Opérations de paiement non autorisées et devoir de vigilance : quelques précisions utiles

Dans un arrêt rendu le 2 mai 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle quelques constantes autour des opérations non autorisées au sens du code monétaire et financier ainsi que sur le devoir de vigilance de l’établissement bancaire.

Le 2 mai 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu rendre trois décisions sur des thématiques de droit bancaire. Comme pour chaque arrêt publié au Bulletin, la pratique ne peut que rester attentive aux orientations données à certaines dispositions du code monétaire et financier dont on sait qu’elles peuvent conduire à des obligations sévères à l’égard des banques. L’affaire n° 22-17.233 permettra toutefois, probablement, de rassurer les acteurs des établissements bancaires quant aux opérations de paiement non autorisées mais également quant au devoir de vigilance du banquier. Nous allons examiner pourquoi cette décision, sans révolutionner les constantes connues, reste fort intéressante. 

Les faits débutent autour de cinq virements pour un montant total de 1 950 000 € ordonnés dans une période comprise entre le 23 février 2017 et le 5 décembre suivant par un client, gérant et associé unique d’un hôtel, d’un des comptes ouverts dans les livres d’une banque de son fonds de commerce vers son compte personnel lui-même ouvert dans les livres d’un second établissement bancaire. Le 12 juillet 2017 et le 12 octobre suivant, l’associé unique rachète son livret retraite qu’il détenait dans les livres de ce même établissement bancaire pour un montant de 320 000 €. Le 6 mars 2018, une sauvegarde de justice est ouverte à son profit et le 22 mars suivant, une information judiciaire l’est également du chef d’escroquerie sur personne vulnérable. Il était, en effet, suspecté qu’un tiers détenait une forte emprise sur cet hôtelier. L’associé unique placé sous sauvegarde de justice décède quelques temps plus tard en laissant à sa survivance sa fille. L’administrateur provisoire de la société exploitant l’hôtel ainsi que l’héritière du majeur vulnérable ont fait assigner par exploits du 7 février puis du 9 février 2019 les deux établissements bancaires précédemment cités pour manquement à leur obligation de vigilance et à leurs obligations de teneur de compte.

En cause d’appel, les juges du fond considèrent que les opérations ordonnées entre le 23 février 2017 et le 5 décembre 2017 ont bien été autorisées au sens des dispositions du code monétaire et financier. Ils jugent également qu’on ne saurait reprocher aux établissements bancaires de ne pas avoir procédé à des vérifications supplémentaires en l’état de l’absence d’anomalie apparente.

On comprendra que c’est l’administrateur provisoire de la société et la fille de l’associé unique qui ont décidé de se pourvoir en cassation. Leur pourvoi sera finalement rejeté dans cet arrêt du 2 mai 2024. La solution suit la ligne directrice habituelle de la chambre commerciale de la Cour de cassation statuant en matière de droit bancaire. Nous allons examiner pourquoi la décision ne devrait surprendre que peu. 

De l’autorisation des opérations de paiement

Le deuxième moyen, pour certaines de ses branches du moins, faisait grief à l’arrêt d’appel de ne pas avoir fait droit à la demande de restitution des sommes versées sur le compte personnel de l’associé unique de son vivant. Les demandeurs au pourvoi fondaient leur raisonnement autour de documents relatifs aux différents virements de 2017 en estimant que ceux-ci n’avaient pas été retournés signés au préposé de l’établissement bancaire concerné. Or, selon le moyen, les ordres de virement devaient faire l’objet d’un écrit. Le raisonnement suivi par les juges du fond violerait ainsi tant les dispositions du code monétaire et financier (à savoir les art. L. 133-6 et L. 133-7) et l’ancien article 1134 du code civil antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 réformant le droit des obligations. Autre argument intéressant, le pourvoi soulevait que les juges du fond ne pouvaient pas se fonder sur des opérations postérieures aux virements litigieux (not. des opérations ordonnées le 2 févr. 2018) pour analyser la situation de celles datant de l’année 2017.

Ce raisonnement n’emporte pas la conviction de la chambre commerciale de la Cour de cassation. Le renseignement le plus intéressant se trouve indubitablement dans la réponse de la Cour, plus précisément quand elle estime que les juges du fond peuvent « se fonder sur des éléments postérieurs aux virements pour apprécier si (le client) y avait consenti à la date où les ordres avaient été donnés » (nous soulignons). La précision est, en effet, subtile car on pouvait tout à fait penser que des prestations postérieures passées en 2018 n’auraient pas beaucoup de lien avec celles de 2017, litigieuses quant à l’autorisation donnée par un client. Mais il s’agit d’un trompe-l’œil : cette perspective des demandes de l’associé unique tant en 2017 qu’en 2018 permet de comprendre que le client avait bien voulu opérer toute une série d’opérations et que son autorisation ne pouvait donc pas être remise en cause.

