Nullité du licenciement disciplinaire fondé sur un motif tiré de la vie personnelle du salarié
Le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire en raison de faits relevant, dans la vie personnelle d’un salarié, de l’exercice de sa liberté de religion est discriminatoire et encourt donc la nullité. Une salariée, employée en qualité d’agent de service d’une association de protection de l’enfance, ayant pris l’initiative de se déplacer à l’hôpital où avait été admise une mineure prise en charge par cette association, ne peut pas être licenciée pour lui avoir remis une bible dès lors que ces faits sont intervenus en dehors du temps et du lieu du travail de la salariée et ne relevaient pas de l’exercice de ses fonctions professionnelles.
Poreuse, la frontière entre le domaine de la croyance religieuse qui relève de la sphère privée et le domaine du droit qui relève de la sphère publique, alimente un contentieux régulier que le juge doit trancher. Dans l’arrêt commenté, une salariée est recrutée en qualité d’agent au sein d’une association spécialisée dans la protection de l’enfance. Treize ans plus tard, après plusieurs avertissements pour des faits identiques, elle est licenciée pour faute après que l’employeur lui eut reproché de remettre des bibles à des mineures résidentes. Estimant son comportement prosélyte, les juges du fond considèrent que la réitération de ces faits à l’égard d’une population mineure et fragile, constituait un abus de la liberté d’expression et de manifestation des convictions religieuses, allant au-delà de l’expression de ces convictions, entravait l’exécution du contrat de travail et violait les principes fondamentaux inscrits au règlement intérieur, de sorte que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse. Contestant cette décision la salariée forme un pourvoi en cassation. Pour elle, ni faute ni prosélytisme ne pourrait lui être reproché dès lors que la distribution litigieuse qu’elle reconnaissait avait eu lieu en dehors du lieu et du temps de travail. Au visa des articles L. 1121-1, L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel. Pour le juge du droit, la requérante, qui était agent de service et non pas éducatrice, s’était contentée de se déplacer dans l’hôpital pour remettre une bible à une mineure de la structure qui y avait été admise. Dès lors les faits reprochés étaient intervenus en dehors du temps et du lieu de travail de la salariée et ne relevaient pas de l’exercice de ses fonctions professionnelles. Prononcé pour motif disciplinaire en raison de faits relevant de la vie privée de l’intéressée et de l’exercice de sa liberté religieuse, le licenciement était discriminatoire et devait être annulé.
La protection des libertés fondamentales
Attentif à la protection des libertés fondamentales en entreprise, l’article L. 1121-1 du code du travail interdit les atteintes aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des salariés. L’article L. 1132-1 ajoute une liste de motifs discriminatoires qui, s’ils sont avérés, permettent de remettre en cause une décision patronale. Parmi elles, figurent les « convictions religieuses » du salarié. Intangible, le respect de ces principes permet, aux termes de l’article L. 1132-4 du code du travail, d’annuler toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance de ses droits fondamentaux. De ces textes, la Cour de cassation a posé la règle selon laquelle les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (Cass., ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, Dalloz actualité, 27 juin 2014, obs. M. Peyronnet ; AJDA 2014. 1293
; ibid. 1842
, note S. Mouton et T. Lamarche
; D. 2014. 1386, et les obs.
; ibid. 1536, entretien C. Radé
; JA 2014, n° 503, p. 10, obs. D. Rieubon
; AJCT 2014. 511, obs. F. de la Morena
; ibid. 337, tribune F. de la Morena
; Dr. soc. 2014. 811, étude J. Mouly
; RDT 2014. 607, étude P. Adam
; RFDA 2014. 954, note P. Delvolvé
; RTD civ. 2014. 620, obs. J. Hauser
; RJS 10/2014, n° 667 ; JCP S 2014. 1287, note B. Bossu). Le principe est clair : l’employeur n’a pas le droit d’empêcher les salariés de vivre leur foi en entreprise. Il ne doit pas prendre en compte les convictions religieuses des uns et des autres pour adapter les décisions qu’il prend. Cette exigence de neutralité patronale est d’autant plus avérée que l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme précise que chacun a droit à la liberté religieuse qui ne peut avoir d’autres restrictions que celles prévues par la loi (Paris, 19 juin 2003, n° 03/30212, D. 2004. 175
, obs. A. Pousson
; RJS 10/2003, n° 1116). Illustrant la force de ce principe, la jurisprudence affirme qu’un employeur ne saurait ainsi encadrer la liberté vestimentaire de ses salariés selon les désidératas de sa clientèle (Soc. 14 avr. 2021, n° 19-24.079, D. 2021. 805
; ibid. 2022. 132, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; ibid. 872, obs. RÉGINE
; JA 2021, n° 642, p. 12, obs. D. Castel
; Dr. soc. 2021. 742, obs. C. Radé
; RDT 2021. 390, obs. K. Meiffret
; JCP S 2021. 1161, note B. Bossu). Si même en entreprise le salarié peut vivre sa foi, il est davantage protégé encore lorsque sa pratique s’exerce en dehors du temps et du lieu de travail. Or, en l’espèce, tous les protagonistes s’accordaient à reconnaitre, que la remise de la bible à l’une des mineures de l’association avait eu lieu dans un cadre purement privé en dehors des locaux de la structure et en dehors des horaires de travail. À ce titre, le lien de subordination n’a plus vocation à s’appliquer et l’employeur doit s’effacer.
Les limites à la protection des fondamentales
Attentif à la protection des libertés fondamentales, l’article L. 1121-1 précité décide cependant qu’il peut y être porté atteinte à condition que les restrictions litigieuses soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. En matière de liberté d’expression, sont ainsi interdits les dénigrements (Soc. 15 juin 2022, n° 21-10.572, D. 2022. 2245, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; RJS 10/2022, n° 501, 3e esp.), les termes injurieux, diffamatoires ou excessifs (Soc. 23 sept. 2015, n° 14-14.021, Dalloz actualité, 13 oct. 2015, obs. M. Peyronnet ; JA 2015, n° 527, p. 11, obs. D. Castel
; Dr. soc. 2016. 4, étude L. Gratton
; JCP S 2015. 1429, note B. Bossu) ou encore les accusations injustifiées (Soc. 20 janv. 2016, n° 14-20.041, RJS 5/2016, n° 312, 2e esp.). En entreprise, dès lors que la pratique religieuse porte atteinte à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou qu’elle caractérise des actes d’insubordination, elle peut être interdite (Cass., ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, préc.). Ainsi du salarié dont la tenue vestimentaire serait incompatible avec les règles de sécurité en entreprise. Elle pourrait également être sanctionnée si, alors même qu’elle serait exercée dans un cadre privé, elle perturberait le fonctionnement normal de l’entreprise ou porterait atteinte à son image. En l’espèce, la religion catholique n’est pas une secte. Elle laisse à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire. Non seulement le don d’une bible ne peut être vu comme un signe de manipulation d’une adolescente fragile mais il ne porte pas non plus préjudice à l’association dont les valeurs sont au contraire très proches de celles défendues par la parole du Christ. Acte purement privé, le geste litigieux n’était pas un acte d’insubordination et ne relevait pas davantage du prosélytisme. Discriminatoire, le licenciement ne pouvait qu’être annulé offrant à la requérante le droit de réintégrer son poste si elle le souhaite.
Soc. 10 sept. 2025, FS-B, n° 23-22.722
par Thibault Lahalle, MCF-HDR, Directeur du master de droit social, Université de Créteil
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