Obligation d’entretien du bailleur et garantie de jouissance paisible : obligations de résultat
Les obligations du bailleur d’entretenir la chose louée en état de servir à son usage et d’assurer la jouissance paisible du locataire ne cèdent que devant la force majeure. Pour remédier aux désordres affectant les lieux loués, le bailleur doit exécuter lui-même les travaux de reprise ou doit avancer à la locataire les sommes nécessaires à leur exécution. Les diligences du bailleur auprès du syndicat des copropriétaires ne le libèrent pas de son obligation de garantir la jouissance paisible des locaux loués. L’indemnisation du locataire doit être intégrale.
L’obligation de délivrance, obligation de résultat
L’arrêt commenté est important, en ce qu’il permet de qualifier clairement l’obligation de délivrance du bailleur, dans ses divers aspects énumérés à l’article 1719 du code civil, d’« obligation de résultat ».
En effet, concernant l’obligation du bailleur d’entretenir la chose en état de servir à son usage, obligation renforcée par l’article 1720 du code civil (également cité dans l’arrêt), qui précise que le bailleur doit effectuer toutes les réparations nécessaires, la Cour précise que le bailleur est tenu d’exécuter les travaux lui incombant « sauf pendant le temps où la force majeure l’empêcherait de faire ce à quoi il s’est obligé ».
Concernant la garantie de jouissance paisible, prévue à l’article 1719, 3°, du code civil, la Cour rappelle que cette obligation « ne cesse qu’en cas de force majeure » et qu’ainsi le locataire doit être intégralement indemnisé « en l’absence de force majeure caractérisée ».
Cette référence, à plusieurs reprises, à la force majeure comme seule excuse possible en cas d’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance, implique la qualification d’obligation de résultat.
L’obligation de résultat engage la responsabilité du débiteur même s’il « n’a pas commis de faute » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, n° 849). Même s’il démontre qu’il a été diligent, le débiteur qui n’a pas pu exécuter son obligation doit indemniser le créancier, sauf cas de force majeure.
« Le débiteur s’engage à fournir un résultat » (A. Bénabent, Droit des obligations, 16e éd., LGDJ, n° 411). Si le résultat n’est pas atteint, le débiteur est nécessairement responsable, sauf s’il rapporte la preuve d’un cas de force majeure.
Rappelons qu’en cas de force majeure, le débiteur est libéré de son obligation et ne peut donc pas être condamné à des dommages et intérêts, mais qu’il ne peut pas pour autant réclamer la contrepartie normalement due par le créancier.
L’obligation d’exécuter les travaux
L’article 1719, 2°, du code civil oblige le bailleur à entretenir la chose louée « en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée » et l’article 1720 du même code précise que le bailleur « doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives. »
Dans l’affaire commentée, à la suite de désordres en provenance des parties communes de la copropriété, il était nécessaire de faire des travaux de reprise des faux plafonds dans les locaux privatifs loués.
La Cour de cassation précise que, informée des désordres, la bailleresse devait y remédier et que, « à défaut d’exécuter elle-même les travaux de reprise des faux plafonds, elle était tenue d’avancer à la locataire les sommes nécessaires à leur exécution ».
En effet, le bailleur a « l’obligation de maintenir le local commercial en état de servir à l’usage prévu » (Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 20-12.821, AJDI 2022. 121
, obs. S. Andjechaïri-Tribillac
; Gaz. Pal. 9 nov. 2021. 57, note J.-D. Barbier).
La cour d’appel n’avait pas voulu indemniser la locataire, estimant que la situation n’était pas liée à une « faute de la société bailleresse ». L’arrêt est cassé, puisque, qu’il y ait faute ou pas, la responsabilité de la bailleresse est automatique, en l’absence de force majeure.
C’est le propre d’une obligation de résultat, d’engager la responsabilité du débiteur même en l’absence de faute de sa part.
La garantie de jouissance paisible
Les désordres provenaient des parties communes de l’immeuble, et la société bailleresse avait tardé à saisir le syndic de la copropriété. La cour d’appel avait condamné la société bailleresse à payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts à la société locataire, en raison de ce retard.
La société locataire estimait que son préjudice devait être indemnisé, même après que le syndic de la copropriété ait été saisi. La Cour de cassation lui donne raison en décidant que « les diligences accomplies (par la bailleresse) pour obtenir du syndicat des copropriétaires la cessation d’un trouble ayant son origine dans les parties communes de l’immeuble ne (la) libèrent pas de son obligation de garantir la jouissance paisible des locaux loués ».
