« Œuvre commune » ou l’illustration d’une hésitante qualification
En matière d’œuvre collective, l’apport individuel de chaque contributeur se fond dans un ensemble qui constitue l’œuvre protégée. Pourtant la décision de la Cour d’appel de Rennes du 7 mai 2024 semble laisser planer un doute quant à la qualification retenue, évoquant une œuvre commune, laquelle est inexistante en droit d’auteur.
Au cours d’un stage au sein d’une agence, deux étudiants spécialisés dans les jeux vidéo ont participé à la réalisation de commandes passées par le parc du Futuroscope. Ils avaient notamment pour mission de concevoir des expériences ludiques, sensorielles et interactives pour le parc.
Au terme de leur stage en 2015, ils fondent cette même année une société qui sous-traite pour le compte de leur précédent lieu de stage des travaux de conception et de développement de numériques devant être utilisés au sein de cette même exposition.
Le 22 février 2017, ils mettent le parc du Futuroscope en demeure de cesser l’exploitation de leurs créations et demandent l’apposition de leurs noms sur celles-ci, y compris celles sur lesquelles une cession de droit aurait été opérée.
Le 17 mars 2017, le parc du Futuroscope s’oppose à leurs demandes. Ils l’assignent le 12 mars 2018 devant le Tribunal de grande instance de Rennes pour contrefaçon. Ils réclament le paiement de dommages et intérêts pour exploitation sans autorisation de leurs œuvres et indemnisation de leur préjudice moral.
Par jugement du 29 juin 2021, le tribunal déclare irrecevable l’intégralité de leurs demandes. En effet, si les requérants ont bien concouru à la conception des expériences interactives, il convient toutefois de caractériser une pluralité de contributeurs. En outre, le parc du Futuroscope en tant que donneur d’ordre a conservé la maîtrise de l’œuvre qu’il a commandé et la qualifie d’œuvre collective au sens de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle.
Un appel est interjeté de cette décision. Ils estiment en effet subir une atteinte à leurs droits patrimoniaux et moraux. Selon eux, une confusion existe entre leur rôle d’auteur et les contributions techniques des autres intervenants. La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 7 mai 2024, les déboute de l’ensemble de leurs demandes et confirme le jugement. Selon la juridiction, ils « plaident une atteinte à leur droit moral alors qu’ils n’ignoraient pas qu’ils travaillaient à la création d’une œuvre commune commandée par la société du parc du Futuroscope aux fins d’exploitation publique ».
La décision rendue par la Cour d’appel de Rennes ne précise pas vraiment la nature de l’œuvre et semble ouvrir la voie à différentes hypothèses dont les effets sont tout de même conséquents puisqu’ils visent directement l’exercice des droits sur celle-ci.
Œuvre de collaboration ou œuvre collective : un doute subsiste
La cour d’appel semble peiner à délivrer une qualification de l’œuvre litigieuse lorsqu’elle relève que « à supposer qu’il s’agisse d’œuvres collaboratives (et non collectives) dans lesquelles le rôle de chaque co-auteur peut être dissocié (…) lesquelles prestations, relativement identifiées, ont fait l’objet de contrats de cession de droit ».
En effet, un contrat de cession de droit a été signé le 28 décembre 2015, lequel mentionne une œuvre de collaboration au profit de l’agence qui employait alors les requérants et décrit ensuite leurs engagements : « réaliser une œuvre originale et inédite (…) que les co-auteurs sont chargés de la réalisation de l’œuvre, de sa préparation à la finition de la version définitive ». Le doute quant à la qualification des œuvres réalisées subsiste donc : œuvre de collaboration ou œuvre collective ? Et c’est précisément ce point que la Cour d’appel de Rennes ne semble pas relever.
Plus particulièrement encore, la cour d’appel mentionne d’abord l’hypothèse « d’œuvres collaboratives », terme pourtant inexistant. La cour d’appel poursuit son raisonnement en relevant même que « en toute hypothèse (les requérants) ne peuvent se prévaloir d’une œuvre composite, qui supposerait une œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière puisque « Futur Expo » est constitué de travaux concomitants et coordonnés ». L’œuvre composite est l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante et à laquelle ne concourt pas l’auteur de cette dernière (CPI, art. L. 113-2). La cour d’appel fait ici référence à l’hypothèse d’une incorporation matérielle de l’œuvre et ouvre la voie à une troisième potentielle qualification.
