Obligation légale de sécurité : une faute – inexcusable – présumée

Deux décisions rendues par la chambre sociale et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, les 28 et 29 février derniers, la première concernant la charge de la preuve du respect de l’obligation de sécurité dans le cadre d’une action en résiliation judiciaire aux torts de l’employeur et la seconde la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur afin d’obtenir une indemnisation complémentaire viennent nourrir le débat autour de la nature de l’obligation de sécurité oscillant entre obligation contractuelle ou légale ainsi qu’entre obligation de résultat (atténuée) ou de moyens (renforcée).

La faute est l’une des notions fondamentales du droit, qui est empreinte d’une relativité « absolue ». La définition la plus célèbre a été offerte par Planiol, la faute consistant en « un manquement à une obligation préexistante » (M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, 3e éd., n° 947). Mais, à l’aune de sa finalité, chaque branche du droit, voire chaque système de responsabilité, offre une définition en tentant de répondre à deux questions étroitement liées : déterminer « quand il y a faute et si "toute faute" engage la responsabilité » (A. Tunc, La responsabilité civile, in Deuxième congrès international de morale médicale, 1966, p. 26). Si essentielle, « la qualification juridique de la faute relève du contrôle de la Cour de cassation » (Civ. 2e, 7 mars 1973, n° 71-14.769 P), même si les faits d’où les juges du fond déduisent l’existence ou l’absence d’une faute appartiennent à leur appréciation souveraine. Les limites ou frontières de la faute soulèvent des débats philosophiques, politiques, économiques et sociaux variables en fonction de la situation extracontractuelle ou contractuelle en cause. Derrière la qualification joue encore la question de la charge de la preuve (et donc du risque de l’échec probatoire ; C. civ., art. 1353, anc. art. 1315) ainsi que la prise en compte d’une cause étrangère exonératoire, comme la force majeure, le fait d’un tiers ou la faute de la victime (C. civ., art. 1218 et 1231-1, anc. art. 1147 et 1148), dont le régime peut être encadré par de multiples règles spéciales.

Dans ce questionnement sisyphéen, se situe l’obligation de sécurité de l’employeur au cœur d’un nœud gordien reliant le droit du travail et le droit de la sécurité sociale, aux fonctions originellement distinctes (désormais imbriquées), le premier ayant une finalité principalement préventive (C. trav., art. L. 4121-1 s.) et le second ayant une finalité principalement réparatrice (CSS, art. L. 411-1), mais avec un objet identique, le droit fondamental à la santé des salariés, et un débiteur principal aux moyens aléatoires selon sa taille, l’employeur. C’est dire si, en matière de santé et sécurité au travail, vole en éclat le principe d’autonomie entre le droit du travail et le droit de la sécurité sociale (sur le principe en matière d’inaptitude au travail, v. Civ. 2e, 28 janv. 2021, n° 19-25.459, RJS 4/2021, n° 237). S’immisce dans ce débat celui de la nature de l’obligation de sécurité oscillant entre obligation contractuelle ou légale ainsi qu’entre obligation de résultat (atténuée) ou de moyens (renforcée) pour lequel l’assemblée plénière de la Cour de cassation semble avoir tranché en déclarant que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail » (Cass., ass. plén., 5 avr. 2019, n° 18-17.442 P, Dalloz actualité, 9 avr. 2019, obs. W. Fraisse ; D. 2019. 922, et les obs. , note P. Jourdain  ; ibid. 2058, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon  ; ibid. 2020. 40, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz  ; JA 2019, n° 598, p. 11, obs. D. Castel  ; ibid. 2021, n° 639, p. 40, étude P. Fadeuilhe  ; AJ contrat 2019. 307, obs. C.-É. Bucher  ; Dr. soc. 2019. 456, étude D. Asquinazi-Bailleux  ; RDT 2019. 340, obs. G. Pignarre  ; RDSS 2019. 539, note C. Willmann  ; D. 2020. Pan. 40, obs. P. Brun ; D. 2019. 922, concl. P. Jourdain ; Dr. soc. 2019. 456, note D. Asquinazi-Bailleux ; RJS 6/2019, n° 360). Nourrissent ces débats deux arrêts rendus par la chambre sociale et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, des 28 et 29 février 2024, le premier concernant la charge de la preuve dans le cadre d’une action en résiliation judiciaire aux torts de l’employeur (C. civ., art. 1227, anc. art. 1184) et le second la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur afin d’obtenir une indemnisation complémentaire (CSS, art. L. 452-1).

