Nouvelle censure pour l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881

En matière d’injures et de diffamations, la procédure de mise en examen simplifiée, par lettres recommandées, est jugée contraire à la Constitution, dès lors que les dispositions applicables ne prévoient pas, en l’état, que le justiciable soit informé de son droit de garder le silence.

Au nombre des spécificités procédurales qui caractérisent le droit pénal de la presse, il est classiquement admis que l’office du magistrat instructeur s’y avère particulièrement formel et limité. Très concrètement, le juge d’instruction ne peut instruire ni sur la vérité des faits diffamatoires, ni sur la bonne foi, ni sur l’éventuelle excuse de provocation en matière d’injures (Crim. 26 mai 1992, n° 91-84.187 P, D. 1994. 191 , obs. T. Massis ; 11 avr. 2012, n° 11-86.331 P, Dalloz actualité, 1er juin 2012, obs. S. Lavric ; AJDA 2012. 1701 ; D. 2013. 457, obs. E. Dreyer ; Légipresse 2012. 408 et les obs. ; 2 nov. 2016, n° 16-82.328, D. 2017. 181, obs. E. Dreyer ; Loi du 29 juill. 1881, art. 51-1, al. 3).

Comme le rappelle le Conseil constitutionnel dans la décision commentée, le magistrat doit essentiellement s’assurer « de sa compétence territoriale et de l’absence de prescription, vérifier le respect des exigences de l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 quant à l’acte de saisine et des articles 47 et suivants de ladite loi relatifs à la qualité pour agir de la partie poursuivante, établir l’imputabilité des propos aux personnes pouvant être poursuivies comme auteurs ou complices et, si nécessaire, instruire sur la tenue effective desdits propos, sur leur caractère public et sur l’identité et l’adresse des personnes en cause ».

Étape centrale de l’instruction, la mise en examen répondait jusqu’à peu aux règles procédurales de droit commun, ce qui imposait au juge d’organiser un interrogatoire de première comparution, selon les formalités prévues aux articles 80-1 et 116 du code de procédure pénale. Chronophage et souvent stérile, cette comparution physique devant la juridiction d’instruction était vue par certains – qu’ils soient professionnels exerçant en droit de la presse, ou justiciables particulièrement exposés à ce type de contentieux, à l’instar notamment des directeurs de publication – comme une vaine lourdeur procédurale.

Une procédure spécifique pour certaines infractions de presse

Par une loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, le législateur a donc décidé de mettre en œuvre un mécanisme dérogatoire, spécialement dédié aux infractions d’injures et de diffamations. Un nouvel article 51-1 a ainsi été inséré à la loi du 29 juillet 1881, facilitant les formalités de mise en examen, par l’emploi d’une procédure essentiellement écrite, aux termes de laquelle le justiciable n’est pas tenu de comparaître physiquement devant le magistrat instructeur.

Si la lettre du texte semble suggérer que ce nouveau mécanisme « n’a pas un simple caractère supplétif mais apparaît bien obligatoire pour les infractions qu’il vise » (C. Bigot, La nouvelle physionomie de l’instruction en matière d’injure et de diffamation, AJ pénal 2019. 318 ), la circulaire d’application semble elle considérer, non sans manifester une certaine prudence, que « ces dispositions ne paraissent pas interdire au juge, s’il l’estime utile, (…) de convoquer (les) personnes pour les entendre et les mettre en examen conformément aux dispositions du code de procédure pénale » (Circ. JUSD1915381C de présentation des dispositions de procédure pénale de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice relatives à l’enquête et à l’instruction applicables au 1er juin 2019).

Une mise en examen matérialisée par l’envoi de lettres recommandées

Désormais, en application du deuxième alinéa de l’article 51-1, le juge d’instruction peut informer « la personne de son intention de la mettre en examen par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en précisant chacun des faits qui lui sont reprochés ainsi que leur qualification juridique et en l’avisant de son droit de faire connaître des observations écrites dans un délai d’un mois ». Par ce même avis, le juge peut aussi « interroger la personne par écrit afin de solliciter, dans le même délai, sa réponse à différentes questions écrites. En ce cas, la personne est informée qu’elle peut choisir de répondre auxdites questions directement en demandant à être entendue par le juge d’instruction ».

