Obligation de relogement d'un locataire protégé : atteinte au droit de propriété
L'obligation de relogement d'un locataire âgé et démuni qui pèse sur le bailleur lui ayant délivré congé porte une atteinte qui peut être disproportionnée aux conditions d'exercice de son droit de propriété.
En matière de congé délivré par le bailleur dans le cadre d’un bail d’habitation, l’article 15, III, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 est très singulier.
Une obligation singulière pour le bailleur
En effet, lorsque le locataire est âgé et démuni (entendons par-là, âgé de plus de 65 ans et dont les ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources pour l’attribution d’un logement conventionné), le bailleur doit sortir de sa posture de loueur stricto sensu en offrant à son cocontractant un logement de remplacement (précisant que l’offre de relogement ne peut être que connexe ou postérieure au congé, mais jamais antérieure, v. Civ. 3e, 26 juin 1996, n° 94-13.472, Administrer 7/1997. 37, note C. Beddeleem ; RJDA 1996, n° 1169 ; solution réitérée dans la même affaire par Paris, 19 janv. 1994, D. 1996. Somm. 369, obs. CRDP Nancy 2
; Civ. 3e, 2 juin 2010, n° 09-66.698, Dalloz actualité, 15 juin 2010, obs. Y. Rouquet ; D. 2010. 1486
; ibid. 2011. 1181, obs. N. Damas
; AJDI 2011. 51
, obs. Y. Rouquet
).
Ainsi, le bailleur doit-il se muer en chasseur d’appartements afin de trouver à son (encore) cocontractant un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités, qui plus est à proximité de son adresse actuelle (le texte se réfère aux limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi du 1er septembre 1948).
Et il doit prendre son rôle au sérieux, car il est tenu de s’assurer de l’effectivité des offres qu’il va signaler au locataire, ainsi que de l’assentiment des propriétaires pour signer un bail avec lui (Paris, 11 janv. 2011, n° 08/14726, AJDI 2011. 297
; Loyers et copr. 2011, n° 101, obs. B. Vial-Pedroletti).
Cette obligation disparaît toutefois lorsque le bailleur est lui-même âgé ou démuni (les critères sont les mêmes que pour le locataire, mais, à l’égard du bailleur, ils sont alternatifs).
Droits locatifs vs droit de propriété
Dans un contentieux dans lequel le locataire âgé et démuni avait reçu un congé-reprise sans que lui soit offert un logement de substitution (ayant donné lieu à Paris, 21 juin 2022, n° 19/19149), le bailleur a soulevé la compatibilité de cette obligation de relogement avec l’exercice de son droit de propriété.
Dans le cadre qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il s’est en effet demandé si cette obligation qui pèse sur le bailleur personne physique justifiant d’un motif légitime de reprendre son bien pour l’habiter porte au droit de propriété (consacré par l’art. 2 de la DDHC) une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.
On se permettra de remarquer tout d’abord que la QPC cible à tort le seul bailleur personne physique, puisque le texte ne distingue pas.
Ensuite, si elle vise le congé pour habiter, ce qui correspond au cas d’espèce, il peut être indiqué que l’obligation de relogement vaut, en réalité tout aussi bien lorsque le congé a été délivré dans la perspective de vendre le bien loué (Lyon, 9 nov. 1999, Loyers et copr. 2000, n° 58, obs. B. Vial-Pedroletti) ou à raison d’un motif légitime et sérieux (Paris, 15 mai 2020, n° 18/01921). En revanche, les dispositions de l’article 15-III ne s’appliquent pas en cas de résiliation judiciaire du bail pour manquement du locataire à ses obligations (Civ. 3e, 15 oct. 2014, n° 13-16.990, Dalloz actualité, 30 oct. 2014, obs. Y. Rouquet ; D. 2014. 2112
; ibid. 2015. 1178, obs. N. Damas
; AJDI 2015. 205
, obs. N. Damas
; RTD civ. 2015. 157, obs. P.-Y. Gautier
).
Absence de logements à loyer abordable
La QPC stigmatise la situation dans laquelle le bailleur est dans l’impossibilité de s’acquitter de son obligation, s’agissant d’un bail ancien portant sur un logement situé « dans une zone où les loyers sont excessivement élevés ».
Dans de telles circonstances, en effet, le bailleur aura beaucoup de difficultés à concilier les impératifs que la loi lui assigne : trouver un logement bon marché (car il doit être compatible avec les ressources du locataire, que l’on sait faibles) dans un secteur soumis à une forte tension (la recherche de logement par le bailleur ne peut concerner que le secteur privé car, par définition, une recherche dans le secteur social est propre au locataire).
Par la décision du 30 mars 2023 rapportée, le juge du droit décide de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel, motifs pris :
- d’une part, que l’article 15-III porte atteinte aux conditions d’exercice du droit de propriété du bailleur ;
- d’autre part, que cette atteinte pourrait être considérée comme disproportionnée, dès lors que l’état du marché locatif dans le secteur concerné est susceptible de rendre impossible la soumission par le bailleur, personne privée, d’une offre de relogement correspondant aux possibilités de locataires dont les ressources sont inférieures au plafond pour l’attribution de logements locatifs conventionnés.
On notera le glissement sémantique opéré par la Cour de cassation, qui évoque le bailleur « personne privée », là où le demandeur mentionnait un bailleur « personne physique ».
© Lefebvre Dalloz