On retiendra également que même si les conventions tant du compte de la société que celles du compte à terme prévoyaient que les instructions devaient être données par écrit, il était possible d’y déroger puisqu’il était indiqué que cette stipulation jouait « sauf accord des parties », signe d’une souplesse contractuelle (pt n° 8). C’est, d’ailleurs, l’économie de l’article L. 133-7 du code monétaire et financier qui le permet puisqu’aucune forme n’est imposée, le texte précisant simplement que « le consentement est donné sous la forme convenue entre le payeur et son prestataire de services de paiement » (nous soulignons). Toute la difficulté de l’affaire résidait dans l’oralité des ordres de virement litigieux et ce de manière régulière par le client qui avait donc l’habitude de procéder ainsi. Cette pratique ne permet pas d’acter une absence d’autorisation, surtout quand on la met en perspective par la venue dans l’agence du client le 2 février 2018 quand l’établissement bancaire a commencé à émettre quelques réserves sur les opérations réalisées. Il y a donc bien, en l’espèce, la preuve d’une autorisation dans la fresque générale des opérations dégagées par les juges du fond. Difficile d’y voir une quelconque cause d’ouverture à cassation.

En somme, tout ceci signe un travail assez fin des juges du fond. On retiendra de cette partie de l’arrêt qu’il est possible de prendre en considération des éléments postérieurs aux virements litigieux pour démontrer que ceux-ci ont été autorisés. Bien évidemment, cette prise en compte doit avoir une incidence sur la caractérisation de l’autorisation. Des éléments postérieurs déliés n’auraient, en tout état de cause, aucune utilité. 

Sur le devoir de vigilance, la chambre commerciale innove peu là-encore.

Devoir de vigilance et non immixtion

Le troisième moyen se concentrait, quant à lui, autour de la thématique assez habituelle du devoir de vigilance de l’établissement bancaire. Il était avancé notamment que les opérations de rachat du livret de retraite étaient parfaitement illogiques, que le médecin du client avait pointé des propos traduisant sa vulnérabilité « qui pouvait être perçue immédiatement par des tiers » (pt n° 11, 1re branche du 3e moyen) puis que des signalements avaient été réalisés par l’établissement bancaire lui-même à la suite de certaines réactions inappropriées de son client. Tous ces éléments manifestaient, selon le moyen, des anomalies apparentes engendrant une cause de responsabilité contractuelle au sens de l’article 1147 ancien du code civil. La question peut nous faire d’ailleurs penser à un arrêt rendu en 2022 et que nous avions commenté dans ces colonnes (Com. 9 févr. 2022, n° 17-19.441 FS-B, Dalloz actualité, 14 févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 276 ; Rev. prat. rec. 2022. 19, chron. S. Piédelièvre ) qu’il faut mettre en perspective avec une décision récente du 27 mars 2024 et également avec un deuxième arrêt du 2 mai suivant (Com. 27 mars 2024 FS-B, n° 22-21.200, Dalloz actualité  3 avr. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 636 ; comp., 2 mai 2024, n° 22-18.074, nos obs. à paraître ; D. 2024. 868 ). Mais, contrairement au pourvoi n° 22-18.074, l’intersection entre droit commun et droit spécial de la responsabilité n’était pas questionnée.

La difficulté essentielle du troisième moyen était centrée, d’après les pièces étudiées par les juges du fond, autour du caractère assez habituel des opérations en cause. Seul le montant du dernier virement pouvait être, selon la cour d’appel, qualifié comme « inhabituel » (pt n° 12). Or, il existait bien des troubles médicaux assez importants qui n’étaient toutefois pas constants (not. par l’alternance « des périodes de cohérence et des épisodes excitatifs », pt n° 12). Difficile de faire céder le devoir de non-immixtion du banquier en pareille situation dans la mesure où on ne saurait exiger de la banque de déterminer si les opérations souhaitées comme le rachat du livret retraite étaient en lien avec le trouble médical dont souffrait le client, sans qu’il soit placé sous une mesure de protection judiciaire au moment desdites opérations. On notera, en l’espèce, que certaines opérations avaient été refusées signant en tout état de cause une vigilance satisfaisante de la banque (v. encore le pt n° 12 mentionnant ces paiements évités).

Là-encore, on ne retrouve que des éléments connus notamment parce que les juges du fond avaient considéré que le caractère illogique des demandes concernant le livret épargne ne pouvait être une anomalie apparente puisque chaque client peut disposer comme il le souhaite de ses actifs. Le rejet du pourvoi se trouve donc acté avec ce troisième moyen ne venant pas modifier la ligne jurisprudentielle déjà connue de la chambre commerciale de la Cour de cassation.

Voici donc un arrêt aux intérêts pluriels permettant une compréhension toujours plus précise des contours des opérations de paiement non autorisées.

 

Com. 2 mai 2024, FS-B, n° 22-17.233

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