Faute inexcusable résultant du risque de violences des usagers

Les questions juridiques s’imbriquent aussi avec des enjeux sociétaux importants, spécialement pour l’arrêt du 29 février 2024 où était en cause la recrudescence d’actes violents au sein du service des urgences d’un hôpital, en raison de l’engorgement des services lié à un manque d’effectifs et de moyens générant une dégradation de la qualité des soins. En l’espèce, une salariée d’une association gérant un hôpital a été victime, dans la nuit du 8 au 9 janvier 2017, d’une agression prise en charge au titre de la législation professionnelle par la CPAM. La victime a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et a obtenu gain de cause. L’employeur a formé un pourvoi en cassation avec pour principal argument le fait que le risque venant d’un tiers, un usager en l’occurrence, était de fait inévitable et que la seule réalisation du risque ne saurait démontrer le caractère insuffisant des mesures de prévention mises en œuvre par l’employeur.

Le pourvoi est rejeté avec une motivation particulièrement fournie. La Cour de cassation rappelle d’abord qu’« il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver », reprenant sa solution de principe énoncée, après l’arrêt d’assemblée plénière, le 8 octobre 2020 (Civ. 2e, 8 oct. 2020, n°s 18-26.667 et 18-25.021, D. 2020. 2014  ; RDT 2021. 67, obs. L. de Montvalon ) et confirmée le 16 novembre 2023 (Civ. 2e, 16 nov. 2023, n° 21-20.740, JA 2024, n° 693, p. 3, Éditorial B. Clavagnier  ; RDT 2024. 118, chron. A.-L. Mazaud ). Elle confirme ensuite la position de la cour d’appel en matière de risques sociaux comportementaux : 1) « la victime a subi une agression physique par une patiente rentrée dans l’espace ambulatoire alors que le médecin ne prêtait pas attention à elle, et que seule l’équipe de soins est intervenue pour les séparer » ; 2) « l’employeur ne pouvait ignorer le risque d’agression encouru par son personnel soignant, médecins compris » car « la recrudescence d’actes violents au sein du service des urgences de l’hôpital avait été évoquée dès 2015, en raison, notamment, de l’engorgement des services générant l’insatisfaction des usagers, l’altération des conditions de travail et la dégradation de la qualité des soins » ; 3) « les mesures de protection mises en œuvre par l’employeur étaient insuffisantes ou inefficaces à prévenir le risque d’agression auquel était soumis son personnel » car « le recrutement d’un agent de sécurité et la fermeture de la zone de soins par des portes coulissantes, qui lui avaient été demandés par certains salariés pour sécuriser les locaux, sont postérieurs à l’accident du travail », « le contrat de sécurité cynophile [étant] manifestement insuffisant à prévenir les risques d’agression au sein même de l’hôpital », et « l’organisation de formations sur la gestion de la violence constituait une réponse sous-dimensionnée par rapport à la réalité et la gravité du risque encouru ».

Cette solution est une parfaite illustration de la problématique des risques sociaux qui recouvrent l’ensemble des risques dont l’origine professionnelle résulte des rapports sociaux (multiples) inhérents à toute relation de travail (rapport avec la hiérarchie, avec les collègues, avec les prestataires et avec les clients ou usagers), couvrant les risques comportementaux (violence, harcèlement, abus d’autorité, voire mésentente) ainsi que les risques managériaux (charge de travail, évaluation des salariés, réorganisation ou restructuration), susceptibles d’avoir des conséquences d’ordre physique ou psychologique sur les travailleurs. La notion de risque est objective ; elle n’implique pas une faute de la part de l’employeur. Il importe donc peu que le risque vienne d’un tiers. La prévention permet de jouer sur les origines du risque, en évaluant son intensité, pour réduire ses éventuelles apparitions (sans que l’on exige un risque « 0 ») ou conséquences (en traitant rapidement le risque qui se réalise). Tant pour les partenaires sociaux (ANI, 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail) qu’au niveau international (Convention [n° 190] sur la violence et le harcèlement, 2019), la prévention et le traitement de la violence au travail est devenu un enjeu majeur. Le fait d’un tiers n’est donc pas objectivement imprévisible, même s’il est inévitable. Comme l’impose l’article L. 4121-2 du code du travail, « les risques qui ne peuvent pas être évités » doivent être évalués (2°), planifiés (7°) avec des mesures de protection collective (agents de sécurité, numéro d’urgence, caméra de surveillance…), voire individuelle (8°), supposant « des instructions appropriées aux travailleurs » (9°) ; à cet effet, l’employeur organise « des actions d’information » à l’endroit des clients ou usagers ainsi que des salariés et « de formation » pour les salariés (C. trav., art. L. 4121-1, 2°) comme il assure « la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés » (C. trav., art. L. 4121-1, 3°). Ces principes – théoriquement justifiés – n’ont pour d’autres conséquences que d’emporter dans la grande majorité des cas, au sein du secteur hospitalier, la reconnaissance d’une faute inexcusable, ce secteur subissant un sous-effectif patent et une diminution de leurs moyens matériels et financiers. Au-delà des présomptions légales, on constate que la preuve incombant à la victime qui se prévaut d’une faute inexcusable n’en est que facilitée en droit de la protection sociale.

