Nuit du droit et bilan 2024, succès et difficultés de l’AGRASC

Dans son rapport d’activité 2024 remis en juillet, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) a mis en avant la hausse du montant des ventes de biens issus d’infractions pénales. Un bilan rendu plus visible grâce à l’opération nationale de ventes aux enchères au sein de neufs tribunaux dans le cadre de la Nuit du droit, le 2 octobre 2025. Restent des marges de progrès, en particulier pour faire face au coût des frais de gardiennage des scellés et à la lutte contre le narcotrafic.

L’opération Nuit du droit à Nantes

Jeudi 2 octobre 2025, peu avant 17h, plusieurs dizaines de citoyens s’installent dans la salle des pas perdus du Tribunal judiciaire de Nantes. Une partie de l’enceinte a été aménagée pour une opération spéciale, dans le cadre de la Nuit du droit 2025. Il s’agit d’une vente aux enchères de biens organisée par l’AGRASC avec l’aide d’une étude de commissaires de justice mandatée pour officier ce jour-là. L’évènement se tient dans neuf villes de France dont les Outre-mer (Point-à-Pitre et Fort-de-France). Sur le parvis du tribunal, quatre voitures sont exposées. Dans l’enceinte, des bijoux en or, une montre de luxe, des smartphones, un vélo électrique, un robot pâtissier et des boîtes de Lego collectors. Au total 128 lots ont été mis en vente sur place et à travers les plateformes en ligne Interencheres et Drouot, pour un montant de départ de plus de 200 000 €. « On se met au cœur de la justice pour que les auxiliaires de justice, les magistrats, les personnes qui comparaissent et les habitants voient le fruit du travail de lutte contre l’économie souterraine », explique Juliette Jourdan, la commissaire de justice mandatée par l’agence pour cette opération. Un travail auquel nombre de greffiers, magistrats, personnels de justice participent. Chaque jour, des biens saisis et confisqués par l’AGRASC à des délinquants présumés ou condamnés sont ainsi vendus en France, principalement par adjudication, par des études situées sur tout le territoire. En 2024, 7 000 biens meubles de l’établissement public administratif ont été vendus pour un montant total de 17 millions d’euros selon le dernier rapport d’activité, remis ce 17 juillet.

L’étude d’aujourd’hui a sélectionné des objets de grande et de faible valeur monétaire « pour marquer les esprits » tels qu’un pied de biche et une lampe frontale probablement utilisés pour des « petits cambriolages ». « La saisie provoque une vexation parce que ces biens appartiennent à l’intimité de leurs propriétaires. Et c’est fait pour », ajoute la commissaire de justice qui récupère aussi bien des Mercedes Benz utilisées pour du go fast que des Peugeot 208 du quotidien, des sacs Gucci que des fours à pizzas d’établissements servant à blanchir de l’argent. « Les délinquants ont leur propre référentiel. Certains choisissent la discrétion quand d’autres cherchent des signes extérieurs de richesse. On pourrait faire une étude sociologique à partir des scellés », relève Juliette Jourdan qui rappelle que les biens sont saisis autant à des trafiquants de drogues qu’à des auteurs de fraudes fiscales. Il lui arrive aussi d’estimer les biens directement dans les établissements lorsque les services d’enquêtes la sollicitent pour des saisies : « Récemment j’ai assisté à une perquisition dans une bijouterie et le plus bel objet était une montre au poignet du propriétaire ».

5,2 millions d’euros récoltés sur le territoire

Derrière les écrans, 300 personnes sont inscrites en ligne et plus d’une centaine participe sur place. La commissaire de justice rappelle les règles de la vente : frais d’achat, TVA non récupérable, pas de rétractation possible après le coup de marteau, délais pour retirer les lots. Elle insiste sur un point : les ventes judiciaires se réalisent sans garanties contre les vices cachés, à la différence des ventes volontaires. Autrement dit, les acquéreurs s’apprêtent à acheter des biens qui peuvent être en excellent état comme abîmés ou incomplets (voiture sans carte grise et sans clés, batterie de vélo endommagée). Raison pour laquelle l’or, valeur refuge, se vend plus facilement que le vin. Dans l’assistance, les particuliers et professionnels de justice se mêlent aux « casseurs d’or » et experts en automobiles en ligne avec leurs clients. Après la vente d’une voiture électrique et d’une Audi, c’est une BMW Z4 cabriolet blanche, « l’un des clous de la vente », qui est mise aux enchères à 25 000 €. Elle est adjugée à 35 100 € à un professionnel présent dans la salle qui repartira à l’issue de l’évènement à son volant.

