison du manque d’information sur le droit de se taire. Ainsi, la Cour affirme qu’il « se déduit des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et préliminaire du code de procédure pénale que la personne dont la mise en examen est envisagée selon la procédure prévue à l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse doit être informée de son droit de se taire ».

En effet, bien que l’article 51-1 de la loi de 1881 ne prévoie pas explicitement le droit au silence, il ne saurait déroger à l’article préliminaire du code de procédure pénale tel qu’interprété par la jurisprudence classique de la Cour de cassation. Cette dernière rappelle que les pouvoirs limités du juge d’instruction en la matière le conduisent néanmoins à devoir « établir l’imputabilité des propos aux personnes pouvant faire l’objet de poursuites comme auteur ou complice et, si nécessaire, instruire sur la tenue des propos reprochés, sur leur caractère public ainsi que sur l’identité et l’adresse des personnes mises en cause par le plaignant ». La personne mise en cause est amenée à répondre sur le fond d’une accusation, alors le droit de se taire doit lui être notifié.

Une nullité limitée dans sa portée

La Cour constate qu’une telle méconnaissance « est sanctionnée, de façon constante, par la nullité, la méconnaissance de l’obligation d’informer de ce droit faisant nécessairement grief ». Néanmoins, la Cour affirme que la méconnaissance de la notification du droit de se taire fait « nécessairement grief dès lors [que la personne mise en cause] formule des observations écrites ou répond aux questions que lui a posées le juge d’instruction ». Elle retient que la nullité était en l’espèce justifiée, car les avis préalables « comportaient des questions auxquelles [les personnes mises en causes] ont répondu par courriers adressés au juge d’instruction ».

On comprend dès lors que la seule absence de notification du droit de se taire ne saurait justifier une nullité si la personne mise en cause a exercé ce droit en s’abstenant de répondre aux questions.

 

Crim. 7 janv. 2025, F-B, n° 23-85.615

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