Charge de la preuve en matière prud’homale

Dans l’arrêt du 28 février 2024, un salarié, ayant des fonctions de technicien confirmé mécanique véhicules industriels, est hospitalisé le 28 février 2018 en raison d’une plaie pulpaire au troisième rayon de la main gauche, puis a été en arrêt de travail du 1er au 25 mars 2018.

Entre temps, il a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes, notamment d’une action en résiliation judiciaire en invoquant un manquement à l’obligation de sécurité. Les circonstances de l’accident du travail étant inconnues, le salarié estimait, à l’appui de sa demande, la survenance d’un accident du travail causé par l’absence de fourniture des équipements de protection individuelle, sans apporter d’éléments matériellement vérifiables.

Pour l’employeur, en matière de résiliation judiciaire, supposant un « manquement suffisamment grave », la charge de la preuve de la réalité du manquement reproché à l’employeur incombe au salarié, d’autant que le salarié n’explique pas les circonstances dans lesquelles il a été blessé sur son lieu de travail ; il ne saurait y avoir de résolution « sans faute ». Débouté de ses demandes, le salarié forme un pourvoi en cassation estimant que, lorsque le salarié invoque, à l’appui d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, une inobservation des règles de prévention et de sécurité par son employeur, il incombe à ce dernier de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité, et notamment à son obligation de prévention des risques.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa du nouvel article 1353 du code civil : « lorsque le salarié invoque un manquement de l’employeur aux règles de prévention et de sécurité à l’origine de l’accident du travail dont il a été victime, il appartient à l’employeur de justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ». Par conséquent, « il appartenait à l’employeur de démontrer qu’il avait pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé du salarié » et « la cour d’appel a inversé la charge de la preuve ».

Par cet arrêt publié, la Cour de cassation réaffirme une solution classique (v. Soc. 23 janv. 2019, n° 17-18.771, RJS 4/2019, n° 204), également retenue lorsque le salarié sollicite des dommages-intérêts au titre de la méconnaissance de l’obligation de sécurité pour des préjudices qui ne sont pas pris en charge par le régime de sécurité sociale des AT/MP. Par exemple, s’agissant de troubles psychologiques liés à une surcharge de travail d’un salarié soumis à un forfait en jours sur l’année, la Cour de cassation a pu juger qu’il n’appartient pas au salarié de démontrer la réalité de la surcharge car « l’employeur ne justifiait pas avoir mis en œuvre des entretiens annuels au cours desquels étaient évoquées la charge de travail du salarié et son adéquation avec sa vie personnelle, le seul compte-rendu d’entretien produit, en date du 26 avril 2013, dénommé « évaluation de la performance 2012 », ne contenant aucune mention relative à la charge de travail, ce dont il résultait que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité » (Soc. 13 avr. 2023, n° 21-20.043). Cette solution s’inscrit dans la doctrine jurisprudentielle en matière de durée du travail, directement rattachée à l’obligation de sécurité, selon laquelle « la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’employeur » (Soc. 5 juill. 2023, n° 21-24.122 B, Dalloz actualité, 17 juill. 2023, obs. L. Malfettes ; D. 2023. 1317  ; ibid. 2024. 186, obs. S. Vernac et Y. Ferkane  ; RJS 10/2023, n° 497), ainsi que dans celle adoptée en matière de prévention du harcèlement (Soc. 4 oct. 2023, n° 22-15.269).