En effet, « l’obligation du bailleur d’assurer au preneur une jouissance paisible de la chose louée » ne cesse qu’en cas de force majeure (Civ. 3e, 29 avr. 2009, n° 08-12.261, Dalloz actualité, 18 mai 2009, obs. Y. Rouquet ; D. 2010. 1168, obs. N. Damas
; AJDI 2009. 875
, obs. V. Zalewski
).
Ainsi, même si l’exécution des travaux ne dépendait pas de la société bailleresse, mais de la copropriété, il ne s’agissait pas d’un cas de force majeure caractérisée et la société bailleresse n’était pas dégagée de son obligation de garantir la jouissance paisible.
L’indemnisation intégrale du préjudice
Par ailleurs, la Cour de cassation rappelle le principe de l’indemnisation intégrale du préjudice.
En raison du trouble résultant de la dégradation des faux plafonds, la locataire devait être « intégralement » indemnisée de son préjudice de jouissance, depuis le jour où la bailleresse en avait été informée jusqu’à sa cessation.
L’information de la bailleresse
Cependant, si l’obligation de délivrance est une obligation essentielle (J.-D. Barbier, L’obligation essentielle, Gaz. Pal. 5 juill. 2016. 53), continue (Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 18-21.890, D. 2021. 1397, obs. Dumont
; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin
; Gaz. Pal. 10 nov. 2020. 72, note J.-D. Barbier) et de résultat, encore faut-il que le bailleur soit informé de la situation.
Dès lors que les désordres sont situés dans les lieux loués, occupés par le preneur, ce dernier doit en informer son bailleur.
La responsabilité du bailleur n’est engagée que s’il a été informé des désordres (Civ. 3e, 13 oct. 2021, n° 20-19.278, Dalloz actualité, 18 nov. 2021, obs. P. Gaiardo ; D. 2021. 1922
; ibid. 2022. 1409, chron. B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda
; Rev. prat. rec. 2021. 23, chron. D. Gantschnig
; SNH 37/21 inf. 6, avec les obs. ; Administrer 12/ 2021. 30, note J.-D. Barbier).
Le caractère partiellement non écrit d’une clause d’indexation à la hausse
Par ailleurs, dans cette même affaire, le bail comportait une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse et la société locataire avait demandé qu’elle soit jugée non écrite.
La Cour de cassation rappelle une jurisprudence maintenant bien établie : une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse est irrégulière (Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681, Dalloz actualité, 20 janv. 2016, obs. Y. Rouquet ; D. 1613, obs. M.-P. Dumont-Lefrand
; AJDI 2016. 365
, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti
; ibid. 157, point de vue J.-P. Dumur
; RTD com. 2016. 56, obs. J. Monéger
; Gaz. Pal. 1er mars 2016. 66, note J.-D. Barbier ; 15 févr. 2018, n° 17-40.069, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. A. Gailliard ; D. 2018. 1511, obs. M.-P. Dumont-Lefrand
; AJDI 2018. 598
; Constitutions 2018. 67, chron. G. Valdelièvre et J. Barthélemy
; Gaz. Pal. 17 juill. 2018. 56, note J.-D. Barbier ; 30 juin 2021, n° 19-23.038, Dalloz actualité, 21 juill. 2021, obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; D. 2021. 1285
; ibid. 2251, chron. A.-L. Collomp, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda
; AJDI 2022. 119
, obs. J.-P. Blatter
; Rev. prat. rec. 2022. 35, chron. E. Morgantini et P. Rubellin
; RTD civ. 2021. 635, obs. H. Barbier
; RTD com. 2021. 771, obs. F. Kendérian
; Gaz Pal. 9 nov. 2021. 59, note J.-D. Barbier).
La Cour de cassation décide que « seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite et non la clause en son entier, sauf cas d’indivisibilité » (Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 19-23.038, préc. ; 12 janv. 2022, n° 21-11.169, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. P. Gaiardo ; D. 2022. 70
; ibid. 1375, obs. M.-P. Dumont
; AJDI 2022. 200
, obs. J.-P. Blatter
; Rev. prat. rec. 2023. 19, chron. E. Morgantini et S. Gonon
; Gaz. Pal. 1er mars 2022, note C.-E. Brault ; 4 juill. 2024, n° 23-13.285, Gaz. Pal. 17 déc. 2024. 50, note J.-D. Barbier).
En l’espèce, la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, avait estimé que l’on pouvait faire abstraction, dans la clause d’indexation, des mots « uniquement à la hausse », en laissant subsister le reste de la clause.
Civ. 3e, 19 juin 2025, FS-B, n° 23-18.853
par Jehan-Denis Barbier et Séverine Valade, Avocats à la Cour, Barbier Associés
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