Notion d’infection nosocomiale : la première chambre civile retient une conception large du lien de causalité entre l’infection et la prise en charge
En matière de dommage médical, la notion d’infection nosocomiale est centrale, car sa caractérisation déclenche l’application d’un régime d’indemnisation très favorable aux victimes. Sur ce point, dans un arrêt du 4 septembre 2024, la première chambre civile fait preuve d’une grande souplesse : est considérée comme nosocomiale une infection en lien avec la prise en charge.
Le dommage médical est celui qui résulte d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins, ou bien d’actes qui en sont l’accessoire, comme l’acte d’hébergement en cas d’hospitalisation (Rép. resp. puiss. publ., v° Hôpitaux : régimes de responsabilité et de solidarité, par C. Grossholz, n° 1). Dans la mesure où la prise en charge d’un patient implique, bien souvent, l’intervention de plusieurs personnes, il peut être difficile d’établir un lien de causalité entre toutes ces interventions et le dommage qui est subi par le patient. En raison de cette difficulté, des facilités probatoires ont été accordées aux victimes de dommages médicaux, afin de ne pas entraver l’indemnisation. En l’absence de certitudes médicales, la preuve par un faisceau d’indices est ainsi admise (CE 27 juin 2016, Mme A… c/ ONIAM, n° 387590), et il existe des présomptions de causalité qui opère un renversement de la charge de la preuve. C’est le cas en matière d’infections nosocomiales, puisque l’article L. 1142-1, I, alinéa 2, du code de la santé publique précise que les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, « sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ». C’est donc sur le défendeur que repose la charge de la preuve. De surcroît, en vertu de l’article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, les dommages résultant d’infections nosocomiales ouvrent également droit à indemnisation par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), au titre de la solidarité nationale. La réparation des dommages résultant d’infections nosocomiales est ainsi gouvernée par une logique de faveur envers les victimes. Dans cette perspective, la première chambre civile retient une conception très large de la notion d’infection nosocomiale dans un arrêt rendu le 4 septembre 2024.
À partir de décembre 2012, un patient a été pris en charge dans un établissement de soins pour le traitement d’une leucémie. En mai 2013, il a subi une allogreffe de moelle osseuse et a ensuite présenté une maladie du greffon contre l’hôte. Afin de traiter cette maladie, le patient a reçu de fortes doses de corticoïdes, qui ont renforcé son immunodépression. À la suite de nombreux épisodes infectieux, le patient est décédé en mai 2015. Après avoir tenté, en vain, une procédure de règlement amiable et obtenu une expertise en référé, les proches du défunt ont assigné en responsabilité et indemnisation l’établissement de soins, son assureur, la Société hospitalière d’assurance mutuelle – devenue Relyens Mutual Insurance – et l’ONIAM. Ils ont également mis en cause la Caisse générale de la sécurité sociale de la Martinique. Le 16 février 2023, la Cour d’appel de Paris a rejeté leurs demandes relatives au caractère nosocomial des infections. Les juges du fond ont en effet retenu que les experts ont imputé l’origine des infections à la maladie du greffon contre l’hôte et au traitement de cette maladie par de fortes doses de corticoïdes, lesquels ont renforcé l’immunodépression du patient, engendrant plusieurs épisodes infectieux qui ont conduit au décès. Autrement dit, pour la cour d’appel, les infections ont été causées par des bactéries dont le patient était porteur, elles n’ont pas de lien avec sa prise en charge et ne sont pas des infections nosocomiales au sens des articles L. 1142-1, I, alinéa 2, et L. 1142-1-1 du code de la santé publique.
Les proches du défunt forment un pourvoi en cassation. Ils arguent du fait qu’en considérant que les bactéries étaient de nature endogène et que l’infection avait été favorisée par le traitement renforçant l’immunodépression, les juges du fond ont statué par des motifs tirés du caractère endogène du germe à l’origine de l’infection et de l’existence de prédispositions pathologiques. Ce faisant, la cour d’appel aurait violé l’article L. 1142-1 du code de la santé publique. Le 4 septembre 2024, la première chambre civile casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris. La Haute juridiction rappelle ce qu’il faut entendre par infection nosocomiale et dans quel cas ce caractère nosocomial est exclu.
Notion d’infection nosocomiale
Si les articles L. 1142-1, I, alinéa 2 et L. 1142-1-1 du code de la santé publique mentionnent les infections nosocomiales pour lesquelles les établissements de soins peuvent engager leur responsabilité ou pour lesquelles la réparation par l’ONIAM, au titre de la solidarité nationale, est possible, ils ne précisent pas ce qu’il faut comprendre par infection nosocomiale. C’est la jurisprudence qui est venue apporter davantage de précisions sur cette notion. Est ainsi considérée comme présentant un caractère nosocomial l’infection « qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci » (Civ. 1re, 23 nov. 2022, n° 21-24.103, D. 2023. 1977, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon
; RCA 2023. Comm. 31, Bloch). Une infection qui intervient au décours de la maladie est celle qui intervient pendant la période de déclin de la maladie, et la période d’incubation correspond à la période qui s’écoule entre la contamination d’un sujet par un germe pathogène et l’apparition des premiers symptômes de la maladie, sans qu’il n’y ait de manifestation de signe clinique (Rép. resp. puiss. publ., v° Hôpitaux : régimes de responsabilité et de solidarité, par C. Grossholz, n° 290). Il importe peu que la maladie soit endogène, c’est-à-dire due à un germe provenant du malade lui-même (Dictionnaire médical de l’Académie de médecine, version 2024) ou exogène, c’est-à-dire due à des éléments extérieurs à l’individu (ibid.). Ainsi, le fait qu’une patiente ait été porteuse du pneumocoque lors de son admission à l’hôpital ne fait pas obstacle à la qualification d’infection nosocomiale, à partir du moment où l’infection a ensuite été provoquée par une intervention chirurgicale (CE 10 oct. 2011, Lebon
; AJDA 2011. 1926
; ibid. 2536
, note C. Lantero
; ibid. 2012. 1665, étude H. Belrhali
; D. 2012. 47, obs. P. Brun et O. Gout
).