Plus tard, c’est un homme de vingt-trois ans qui acquiert une Rolex pour 8 800 €. Retrouvé quelques instants plus tard, il dit avoir découvert l’évènement sur Snapchat et semble ne pas reconnaître la marque de la montre : « Je ne sais pas, il me fallait une montre ». Achat utilitaire, coup de cœur, coup de tête, esbrouffe, rachat pour le compte du propriétaire ? Certains commentateurs s’interrogent à bas bruit dans l’assistance. « Il arrive que l’acheteur ne vienne jamais récupérer son bien. Dans ce cas nous le revendons mais il doit s’acquitter de 10 % de la somme », précise Aurélie Poirier, la magistrate coordinatrice qui pilote les antennes AGRASC de Rennes, Lille et Nancy, dont dépendent treize cours d’appel. Une somme non négligeable. À la fin de la journée, le fils d’une greffière sera reparti avec un vélo électrique à 200 €, trois étudiants auront acheté des boîtes de Lego à 150 €, et d’autres une série de smartphones. « J’aime l’idée que le chiffre s’efface derrière la vertu pédagogique », s’enthousiasme la magistrate. « Globalement, ils font de bonnes affaires ». La levée de fonds aura été rentable : 343 985 € récoltés à Nantes. À l’échelle nationale, le montant total des ventes s’élève à 5,2 millions d’euros. Une belle opération de communication et financière pour l’État « qui en a bien besoin » avait lancé le procureur de Nantes, Antoine Leroy, en ajoutant : « l’AGRASC, c’est la justice dans ce qu’elle a de plus efficace ».

Ventes avant jugement et coût des scellés

Parmi les biens cédés quotidiennement aux enchères, la majeure partie concerne des ventes avant jugement. En 2024, elles représentaient 63 % des lots, pour un montant total de plus de 13 millions d’euros contre près de 4 millions d’euros pour les ventes après jugement. L’AGRASC les présente comme une mesure de gestion patrimoniale et non comme une sanction pénale dans la mesure où elles interviennent avant qu’un jugement définitif ne soit prononcé, et que la somme obtenue sera remise à son propriétaire en cas de relaxe ou d’acquittement. Diverses raisons sont avancées pour motiver ces procédures : éviter la dépréciation du bien pendant la durée de la procédure judiciaire, laquelle peut durer des années, dans l’intérêt de la partie poursuivante autant que du propriétaire, et réduire les frais de gardiennage qui, dans certains cas, finissent par dépasser la valeur du bien saisi. Un véhicule coûte ainsi 1 400 € par an en restant entreposé. L’enjeu est donc considérable pour l’établissement public administratif.

Il en est question dans le rapport général de la commission des finances remis par le sénateur LR Antoine Lefèvre le 1er octobre. Ces frais ont coûté 47 millions d’euros à l’État en 2024, soit 6,6 % du montant total des frais de justice, le premier poste étant les analyses et expertises médicales (186 millions d’euros). Le rapporteur considère qu’il s’agit là d’« une dépense généralement peu utile qu’une connaissance insuffisante du parc de véhicules accroît encore ». Sévère, il poursuit : « l’action conduite dans certaines juridictions montre qu’une meilleure évaluation du stock, partagée entre les ministères de l’intérieur et de la justice, pourrait aider à réduire la dépense de manière importante ». Parmi ses recommandations, le sénateur suggère de définir une méthodologie partagée entre les deux ministères de tutelles de l’AGRASC, et de prévoir des conventions avec les garages. In fine, il fixe un objectif de réduction « d’un tiers » du stock des véhicules en gardiennage.

Contacté par téléphone, Xavier Bonhomme, le président du Conseil d’administration de l’agence assure que les 86 agents et les huit antennes de l’établissement public sont mobilisés sur ces sujets. Il rappelle l’excellent bilan de 2024 avec 1,3 milliards d’euros de biens saisis (avant jugement), pour 254 millions d’euros confisqués (définitivement), et pointe un décalage de facto entre l’entrée et la sortie des biens. « Nous avons des marges de progression », concède-t-il.

Points de vigilance et recours des propriétaires

L’une des difficultés soulevées dans le rapport d’activité 2024 concerne les saisies d’avoirs issus du narcotrafic, enjeu gouvernemental de premier plan ces derniers mois. Si le montant des saisies (95 millions d’euros) et des confiscations (79 millions d’euros) augmente, il ne représenterait que 2,7 % du produit annuel généré par cette délinquance, estimée entre 3,5 et 6 milliards d’euros. « Nous ne pouvons saisir que les biens visibles », relève Xavier Bonhomme. Notons que l’agence a tout de même pu verser 51 millions d’euros à la Mission interministérielle de lutte contre les addictions en 2024. Autre point de vigilance : l’exécution des confiscations, notamment en matière immobilière, et bien que le montant du produit brut marque un record à 135 millions d’euros. Les délais de vente sont souvent prolongés en raison de procédures complexes. De plus, ce montant en valeur reste faible par rapport à la part qu’il représente dans le nombre de biens saisis par l’AGRASC (45 %, devant les comptes bancaires). Par ailleurs, seules deux affectations sociales d’immeubles (à des associations ou des fondations d’utilité publique par exemple), enjeu qui mobilise l’AGRASC, ont pu être réalisées sur 172 confiscations immobilières.

