Nullité d’une mesure de géolocalisation d’un véhicule : qualité à agir
Dans un arrêt du 28 mai 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur le rejet par la chambre de l’instruction d’une requête en nullité d’une mesure prorogée de géolocalisation d’un véhicule.
Les requérants ont sollicité l’annulation de pièces de la procédure intentée à leur encontre devant la chambre de l’instruction, cette dernière ayant rejeté leurs demandes.
La qualité à agir en annulation d’une mesure de géolocalisation
Sous l’empire de la jurisprudence européenne, la Cour de cassation apprécie la recevabilité d’une requête en annulation, s’agissant de la qualité à agir, à l’aune de l’intérêt « non seulement direct, mais également indirect » (J.-Cl. Pr. pén. v° Art. 170 à 174-1 - Les nullités de l’information, fasc. 20, § 69).
Selon l’un des requérants, toute personne qui établit une atteinte portée à sa vie privée à l’occasion d’une mesure de géolocalisation a qualité à agir en annulation contre cette mesure, en concluant donc que l’utilisateur d’un véhicule géolocalisé a nécessairement qualité à agir. Le requérant affirmait également que cette qualité à agir n’était écartée que si le véhicule avait été volé et faussement plaqué. En effet, la jurisprudence de la chambre criminelle affirme que le requérant n’a pas qualité à agir en nullité d’une mesure de géolocalisation d’un véhicule volé et faussement immatriculé, sur lequel il ne peut se prévaloir d’aucun droit (Crim. 7 juin 2016, n° 15-87.755, Dalloz actualité, 30juin 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 1314
; ibid. 1597, chron. B. Laurent, L. Ascensi, E. Pichon et G. Guého
; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; RSC 2016. 847, obs. J.-F. Renucci
; 20 déc. 2017, n° 17-82.435, Dalloz actualité, 29 nov. 2017, obs. W. Azoulay ; D. 2017. 2370
).
La chambre de l’instruction a rejeté cette demande d’annulation, considérant que le requérant n’avait pas qualité à agir puisqu’il avait précisément volé le véhicule géolocalisé.
Ici, la chambre criminelle rappelle sa jurisprudence selon laquelle la chambre de l’instruction est tenue de rechercher si la formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui est propre au requérant. Cette jurisprudence applique l’article 802 du code de procédure pénale, selon lequel la juridiction saisie d’une demande en nullité d’un acte de procédure « ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne ». La Cour de cassation précise en l’occurrence que la preuve que la partie est concernée par la nullité peut résulter d’éléments de la procédure.
Or, la Cour considère que la chambre de l’instruction a eu tort de juger comme elle l’a fait, alors qu’il résultait des éléments de la procédure que le requérant était bien l’utilisateur du véhicule géolocalisé.
Toutefois, en l’espèce, la Cour ne casse pas pour autant l’arrêt de la chambre de l’instruction, compte tenu de ce qu’il est établi que le requérant avait été utilisateur du véhicule antérieurement à la mesure de la géolocalisation. Ainsi, si l’utilisation du véhicule est antérieure à la mesure de géolocalisation, le requérant n’a pas qualité à agir en annulation de la mesure de géolocalisation.
L’existence d’un grief résultant de la géolocalisation du véhicule
Au visa de l’article 230-32 du code de procédure pénale prévoyant la géolocalisation de toute personne, d’un objet ou d’un véhicule, la Cour de cassation rappelle ici que ce texte a pour finalité la protection de la vie privée du propriétaire ou possesseur du véhicule géolocalisé.
La chambre criminelle affirme que la méconnaissance de la protection susvisée peut être invoquée par toute personne titulaire d’un droit sur l’objet géolocalisé, ou qui établit qu’il a été porté atteinte à sa vie privée. Ainsi, si le requérant n’a pas de droit sur le véhicule géolocalisé, il lui appartient de démontrer une atteinte à « l’intimité de sa vie privée ».
Pourtant, la Cour semble rendre ces deux conditions cumulatives, en affirmant que dès lors que le requérant n’avait aucun droit sur le véhicule géolocalisé, il importe peu qu’une atteinte ait été portée à sa vie privée : « la circonstance que le véhicule volé géolocalisé ne soit pas faussement immatriculé est sans incidence sur l’absence de qualité à agir de son détenteur ou de son utilisateur qui ne disposent d’aucun droit sur celui-ci, aurait-il même été porté atteinte à leur vie privée à l’occasion de la mesure de géolocalisation ».
La Cour juge alors ici que les griefs ne peuvent pas être accueillis.
La nécessaire motivation des décisions de la chambre de l’instruction
Toutefois, la Cour casse l’arrêt de la chambre de l’instruction compte tenu d’une absence de motifs. En effet, la Cour rappelle que cette juridiction doit justifier sa décision par des motifs répondant aux articulations essentielles des mémoires des parties.
Or, la chambre de l’instruction a retenu que le requérant n’avait pas de droit sur le véhicule géolocalisé, et qu’aucun élément ne permettait d’établir qu’il l’utilisait ou qu’une atteinte à ses intérêts propres avait été commise au cours de la géolocalisation du véhicule.
Aussi la Cour de cassation relève-t-elle que la chambre de l’instruction n’a pas répondu au mémoire qui faisait valoir que la décision de prorogation du délai de géolocalisation mentionnait que le requérant utilisait le véhicule. Dès lors, la chambre criminelle en conclut que la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision.
Crim. 28 mai 2024, FS-B, n° 23-84.957
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