Opérations de visites domiciliaires et saisies : les contours du contrôle du juge

La chambre criminelle, dans un arrêt remarqué du 25 juin 2024, est venue préciser les contours du contrôle du juge en matière d’opérations de visites domiciliaires et de saisies. À travers cette décision, elle explicite le contrôle opéré par le juge des pièces couvertes par le secret avocat-client ou encore des pièces relevant de la vie privée.

Les opérations de visites domiciliaires

En l’espèce, le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence avait saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) d’une requête en vue de la réalisation d’opérations domiciliaires dans les locaux de trois sociétés et d’un organisme professionnel en vertu des dispositions de l’article L. 450-4 du code de commerce. L’Autorité de la concurrence suspectait dans cette affaire la réalisation par les sociétés de pratiques illicites afin d’évincer plusieurs concurrents.

Une ordonnance autorisant ces opérations était rendue et les opérations de visites et saisies étaient mises en œuvre.

Les sociétés requérantes contestaient tant l’ordonnance d’autorisation que le déroulement des opérations. Elles étaient déboutées de leurs demandes par la cour d’appel. Non satisfaites, elles formaient un pourvoi devant la Cour de cassation.

Au soutien de leur mémoire, les requérantes développaient plusieurs moyens autour de l’absence de contrôle effectif exercé par le juge ainsi que de l’impossibilité de procéder à la saisie de pièces couvertes par le secret avocat-client ou ayant trait à la vie privée.

La question du contrôle effectif exercé par le juge

Le premier moyen soulevé était tiré de l’absence de contrôle effectif exercé par le juge.

Tout d’abord, les sociétés requérantes critiquaient la rapidité du travail accompli par le JLD, ce dernier ayant rendu son ordonnance le lendemain de la requête, laquelle comprenait des annexes de 900 pages. Pour elles, ce délai était de nature à créer un doute légitime sur l’analyse sérieuse et concrète des mérites de la requête de l’autorité par le JLD.

Les requérantes reprochaient ensuite la forme de l’ordonnance. Selon elles, le JLD « se bornait à recopier mot pour mot la requête de l’Autorité sous réserve de quelques adaptations de style ou de formulation d’usage ». Cette rédaction, pour les sociétés, était de nature à faire naître un doute légitime sur l’existence d’un contrôle effectif et concret de la requête du juge.

La chambre criminelle écarte ce moyen, confirmant ainsi l’arrêt des juges du fond. Pour les hauts magistrats, il ne saurait être reproché au JLD d’avoir statué dans un délai court de deux jours et l’Autorité de la concurrence n’est pas tenue de produire, à l’appui de sa requête, toutes les pièces en sa possession. Ils relèvent ainsi que dès lors que « les motifs de l’ordonnance autorisant les opérations de visite et saisie sont réputés avoir été établis par le juge qui l’a rendue et signée, le premier président n’a méconnu aucun des textes visés au moyen ».

La question du contrôle des pièces couvertes par le secret avocat-client

Dans un second temps, les requérantes critiquaient l’ordonnance en ce qu’elle refusait d’annuler la saisie par l’Autorité de la concurrence des correspondances entre un avocat et son client relatives à l’exercice des droits de la défense. Elles soutenaient notamment dans le cadre de leur pourvoi :

  • que le délégué du premier président a l’obligation de rechercher si les pièces saisies qui lui sont précisément désignées par l’entreprise comme étant couvertes par le secret des correspondances avocat-client et/ou la protection des droits de la défense étaient effectivement protégeables à ce titre et n’ont pas fait l’objet d’une saisie irrégulière par l’Autorité de la concurrence ;
  • que le fait que la preuve du caractère protégeable de certains documents ne soit pas suffisamment rapportée ne dispensait pas le juge de déterminer les pièces dont le caractère protégeable était établi et celles pour lesquelles cette preuve n’était pas rapportée ;
  • que même dans l’hypothèse où le rattachement de certaines pièces à un courriel reçu d’un avocat, à des échanges dans lesquels un avocat était en copie, ou à un courriel d’avocat transféré en interne, ne serait pas établi, et que les pièces listées seraient de plusieurs centaines, il appartenait au juge d’analyser chacune des pièces désignées et de rechercher si ces pièces n’avaient pas été irrégulièrement saisies par les services d’instruction ;
  • que chacune des pièces que les sociétés demanderesses considéraient comme étant protégeables au titre du secret professionnel avaient été désignées de façon précise en précisant le contentieux auquel elles se rattachaient, si bien que sur la base des informations fournies, il était possible de lister les pièces dont le caractère protégeable était établi et celles qui ne l’étaient pas.