De manière générale, le moment de la vente des biens avant jugement peut être long puisque les propriétaires saisissent le plus souvent leur droit aux recours, démarche centrale pour ces derniers qui perçoivent ces mesures comme « une vraie sanction » selon Xavier Bonhomme. Avancée pour l’AGRASC, infortune pour les propriétaires de biens, la loi Warsemann n° 2024-582 du 24 juin 2024 a augmenté les critères de ventes avant jugement, notamment en ajoutant le cas des frais de conservations disproportionnés des biens. Elle a aussi réduit le délai des décisions en appel en passant désormais par des formations à juge unique et non plus en collégialité de manière quasi systématique. « Nous sommes passés de deux ans de délai devant certaines cour d’appel à un an à Rennes », se réjouit Aurélie Poirier, la magistrate coordinatrice à Rennes. Saisi le 12 septembre dernier, d’une question prioritaire de constitutionnalité sur l’absence d’encadrement légal des conditions de mise en vente (not., la fixation du prix décidée unilatéralement et souverainement par l’État), le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la vente des biens meubles corporels vendus avant jugement (Cons. const. 12 sept. 2025, n° 2025-1156 QPC, Dalloz actualité, 8 oct. 2025, obs. C. Fonteix).

Le rôle des antennes et la dynamisation des scellés

L’équipe de l’antenne rennaise, présente à Nantes pour la Nuit du droit, revendique des actions pour « dynamiser les scellés », en particulier en amont des ventes. « Nous incitons les magistrats à ne plus avoir une logique de stock mais de flux des scellés en favorisant la vente ou la restitution du bien », confirme l’un de ses membres, André Tarrago, référent enquêteur de gendarmerie. L’an dernier, il a mené avec ses collègues une vaste opération de déstockage des scellés du Tribunal de Rennes et mis en place un outil de suivi en collaboration avec la juridiction et le département mobilier de l’agence. « Les tribunaux ont tous un service des scellés. Ce sont de vraies cavernes d’Ali Baba », assure Aurélie Poirier qui défend « une approche proactive ». À la différence des véhicules, la gestion des autres biens meubles ne coûte pas cher à l’État mais elle encombre bien souvent les tribunaux. « Le coût est humain car les greffiers manquent et vont se dédier en priorité aux audiences. Or, il faut gérer le déplacement, l’enregistrement, trouver une nouvelle place à ces biens », ajoute la magistrate. « Aujourd’hui nous essayons de passer directement du commissariat à la vente sans passer par le tribunal ». Les rapporteurs du bilan 2024 suggèrent de mettre en place un centre de gestion centralisé des scellés et invitent les tribunaux qui disposeraient de locaux désaffectés ou de grands espaces inutilisés à les contacter. Au total, plus de 6 100 assistances ont été réalisés en 2024 par les antennes aux juridictions et services enquêteurs.

La formation des services de police, de gendarmerie et de justice constitue un des principaux leviers mis en place par les antennes, du local à l’international afin de mieux appréhender les affaires transnationales. André Tarrago forme ainsi sur deux jours des attachés de justice ou assistants spécialisés dans les avoirs criminels lorsqu’ils arrivent en juridiction. « Le sujet est technique car il répond à de nombreuses exigences légales et jurisprudentielles », explique-t-il. Au Tribunal de Nantes, Théotime d’Ornano, attaché de justice, souligne qu’une fois ces obstacles levés, « nous pouvons décider d’affecter des biens avant jugement à des services d’enquêtes de police, des tribunaux ou à l’administration pénitentiaire ». Une initiative qu’ignorent nombre d’entre eux. « Nous avons pu affecter des aspirateurs à une brigade de gendarmerie, des machines à café dans des juridictions. Ces mesures ont vraiment du sens », confirme Aurélie Poirier. L’indemnisation des victimes et des parties civiles reste un objectif à développer. « Il faut encore que les avocats y pensent ». Depuis la loi Watermann, ils ont désormais six mois pour en faire la demande.

 

par Anaïs Coignac

© Lefebvre Dalloz