Nullité de la garde à vue : de la tardiveté ou de l’absence d’avis à employeur

Prévu à peine de nullité, l’avis à employeur fait en application de l’article 63-2 du code de procédure pénale, lorsqu’il est tardif ou absent, n’emporte annulation que si le demandeur démontre un grief, lequel suppose que l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat s’en soit trouvé empêché ou gêné.

Un justiciable a présenté une exception de nullité, tenant de la tardiveté de l’avis donné à son employeur, lorsqu’il était placé en garde à vue. Tribunal correctionnel et cour d’appel ont successivement rejeté ce moyen, considérant que l’intéressé avait renoncé à ce droit, lors de son placement en garde à vue, à 10 heures 30, peu important qu’il ait ensuite demandé à faire prévenir son employeur à 17 heures 25, ce qui n’était finalement fait que le lendemain, à 7 heures. Les juges d’appel ajoutaient que cette formalité n’était pas même prévue à peine de nullité.

Devant la Cour de cassation, le prévenu a soutenu que, en l’absence de circonstances insurmontables, l’employeur aurait dû être avisé dans les trois heures de la demande, ainsi que l’exigent les dispositions de l’article 63-2 du code de procédure pénale. Il alléguait qu’une telle irrégularité lui avait nécessairement causé un grief.

Droit de faire aviser un tiers : rappel

À la suite d’un avis de la Commission européenne, portant sur la transposition de la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013, la loi française autorise dorénavant, depuis le 1er juillet 2024, la personne gardée à vue à faire aviser toute personne de son entourage, quelle que soit sa qualité (v. not., Circ. CRIM 2024 – 7/H2 du 14 juin 2024 de présentation des dispositions de procédure pénale des art. 32 et 33 de la loi n° 2024-364 du 22 avr. 2024). Auparavant, l’avis ne pouvait être fait, de manière limitative, qu’à une personne avec laquelle le gardé à vue vivait habituellement, ou l’un de ses parents en ligne directe, ou l’un de ses frères et sœurs (C. pr. pén., art. 63-2, I, al. 1), outre la faculté supplémentaire, toujours existante, de faire prévenir son employeur ou encore les autorités consulaires pour ce qui concerne les personnes étrangères.

Sauf circonstances insurmontables (v. par ex., Crim. 7 juin 2011, n° 10-85.565), les diligences incombant aux enquêteurs doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a formulé sa demande (C. pr. pén., art. 63-2, I, al. 2). Toutefois, le procureur de la République peut décider de faire différer ou de refuser cet avis, au regard de circonstances dérogatoires (C. pr. pén., art. 63-2, I, al. 3).

Nullité nécessitant la démonstration d’un grief

Au cas de l’espèce, le raisonnement de la Cour de cassation s’est effectué en deux temps :

  • dans un premier mouvement, elle a d’abord donné tort aux juges d’appel pour avoir soutenu qu’une telle formalité n’était pas prévue à peine de nullité ;
  • puis, dans un second mouvement, elle a toutefois souligné que le prononcé d’une annulation aurait dû supposer, en application des articles 171 et 802 du code de procédure pénale, la démonstration d’un grief par le demandeur – ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Se montrant plus précise encore, la chambre criminelle a ensuite donné une définition, strictement circonscrite, de ce que doit être l’hypothèse d’un grief en pareille circonstance : celui-ci ne peut être établi « en ce qui concerne l’absence d’avis donné à l’employeur, ou la tardiveté de cet avis, que lorsque ces circonstances ont empêché ou gêné l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat ».

Il faut sans doute retenir que le grief procède ici de l’atteinte portée au droit qu’est indirectement censée protéger cette formalité : en effet, la personne avisée de la mesure coercitive – à l’exception de toute autre (Crim. 19 oct. 2021, n° 21-81.569, Dalloz actualité, 16 nov. 2021, obs. H. Diaz ; D. 2021. 1924 ; AJ pénal 2021. 580, note J.-B. Thierry ; Légipresse 2021. 524 et les obs. ; ibid. 2022. 49, étude B. Ader ; RSC 2022. 97, obs. P.-J. Delage ) – peut faire désigner un avocat, dont l’intervention devra être ultérieurement confirmée par le gardé à vue (C. pr. pén., art. 63-3-1, al. 2).

Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’un arrêt du 7 février dernier, par lequel la Cour de cassation avait déjà dégagé une solution analogue, en cas d’avis à famille différé par le procureur de la République : l’absence de motivation de ce report ne peut « entraîner le prononcé d’une nullité que s’il en est résulté pour la personne gardée à vue une atteinte effective à ses intérêts » (Crim. 7 févr. 2024, n° 22-87.426, Dalloz actualité, 29 févr. 2024, obs. T. Scherer ; AJ pénal 2024. 156, obs. R. Mesa ; RTD com. 2024. 456, obs. B. Bouloc ).

Un grief relativement théorique ?

En premier lieu, si l’arrêt n’est pas explicite sur ce point, les formalités prévues par l’article 63-2 du code de procédure pénale paraissent s’imposer à peine de nullité quelle que soit la qualité de la personne avisée. En revanche, les développements qui concernent le grief se limitent ici, strictement, à la question du seul avis donné à un employeur. A contrario, il faudrait donc en déduire qu’il pourrait exister d’autres catégories de griefs, en fonction de la qualité de la personne qui a été avisée (comme par ex., pour ce qui concerne un membre de la famille, à raison de la demande d’examen médical formulée par application du 3e alinéa de l’art. 63-3 c. pr. pén.).

En deuxième lieu, la question de la « tardiveté » de l’avis pourrait paraître différente de la question de « l’absence » d’avis, dès lors que, dans cette seconde hypothèse, on voit difficilement comment l’irrégularité pourrait ne pas avoir méconnu les droits du gardé à vue. A fortiori, comment le justiciable pourrait-il ensuite « démontrer » quelque chose qui n’est pas advenu (à savoir que l’employeur, non avisé, aurait eu l’intention de désigner un avocat, dont l’intervention, acceptée par l’avocat, aurait ensuite été confirmée par le gardé à vue) ?

Qui plus est, seuls l’empêchement ou la gêne portée à « l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat » sont donc de nature à caractériser un grief. Dans ces conditions, il faut rappeler qu’en pratique, nonobstant l’éventuelle désignation d’un conseil par le tiers avisé, la personne gardée à vue peut, elle-même, soit renoncer à l’assistance d’un avocat, soit désigner nommément un avocat, soit demander une désignation au titre de la commission d’office (C. pr. pén., art. 63-3-1, al. 1).

Or, si la personne gardée à vue reçoit le concours d’un avocat désigné ou commis d’office, ne pourrait-on pas lui opposer qu’en tout état de cause elle a bénéficié de « l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat », peu important la question de l’éventuelle désignation faite par le tiers avisé ? À l’inverse, si la personne gardée à vue a renoncé à l’assistance d’un avocat, ne pourrait-on pas lui objecter que, peu important l’éventuelle désignation faite par un tiers, « l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat » ne s’en est pas trouvé affecté, en raison de son refus initial (un précédent jurisprudentiel de 2016 paraît toutefois de nature à s’opposer à un tel argument, Crim. 4 oct. 2016, n° 16-81.778, Dalloz actualité, 26 oct. 2016, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2016. 598, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2016. 802, obs. F. Cordier ) ?

En pratique, l’avocat désigné par le tiers ne peut intervenir utilement qu’après que sa désignation a été confirmée par la personne gardée à vue : les démarches de l’avocat, sur lesquelles celui-ci n’a que peu de prise, se font souvent à distance et, la plupart du temps, essentiellement par téléphone. Pour le praticien, se posera évidemment la question de savoir comment garder trace des diligences accomplies pour justifier, le cas échéant, d’un éventuel grief.

En troisième et dernier lieu, rappelons que la loi n’impose pas même que le tiers avisé soit informé de la possibilité́ de désigner lui-même un conseil (v. not., Circ. du 23 mai 2011 relative à l’application des dispositions relatives à la garde à vue de la loi n° 2011-392 du 14 avr. 2011 relative à la garde à vue), ce qui, conjugué avec l’ensemble des observations susvisées, pourrait rendre l’éventualité de la démonstration d’un grief relativement limitée.

 

Crim. 26 juin 2024, F-B, n° 23-84.154

© Lefebvre Dalloz