En somme, si le salarié démontre l’existence d’un fait dommageable en lien de causalité avec le travail, l’employeur ne peut « s’exonérer de sa responsabilité au titre de l’obligation de sécurité qu’en justifiant avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail » (Soc. 3 févr. 2021, n° 19-23.548 P, RJS 4/2021, n° 219). Ce mécanisme tant probatoire qu’exonératoire est celui qui résulte de la saga jurisprudentielle sur le préjudice d’anxiété : « En application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité » ; « il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour (Cass., ass. plén., 5 avr. 2019, n° 18-17.442 P, préc. ; Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444 P, D. 2015. 2507  ; ibid. 2016. 144, chron. P. Flores, S. Mariette, E. Wurtz et N. Sabotier  ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; Dr. soc. 2016. 457, étude P.-H. Antonmattei  ; RJS 2/2016, n° 123) que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés » (Soc. 11 sept. 2019, n° 17-25.300).

Nature(s) de l’obligation de sécurité de l’employeur

Ces arrêts ne font que raviver la distinction entre l’obligation de moyens et de résultat destinée à résoudre la question de la charge de la preuve (donc du risque de l’échec probatoire) et de la prise en compte de la cause étrangère en matière d’exécution ou inexécution du contrat et de responsabilité contractuelle. La Cour de cassation a fait sienne la division des obligations de moyens et de résultat formulée par Demogue (R. Demogue, Traité des obligations en général, Rousseau, t. 5, 1925, n° 1237 et, t. 6, 1932, n° 599 ; H. Mazeaud, Essai de classification des obligations : obligations contractuelles et extracontractuelles ; obligations déterminées et obligation générale de prudence et de diligence, RTD civ. 1936. 1 ; Plancqueel, Obligations de moyens, obligations de résultat, ibid. 1972. 334 ; M. Mekki, La distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat : esquisse d’un art, RD Assas, févr. 2013, n° 7, p. 77). Le critère serait à rechercher dans l’aléa entourant le contrat, en lui-même, ou certaines de ses obligations, et la maitrise de l’aléa par le créancier ou son acceptation par le débiteur. Des situations intermédiaires existent. L’obligation de moyens peut être allégée en cas de gratuité ou d’aléa particulièrement élevé ; elle peut, être « renforcée » (Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-17.904 P, Dalloz actualité, 20 juin 2018, obs. A. Hacene ; D. 2018. 1072  ; ibid. 2019. 400, obs. Centre de droit et d’économie du sport (OMIJ-CDES)  ; JA 2018, n° 585, p. 10, obs. X. Delpech  ; ibid. 2019, n° 592, p. 33, étude S. Damarey  ; AJ contrat 2018. 327, obs. O. Gout  ; pour l’entraîneur d’un sport dangereux) ou « appréciée avec plus de rigueur » (Civ. 1re, 16 oct. 2001, n° 99-18.221 P, D. 2002. 2711, et les obs. , obs. A. Lacabarats  ; RTD civ. 2002. 107, obs. P. Jourdain  ; moniteur d’un sport dangereux). Soit l’obligation de moyens renforcée (stricto sensu) se distingue de l’obligation de moyens (simple) par l’appréciation plus exigeante des diligences du débiteur, le créancier assumant le risque de la preuve de la faute, soit l’obligation de moyens renforcée instaure une présomption de faute, le débiteur assumant le risque de la preuve de l’absence de faute répondant de la cause inconnue d’inexécution. Inversement, l’obligation de résultat peut être atténuée quand le débiteur est en droit de se libérer en établissant l’existence d’une cause étrangère ne présentant pas les caractères de la force majeure, voire son absence de faute ce qui semble contradictoire car confinant à l’obligation de moyens renforcée comme l’illustre la jurisprudence fluctuante au sujet de l’obligation d’entretien, d’installation et de réparation du garagiste (Civ. 1re, 3 juill. 2001, n° 99-12.859, CCC 2001, n° 169, obs. Leveneur ; 9 juin 1993, n° 91-17.387 P, RTD civ. 1993. 828, obs. P. Jourdain  ; obligation de sécurité du garagiste) ; l’obligation de résultat peut être aggravée quand la cause étrangère présentant les caractères de la force majeure devient inopérante aux yeux de la loi, ce qui la transforme en garantie.