Passé un mois à compter de la réception de la « lettre d’intention », le juge d’instruction peut prononcer la mise en examen, en adressant une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, selon un formalisme analogue à celui prévu aux deuxième et troisième alinéas de l’article 113-8 du code de procédure pénale (c’est-à-dire selon le mode opératoire qui concerne habituellement la conversion du statut de témoin assisté à celui de personne mise en examen). Le juge d’instruction doit néanmoins informer la personne visée que son interrogatoire est de droit si elle en fait la demande.

Quid des droits de la défense

Pour ce qui concerne l’exercice des droits de la défense, l’alinéa 4 de l’article 51-1 prévoyait uniquement que la personne mise en cause soit informée de son droit d’être assistée par un avocat, celui-ci ayant la possibilité de consulter la procédure et d’en obtenir une copie (Loi du 29 juill. 1881, art. 51-1, al. 4).

Quand bien même la personne mise en cause pourrait être amenée à tenir des propos incriminants, en faisant connaître ses observations manuscrites ou en acceptant de répondre à des questions écrites, le texte n’imposait pas, jusqu’ici, que le magistrat ait à lui notifier son droit de ne pas s’auto-incriminer.

Comme l’avait relevé la doctrine (C. Bigot, art. préc.), le justiciable paraissait pourtant légitime à exercer pleinement les droits élémentaires de la défense. Cela semblait d’autant plus naturel qu’un « parallélisme des formes » invitait à garantir un niveau de protection équivalent au droit commun, dans le cadre duquel une telle notification s’impose lors de l’interrogatoire de première comparution. À défaut, se matérialiserait une potentielle inégalité de traitement, d’autant moins justifiable que le magistrat disposerait donc, selon la circulaire précitée, d’une option « discrétionnaire » entre mise en examen « classique » et mise en examen « écrite ».

La question prioritaire de constitutionnalité à laquelle devaient répondre les sages de la rue Montpensier stigmatisait précisément ce silence législatif (Crim. 13 févr. 2024, n° 23-90.023 QPC, Légipresse 2024. 86 et les obs. ) : de façon singulière, il s’agissait d’obtenir la consécration d’un droit à ne pas s’auto-incriminer sous une forme écrite.

Une méconnaissance des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789

Le Conseil constitutionnel considère que « lorsqu’elle est invitée à faire connaître ses observations ou à répondre à des questions, la personne dont la mise en examen est envisagée peut être amenée à reconnaître les faits qui lui sont reprochés. En outre, le fait même que le juge d’instruction l’invite à présenter des observations et, le cas échéant, à répondre à ses questions, peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire (…) Or, les observations ou les réponses de la personne dont la mise en examen est envisagée sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement ».

Aussi, les dispositions contestées sont jugées contraires à l’article 9 de la Déclaration de 1789, duquel découle le droit de ne pas participer à sa propre incrimination. Reportant l’abrogation au 1er juin 2025, le Conseil juge que, dans l’attente, les magistrats instructeurs auront à notifier aux justiciables leur droit au silence lorsqu’ils adresseront une « lettre d’intention ».

La simplification de la procédure se faisant rarement sans entraîner son lot de complications, il s’agit là d’une seconde censure constitutionnelle pour l’article 51-1. Courant 2021, celui-ci avait déjà été invalidé, en ce qu’il limitait, dans sa version alors applicable, les droits des parties au stade du règlement de l’information, en les y privant notamment de la possibilité d’agir en nullité (Cons. const. 14 sept. 2021, n° 2021-929/941 QPC, Dalloz actualité, 23 sept. 2021, obs. S. Lavric ; Légipresse 2021. 463 et les obs. ; RSC 2021. 892, obs. A. Botton ).

 

Cons. const. 17 mai 2024, n° 2024-1089 QPC

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