Obligation de délivrance : de l’inefficacité d’une clause de non-recours
Une clause de non-recours, qui n’a pas pour objet de mettre à la charge du preneur certains travaux d’entretien ou de réparation, n’a pas pour effet d’exonérer le bailleur de son obligation de délivrance.
 
                            Obligation essentielle
Par cet arrêt de censure partielle le juge du droit réaffirme le caractère essentiel de l’obligation de délivrance incombant au bailleur.
Quel que soit le régime dont dépend le bien loué (bail « code civil », bail d’habitation, bail commercial qui, sur ce point, relève du droit commun, bail rural, …), cette obligation de délivrance est en effet indispensable pour que le contrat de location puisse recevoir un commencement d’exécution (jugeant qu’il incombe au bailleur de prouver qu’il s’est libéré de son obligation en remettant les clés au locataire, v. Civ. 3e, 25 juin 2008, n° 07-14.341, Dalloz actualité, 21 juill. 2008, obs. A. Mbotaingar ; D. 2008. 2000  ; RJDA 2008, n° 987 ; 13 sept. 2011, n° 10-24.626, AJDI 2012. 32
 ; RJDA 2008, n° 987 ; 13 sept. 2011, n° 10-24.626, AJDI 2012. 32  , obs. V. Zalewski
, obs. V. Zalewski  ; précisant que cette obligation implique que le local puisse être affecté à l’usage prévu par le bail, v. Civ. 3e, 2 juill. 1997, n° 95-14.151, D. 1997. 201
 ; précisant que cette obligation implique que le local puisse être affecté à l’usage prévu par le bail, v. Civ. 3e, 2 juill. 1997, n° 95-14.151, D. 1997. 201  ; 11 oct. 2011, n° 10-17.257, AJDI 2012. 32
 ; 11 oct. 2011, n° 10-17.257, AJDI 2012. 32  , obs. V. Zalewski
, obs. V. Zalewski  ).
).
C’est tellement vrai, qu’alors que la plupart des dispositions du code civil sont supplétives de la volonté des parties, l’obligation de délivrance a, dans son principe, été qualifiée par la jurisprudence, sinon d’ordre public, à tout le moins d’obligation dont ne peut s’exonérer le bailleur (Civ. 1re, 11 oct. 1989, n° 88-14.439, D. 1991. 225  , note P. Ancel
, note P. Ancel  ; RTD com. 1990. 244, obs. B. Bouloc
 ; RTD com. 1990. 244, obs. B. Bouloc  ).
).
Cette précision est d’autant plus importante que nous sommes en présence d’une obligation continue dont le respect s’impose au bailleur tout au long de l’exécution du contrat (Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 18-21.890, Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin
).
C’est ainsi qu’il a été jugé que le bailleur ne peut, par le biais d’une « clause de souffrance » (clause visée à l’art. 1724 c. civ. relative à l’exécution de travaux urgents que le locataire doit supporter), s’affranchir de son obligation de délivrer les lieux loués (Civ. 3e, 1er juin 2005, n° 04-12.200, D. 2005. 1655  ; AJDI 2005. 650
 ; AJDI 2005. 650  , obs. Y. Rouquet
, obs. Y. Rouquet  ; RTD civ. 2005. 779, obs. J. Mestre et B. Fages
 ; RTD civ. 2005. 779, obs. J. Mestre et B. Fages  ).
).
Participant de la même logique, nombreuses sont les décisions qui jugent inopérantes les clauses d’acceptation des lieux en l’état (en ce sens, v. Civ. 3e, 5 juin 2002, n° 00-19.037, D. 2002. 2303, et les obs.  ; AJDI 2002. 759
 ; AJDI 2002. 759  , obs. P. Briand
, obs. P. Briand  ; 20 janv. 2009, n° 07-20.854, RTD com. 2009. 694, obs. F. Kendérian
; 20 janv. 2009, n° 07-20.854, RTD com. 2009. 694, obs. F. Kendérian  ; Loyers et copr. 2009, n° 63, obs. E. Chavance ; 2 févr. 2010, n° 09-12.691, AJDI 2010. 639
 ; Loyers et copr. 2009, n° 63, obs. E. Chavance ; 2 févr. 2010, n° 09-12.691, AJDI 2010. 639  , obs. N. Damas
, obs. N. Damas  ; ibid. 640, obs. N. Damas
 ; ibid. 640, obs. N. Damas  ).
).
Portée d’une clause de non-recours
A fortiori, cette solution vaut, comme au cas particulier, en présence d’une clause expresse de non-recours du locataire à l’encontre de son cocontractant en cas d’inexécution, par ce dernier, de son obligation de délivrance (jugeant que la clause interdisant au preneur d’exercer contre le bailleur tout recours pour vices cachés ou apparents, défauts ou malfaçons, ne dispense pas le bailleur de son obligation de délivrance, v. Civ. 3e, 18 mars 2009, n° 08-11.011, AJDI 2009. 539  , obs. M.-P. Dumont-Lefrand
, obs. M.-P. Dumont-Lefrand  ; Administrer 5/2009. 33, note J.-D. Barbier).
 ; Administrer 5/2009. 33, note J.-D. Barbier).
Dans l’affaire ayant débouché sur l’arrêt sous étude, le bail (de locaux à usage de bureau) comportait une clause aux termes de laquelle le locataire déclarait renoncer à tous recours pour les dégâts causés dans les locaux loués aux objets mobiliers, marchandises ou matériels quelle qu’en soit l’origine, du fait de la privation de jouissance ou de troubles de jouissance des lieux loués.
Fort de cette stipulation, le bailleur estimait être délié de son obligation de délivrance, alors que le bien loué avait été affecté par des infiltrations d’eau.
Il a été suivi en appel, mais échoue devant les magistrats du quai de l’Horloge qui rendent un arrêt de censure.
Après avoir rappelé la teneur des articles 1719 et 1720 du code civil, le juge du droit affirme, dans un attendu de principe qu’« une clause de non-recours, qui n’a pas pour objet de mettre à la charge du preneur certains travaux d’entretien ou de réparation, n’a pas pour effet d’exonérer le bailleur de son obligation de délivrance ».
L’un des apports de cette décision est de rappeler que seul l’article 1719 du code civil, qui pose le principe de l’obligation de délivrance (« le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière : 1° De délivrer au preneur la chose louée (…) ») s’impose aux parties. L’article 1720 du même code, qui précise le contenu de cet obligation (« le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce. Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives.») n’est, quant à lui, pas d’ordre public (validant une clause de non-recours, s’agissant du remplacement des installations ou équipements existants, v. Civ. 3e, 19 déc. 2019, n° 18-19.136, AJDI 2020. 215
; pour d’autres illustrations du caractère supplétif de l’art. 1720, v. Civ. 3e, 12 juin 2001, n° 00-10.588, AJDI 2002. 28
, obs. P. Laurent
; 27 mai 2003, n° 02-11.709, AJDI 2003. 852
).
Civ. 3e, 10 avr. 2025, FS-B, n° 23-14.974
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