Suivant le raisonnement des juges du fond, la chambre criminelle écarte le moyen tiré de la violation du secret professionnel avocat-client.

Pour la Cour de cassation, il appartenait à la partie qui invoque la protection des correspondances entre un avocat et son client relevant de l’exercice des droits de la défense d’identifier précisément ces pièces et d’exposer, pour chacune, les raisons pour lesquelles la pièce ne pouvait être saisie. Elle ajoute que le premier président, après avoir ordonné la restitution d’une partie des pièces, a constaté, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que, pour le surplus, les conclusions des demanderesses ne lui permettaient pas, en raison de leur imprécision et de leur confusion, d’exercer le contrôle auquel il était invité.

La Haute juridiction ajoute que « dès lors que seules les communications entre un avocat et son client qui relèvent de l’exercice des droits de la défense ne peuvent être saisies, des échanges préalables à la saisine d’un avocat sans que celui-ci n’en soit l’émetteur ou le destinataire (…) ne peuvent relever de cette catégorie. »

Ce faisant, la Cour adopte une approche stricte des pièces couvertes par le secret avocat-client en écartant les échanges préalables à la saisine de l’avocat pour lesquels ce dernier n’est ni l’émetteur ni le destinataire.

Suivant la même logique, la chambre criminelle propose un raisonnement analogue s’agissant de la demande de restitution desdites pièces formulées par les sociétés requérantes.

La question du contrôle des pièces relevant de la vie privée

En dernier lieu, les sociétés requérantes fustigeaient l’arrêt d’appel qui, pour déclarer recevable la saisie de documents ayant trait à la vie privée de certains salariés, relevaient que ces derniers ne sont pas parties à la procédure. Les juges du fond précisaient en outre que ces documents qui n’avaient pas de lien avec l’enquête étaient en tout état de cause inexploitables.

Sur ce point, la chambre criminelle, rappelant les termes de sa jurisprudence, précise que le droit au recours impose que les personnes mises en cause se voient notifier le procès-verbal et les ordonnances ayant autorisé les saisies afin de pouvoir exercer le recours prévu à l’article L. 450-4 du code de commerce (Crim. 13 juin 2019, n° 17-87.365 P).

De même, elle relève que les attributaires d’un bureau dans une société faisant l’objet d’une visite et saisie, non visés par l’ordonnance autorisant la visite de leur société, sont recevables à critiquer les actes d’exécution de cette ordonnance, dès lors qu’ils justifient d’un intérêt distinct de celui de la société dont ils sont les salariés, et sont irrecevables à critiquer l’ordonnance elle-même (Com. 4 juin 1991, n° 90-10.586 P).

La chambre criminelle ajoute que le salarié à droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée de sorte qu’un motif tiré de sa vie personnelle, en l’espèce l’envoi de courriels depuis sa messagerie professionnelle dans le cadre d’échanges privés, ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Soc. 6 mars 2024, n° 22-11.016 P, D. 2024. 481  ; Légipresse 2024. 212 et les obs. ).

Enfin, elle conclut en précisant qu’un salarié qui considère que les saisies opérées portent atteinte à sa vie privée a, seul, qualité pour contester ces dernières. Il ne peut toutefois contester l’ordonnance d’autorisation à moins d’être personnellement mis en cause au sens de l’article L. 450-4 du code de commerce.

Par là même, la chambre criminelle écarte le dernier moyen et rejette les pourvois.

 

Crim. 25 juin 2024, F-B, n° 23-81.491

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