Peu importe également que la cause directe de l’infection soit un accident médical ou qu’elle soit en lien avec une pathologie préexistante du patient (CE 1er févr. 2022, M. B…, n° 440852, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon
; AJDA 2022. 192
; RDSS 2022. 373, obs. P. Curier-Roche
; RTD civ. 2022. 409, obs. P. Jourdain
). La notion d’infection nosocomiale apparaît comme une notion assez large : il s’agit de toute infection survenue au cours de la prise en charge du patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de cette prise en charge. En outre, cette infection peut tout à fait être d’origine endogène ou relever de l’existence de prédispositions pathologiques : elle sera tout de même considérée comme nosocomiale dès lors qu’elle est provoquée, révélée au cours de la prise en charge. Dans l’arrêt du 4 septembre 2024, la première chambre civile rappelle ces éléments au paragraphe 7, pour en déduire que la cour d’appel a statué sur des motifs tirés du caractère endogène du germe à l’origine de l’infection et censurer la solution.
Cas de l’infection étrangère à la prise en charge
À la lecture de ce qui précède, on pourrait avoir le sentiment que, finalement, tout est infection nosocomiale, à partir du moment où, par malheur, un patient développe une infection quelconque alors qu’il fait l’objet d’une prise en charge médicale. Ce n’est pourtant pas le cas à la lecture du code de la santé publique, puisque les articles L. 1142-1, I, alinéa 2, et L. 1142-1-1 prévoient chacun un cas d’exclusion de la responsabilité des établissements de soins et d’intervention de l’ONIAM. Le premier texte précise en effet que les établissements de soins n’engagent pas leur responsabilité s’ils rapportent la preuve d’une « cause étrangère ». Le second indique que ne présente pas un caractère nosocomial l’infection dont il est établi qu’elle « a une autre origine que la prise en charge ». À la lecture de ces textes, il ressort que c’est une question de causalité qui détermine le caractère nosocomial ou non de l’infection. Soit l’infection trouve son origine, sa cause, dans la prise en charge du patient : dans ce cas, elle est nosocomiale. Soit elle trouve son origine ailleurs, dans une cause étrangère : dans ce cas, elle n’est pas nosocomiale. C’est donc dans l’origine, la cause de l’infection, qu’il faut chercher afin d’en déterminer le caractère nosocomial ou non.
Dans l’arrêt du 4 septembre 2024, la première chambre civile retient une conception très souple du lien de causalité entre l’infection et la prise en charge : l’infection est considérée comme nosocomiale parce qu’elle présente un lien avec la prise en charge. La Haute juridiction précise ainsi que « l’infection causée par la survenue d’une affection iatrogène présente un caractère nosocomial comme demeurant liée à la prise en charge ». Pour le dire autrement, une infection elle-même causée par les effets secondaires indésirables d’un traitement administré à un patient a un lien avec la prise en charge et, à ce titre, présente un caractère nosocomial. En l’espèce, la Haute juridiction relève que les épisodes infectieux ayant provoqué le décès ont été provoqués par les effets secondaires indésirables des corticoïdes pris par le patient pour soigner la maladie du greffon contre l’hôte, qui elle-même était consécutive à l’allogreffe de la moelle osseuse réalisée lors de la prise en charge. Les infections qui, in fine, ont entraîné la mort du patient s’inscrivent ainsi dans une chaîne causale qui a pour point de départ la prise en charge du patient à l’occasion de l’allogreffe. Ces infections ont alors un caractère nosocomial, pour la Haute juridiction, qui retient une conception très large de la notion d’infection nosocomiale. Celle-ci est caractérisée dès lors que l’infection a un lien avec la prise en charge du patient. À l’inverse, elle n’est exclue que si l’infection a une cause, une origine strictement étrangère à la prise en charge.
Si le terme n’est pas employé, difficile de ne pas songer, à la lecture de cette solution, à la théorie causale de l’équivalence des conditions. Forgée au XIXe siècle par la doctrine allemande (Von Buri, Die kausalität und ihre strafrechtlichen beziehungen, 1885), cette théorie consiste à admettre que tous les éléments qui ont conduit à la réalisation du dommage en sont la cause, de façon équivalente. À l’inverse, les conditions indifférentes à la survenance du dommage sont éliminées. Cette théorie est très favorable aux victimes en ce qu’elle permet d’établir de façon simplifiée un lien de causalité (v. Rép. civ., v° Responsabilité : généralités, par P. le Tourneau, n° 47). Dans la mesure où la Haute juridiction considère qu’à partir du moment où les infections s’inscrivent au sein d’une chaîne causale, initiée par la prise en charge du patient, il y a un lien de cause à effet entre lesdites infections et la prise en charge, on pourrait y voir un recours à la théorie de l’équivalence des conditions. Avec une telle conception du lien de causalité et de la notion d’infection nosocomiale, on peut tout de même se demander si, finalement, les exclusions prévues aux articles L. 1142-1, I, alinéa 2, et L. 1142-1-1 du code de la santé publique ne sont pas vidées de leur substance. Après tout, dans l’hypothèse où un patient bénéficie d’une prise en charge médicale et développe, au cours de la prise en charge, une infection quelconque, il y a de fortes chances pour que ladite infection ait un lien, même ténu, avec la prise en charge.
Civ. 1re, 4 sept. 2024, F-B, n° 23-14.684
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