C’est l’obligation de faire qui est susceptible de qualifications variables, sachant qu’un même contrat peut créer des obligations de diverses portées selon la volonté des parties ou de la loi. À défaut de critère unique, un faisceau d’indices relatifs à la volonté des parties ou du législateur voire du juge – lorsqu’il prend en compte les évolutions techniques, technologiques ou scientifiques – détermine le caractère d’une obligation. Il est encore possible que l’objet de la demande, dans le cadre d’une action en réparation du préjudice ou d’une résiliation pour inexécution (suffisamment grave ou grave), fasse varier la nature de l’obligation. En matière d’obligation de sécurité, sa nature dépend du rôle passif ou actif du débiteur ainsi que du rôle passif ou actif du créancier avec, parfois, un découpage dans le temps des obligations contractuelles ou légales : par exemple, pour les remontées mécaniques et manèges, l’obligation de sécurité est de résultat pour le déplacement, mais de moyens pour l’embarquement et le débarquement. Il est des hypothèses où le rôle actif ou passif du créancier dans l’exécution ne suffit plus à justifier le caractère de l’obligation ; le caractère de l’obligation de sécurité dépend aussi de la théorie des risques qui dépend de la partie détenant un pouvoir (qui implique une grande responsabilité) ou bénéficiant d’un profit (qui suppose d’en assumer le risque) ; peut alors être retenue soit une acceptation des risques par le créancier (spécialement lorsqu’il est informé, conseillé et mis en garde) ou une prise en charge exclusive des risques par le débiteur (spécialement lorsque c’est un professionnel). De jure, il convient de considérer que la distinction est gouvernée par une logique fonctionnelle, donc relative et évolutive, complexe (ou raffinée) : l’absence ou l’existence d’un aléa ainsi que l’appréciation des risques dépendent de l’économie de chaque contrat, de la qualité des parties, de la volonté du législateur (en fonction de l’impérativité ou de la supplétivité des règles), de l’évolution technique, technologique et scientifique, voire de considérations économiques et sociales. Dès lors que la violation de l’obligation de sécurité soulève la question de la réparation d’un préjudice, patrimonial ou extrapatrimonial (spécialement corporel) ou celle de la confiance légitime que l’on porte à la partie qui en est débitrice, la problématique fondamentale qui guide la politique jurisprudentielle est la suivante : quelle partie doit assumer le préjudice généré par l’absence de résultat en matière de sécurité ? On le perçoit la distinction, simple en théorie, de l’obligation de moyens ou de résultat présente, in fine, un caractère déceptif ; elle ne tient pas ses promesses de clarification ou, à tout le moins, de « rationalité simple », et un sentiment de solutions « opportunistes » en ressort. Certes on peut discuter de l’impact de la réforme issue de l’ordonnance du 10 février 2016, voire du futur projet de loi du 13 mars 2017 portant réforme de la responsabilité civile, qui ne consacre pas formellement la division des obligations, mais ce silence n’est pas dirimant (D. Mazeaud, Réforme du droit des contrats : que vont les règles jurisprudentielles non codifiées, devenir ?, in Mélanges en l’honneur de François Collart-DutilleulLiber amicorum, Dalloz, 2017, p. 529). Codifiée ou non, la distinction continuera de nourrir le débat doctrinal et les arrêts de la Cour de cassation.

Au sujet de l’obligation de sécurité de l’employeur, sa nature juridique a donné lieu à de nombreux débats, spécialement sur des questions d’ordre probatoire. D’abord, l’obligation de sécurité est qualifiée de « légale » (v. Soc. 15 nov. 2023, n° 22-17.733, Dalloz actualité, 28 nov. 2023, obs. F. Gabroy ; D. 2023. 2049  ; RDT 2024. 47, chron. F. Gabroy ), comme le rappelle l’arrêt commenté du 29 février 2024. Cette qualification n’a aucun impact sur sa nature contractuelle ou délictuelle. En application de l’ancien article 1135, devenu 1194, du code civil, disposant que les contrats obligent « à toutes les suites que leur donnent […] la loi », l’obligation de sécurité est de nature contractuelle entre l’employeur et ses salariés (Soc., avis, 16 nov. 2022, n° 22-70.009, RDT 2023. 256, chron. B. Géniaut  ; Crim. 5 avr. 2023, n° 21-80.478, Dalloz actualité, 15 mai 2023, obs. M. Recotillet ; D. 2023. 691  ; ibid. 2102, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, J.-P. Laborde et S. Mirabail  ; AJ pénal 2023. 287, obs. F. Chopin  ; Dr. soc. 2023. 709, étude R. Salomon ) ; à l’égard des tiers, notamment les salariés intérimaires ou des entreprises sous-traitantes, l’entreprise utilisatrice voit sa responsabilité extracontractuelle engagée (Soc. 8 févr. 2023, n° 20-23.312, Dalloz actualité, 20 févr. 2023, obs. L. Malfettes ; D. 2023. 299  ; JA 2023, n° 685, p. 39, étude P. Fadeuilhe  ; Dr. soc. 2023. 363, obs. C. Willmann  ; RDT 2023. 273, chron. A. Nivert  ; RTD civ. 2023. 372, obs. P. Jourdain ).