L’enjeu est de taille : quid de l’attribution de la qualité d’auteur et des droits accordés à ce dernier ? Les requérants revendiquent en l’espèce un droit moral dont ils auraient perdu la titularité. En effet, dans l’hypothèse d’une œuvre collective, la personne morale commanditaire de l’œuvre est titulaire des droits. Toutefois, selon la jurisprudence, si la personne morale peut être propriétaire de l’œuvre et titulaire des d’auteur, elle n’a pas la qualité d’auteur (v. not., R. Fievet, Droit d’auteur. Œuvre collective. Ne pas confondre auteur et titulaire des droits !, JA 2015, n° 516, p. 11
). En ce sens, l’article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle mentionne « l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue ». Quant aux contributeurs, ils ne sont pas investis des droits sur l’œuvre. Ces droits reviennent à la personne morale ou physique qui en est à l’initiative. En l’espèce il était donc légitime de s’interroger sur la possibilité de revendiquer ou non un droit moral sur leur contribution.
Et c’est pourtant ce point que la Cour d’appel de Rennes semble peiner à justifier.
L’existence d’une « œuvre commune »
Selon la cour d’appel, les requérants invoquent un droit moral dont ils auraient perdu la titularité parce qu’ils ne pouvaient ignorer travailler « à la création d’une œuvre commune » commandée par le parc du Futuroscope.
Pourtant, une telle qualification n’existe pas en droit d’auteur. Les articles L. 113-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle définissent les différents régimes applicables aux œuvres impliquant l’apport de plusieurs personnes, et celles-ci se regroupant en trois grandes catégories que sont les œuvres de collaboration, œuvres collectives et œuvres composites, ne comprennent pas les œuvres communes.
L’expression est d’ailleurs très générale et pourrait finalement s’appliquer à chacune des trois et sous-entendre que l’œuvre litigieuse serait à la fois de collaboration, composite et collective.
Pourtant, une telle qualification est déterminante quant à l’attribution de la qualité d’auteur et de ses droits. En effet, dans le cadre de l’œuvre composite, son auteur est celui de l’œuvre seconde. Concernant l’œuvre de collaboration, elle appartient à tous les collaborateurs, ce qui implique un concours de droit. Enfin, l’œuvre collective exclut la coexistence de droits distincts sur l’œuvre créée. Dès lors la mention d’œuvre commune soulève deux hypothèses : ou bien il s’agit réellement d’une œuvre de collaboration auquel cas ils peuvent revendiquer l’exercice d’un droit moral, ou bien il s’agit d’une œuvre collective sur laquelle ils ne peuvent pas revendiquer l’existence d’un tel droit.
Il semble donc étonnant qu’une qualification aussi imprécise et inexistante que celle d’œuvre commune soit dégagée. En effet, le terme « commun » sous-entendrait que les auteurs ont œuvré à parts égales et exerceraient communément leurs droits sur celle-ci, et se verraient attribuer un droit moral. Une atteinte à ce droit est pourtant exclue en l’espèce. Il est en effet acquis que la personne morale qui dirige le processus d’élaboration de l’œuvre collective est investie des droits d’auteur sur l’œuvre, ce qui inclut l’exercice du droit moral (V. Varet, Œuvre collective et droit moral : un point de plus pour le droit d’auteur « économique », note ss. Civ. 1re, 22 mars 2012, n° 11-10.132, Légipresse 2012. 377
; D. 2012. 1246, obs. J. Daleau
, note A. Latil
; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli
; ibid. 2013. 1924, obs. J.-C. Galloux et J. Lapousterle
; Rev. sociétés 2012. 496, note N. Binctin
; ibid. 377, Étude V. Varet
; RTD civ. 2012. 338, obs. T. Revet
; RTD com. 2012. 321, obs. F. Pollaud-Dulian
).
Ainsi, si la présente décision semble appliquer le régime de l’œuvre collective, elle ne la qualifie pas explicitement comme telle.
Rennes, 7 mai 2024, n° 21/05185
© Lefebvre Dalloz