Ensuite, si pendant longtemps la Cour de cassation avait rangé l’obligation patronale dans la catégorie des obligations de moyens, au motif de l’aléa des risques professionnels (le risque « 0 » n’existant pas) et du rôle actif du salarié dans sa correcte exécution, la Cour de cassation avait procédé à un revirement de jurisprudence retentissant, en 2002, en la qualifiant d’obligation de résultat dans le domaine des accidents du travail (Soc. 28 févr. 2002, n° 00-10.051, Dr. soc. 2002. 445, point de vue A. Lyon-Caen  ; ibid. 828, étude M. Babin et N. Pichon  ; RDSS 2002. 357, obs. P. Pédrot et G. Nicolas  ; RTD civ. 2002. 310, obs. P. Jourdain ) pour l’étendre en droit du travail (Soc. 29 juin 2005, n° 03-44.412, D. 2005. 2565, obs. E. Chevrier , note A. Bugada  ; ibid. 2006. 29, obs. Centre de recherche en droit social de l’IETL, Université Lumière Lyon 2  ; Dr. soc. 2005. 971, note J. Savatier ). Le résultat à atteindre étant la non-réalisation d’un dommage, l’employeur ne pouvait s’en exonérer qu’en démontrant que l’accident ou l’événement l’ayant provoqué était dû à une cause étrangère présentant le caractère de la force majeure. Fondée sur la théorie du risque, sur une interprétation dynamique des textes et sur la protection du droit à la santé physique et mentale, l’objectif de cette qualification était que l’employeur garantisse la réparation du préjudice. Cependant la qualification jouait aussi en matière de résiliation judiciaire ou de prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur et avait donné naissance à un préjudice nécessaire quelle que soit l’importance de la règle violée (F. Héas, Le devenir de l’obligation de sécurité de résultat en matière de travail, Dr. ouvrier 2016, n° 810, p. 10 s.). Critiquée, cette solution n’incitait par les employeurs à respecter toutes les obligations légales dès lors qu’ils étaient nécessairement « coupables ». Pour un auteur, « le résultat dont il est question […] n’est pas l’absence d’atteinte à la santé physique et mentale », mais est « l’ensemble des mesures prises (effectivement !) par l’employeur dont la rationalité, la pertinence et l’adéquation pourront être analysées et appréciées par le juge » (P. -Y. Verkindt, Santé au travail : l’ère de la maturité, JSL 2008, n° 239). Entendant les critiques, la Cour de cassation est revenue sur sa position en droit du travail, dans un arrêt du 25 novembre 2015, solution généralisée par l’assemblée plénière en 2019 (Soc. 25 nov. 2015, préc. ; Cass., ass. plén., 5 avr. 2019, préc.).

N’évoquant plus l’obligation de résultat, une partie de la doctrine en a conclu à une obligation de moyens renforcée en raison de son impact probatoire et de son appréciation rigoureuse, l’employeur, titulaire du pouvoir de direction, détenant l’aptitude à la preuve ; une autre partie a résisté en défendant la qualification d’obligation de résultat atténuée (F. Héas, art. préc.). Quoiqu’il en soit, si la qualification « semble plus équilibrée parce que la condamnation de l’employeur n’est plus automatique et pragmatique parce que le but est de forcer les entreprises "vertueuses" à appliquer les règles et d’en conserver la preuve » (G. Loiseau, La raison retrouvée de l’obligation de sécurité, AEF, RH, Dépêche, n° 539523, 6 juin 2016), le contentieux de l’obligation demeure abondant tant il est difficile pour les employeurs de conserver la preuve de l’accomplissement de toutes les obligations légales et réglementaires, voire conventionnelles. Selon la nature du contentieux, on remarque que « l’obligation patronale de sécurité de moyens (renforcée) » est à « double facette » ou à « facettes multiples » (Rép. trav.,  Harcèlement moral, par P. Adam, sept. 2023, §§ 563 s.) ou qu’elle se révèle « claire-obscure » (J. Icard et Y. Pagnerre, Le clair-obscur de l’obligation de sécurité en matière de harcèlement, D. 2016. 1681 ).

 

Soc. 28 févr. 2024, F-B, n° 22-15.624

Civ. 2e, 29 févr. 2024, F-B, n° 22-18.868

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