Opposabilité du secret des affaires et de la sécurité publique au droit à l'information en matière environnementale
Par un litige concernant l'activité de centrales nucléaires, le Conseil d'État pose les limites du droit d'accès à l'information environnementale lorsqu'est en cause la sécurité publique ou le secret des affaires.
L’association Réseau « Sortir du nucléaire » (RSN) a demandé à la société EDF de lui communiquer le dossier d’options de sûreté d’un projet de piscine centralisée d’entreposage de combustibles nucléaires usés.
Étant donné la perspective de saturation des capacités d’entreposage de combustibles usés entre 2025 et 2035, il est prévu par le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs, qu’EDF remette au ministre chargé de l’énergie sa stratégie de gestion des capacités d’entreposage de combustibles usés et le calendrier associé à la création de nouvelles capacités d’entreposage, et qu’il transmette à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), les options techniques et de sûreté relatives à la création de nouvelles capacités d’entreposage.
Limites à l’opposabilité du secret des affaires
La demande de RSN relève du droit d’accès à l’information en matière environnementale (C. envir., art. L. 124-1), auquel la société EDF, en sa qualité de personne responsable d’un service public d’exploitation de centrales nucléaires de production d’électricité, est soumise. S’il existe des exceptions au droit à communication (C. envir., art. L. 124-4), l’autorité administrative est tenue de fournir les informations relatives aux émissions de substances dans l’environnement, sauf exceptions tenant a conduite de la politique extérieure de la France, à la sécurité publique ou à la défense nationale, au déroulement des procédures juridictionnelles ou à la recherche d’infractions pouvant donner lieu à des sanctions pénales et les droits de propriété intellectuelle (C. envir., art. L. 124-5). Le secret des affaires ne fait pas partie de ces exceptions.
La communication faite par EDF comprenait version occultée de passages relatifs à la teneur des outils de surveillance utilisés et à la température de l’eau ainsi qu’à l’implantation du système de refroidissement et d’apport d’eau. RSN se pourvoit en cassation contre le jugement qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation du refus d’EDF de communiquer le document sans occultation.
Par une lecture combinée des articles L. 124-4 du code de l’environnement et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, le Conseil d’État précise que « l’autorité publique, après avoir apprécié l’intérêt d’une communication, peut rejeter la demande d’une information relative à l’environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte, notamment, à la sécurité publique ou au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles ». En revanche, selon le II de l’article L. 124-5 du code de l’environnement, « lorsque la demande porte sur une information relative à des émissions de substances dans l’environnement, celle-ci peut être rejetée si sa consultation ou sa communication portait atteinte à l’un des intérêts énumérés par ces dispositions, au nombre desquels figure la sécurité publique, mais non le secret des affaires ».
Les piscines d’entreposage ne procèdent pas à des émissions de radioactivité dans l’environnement
Le tribunal administratif de Lyon a estimé que les informations relatives à des piscines d’entreposage ne sont pas des informations sur des émissions dans l’environnement. Il a donc retenu l’opposabilité au secret des affaires soulevée par EDF auquel porterait atteinte la communication des passages du document demandé relatifs à la teneur des outils de surveillance utilisés dans la piscine d’entreposage et à la température de l’eau. Il a ainsi jugé que les informations occultées n’étaient pas relatives à des émissions de substances dans l’environnement. Le Conseil d’État se réfère à deux arrêts rendus le 23 novembre 2016 par la Cour de justice de l’Union européenne qui ont explicité la notion d’« émissions dans l’environnement ». Dans l’affaire C-442/14, elle a précisé que relève de cette notion « le rejet de produits ou de substances », pour autant que ce rejet soit effectif ou prévisible dans des conditions normales ou réalistes d’utilisation et que relèvent de la notion d’« informations relatives à des émissions dans l’environnement » les indications concernant la nature, la composition, la quantité, la date et le lieu des « émissions dans l’environnement » ainsi que les données relatives aux incidences, à plus ou moins long terme, de ces émissions sur l’environnement. Sont ainsi exclues du champ d’application de ce régime les émissions purement hypothétiques. Dans l’affaire C-673/13 P, la Cour de justice a jugé que les informations qui « ont trait à des émissions dans l’environnement » sont celles qui concernent ou qui sont relatives à de telles émissions, et non les informations présentant un lien, direct ou indirect, avec les émissions dans l’environnement, et que cette notion concerne notamment, mais pas uniquement, les émissions provenant d’installations industrielles comme des usines ou des centrales.
Dès lors que l’entreposage des déchets nucléaires, hors accident, ne comporte pas d’émission de radioactivité dans l’environnement, le tribunal administratif a suffisamment motivé son jugement en s’abstenant de répondre au moyen tiré de ce que ces informations étaient relatives à des émissions dans l’environnement et que le secret des affaires ne pouvait donc légalement lui être opposé. Mais, de plus, le Conseil d’État relève que « la teneur des outils de surveillance développés par EDF dans le cadre de son activité de recherche et développement et la température de l’eau de la piscine d’entreposage relèvent du secret des procédés ».
Une atteinte à la sécurité publique également en raison du caractère névralgique des équipements
Sur les occultations, le Conseil d’État relève que dans le dossier d’options de sûreté qu’elle a communiqué à l’association, EDF a occulté, d’une part, au 3.4.3.1 « Refroidissement de l’eau du bassin », l’implantation des « échangeurs immergés » qui « assurent le refroidissement de l’eau du bassin par échange avec l’eau de refroidissement du circuit secondaire », ainsi que la « Figure 17 : implantation des systèmes de refroidissement » et, d’autre part, les informations relatives au mécanisme d’apport d’eau figurant au 3.4.3.3 « Maintien du niveau d’eau ». EDF fait valoir, sans être sérieusement contredite, que la divulgation de l’emplacement exact de ces équipements, strictement nécessaires au bon fonctionnement de la piscine, serait de nature à générer un risque accru d’actes de malveillance.
Pour la haute juridiction, « eu égard au caractère névralgique de ces équipements pour la sûreté de l’installation et pour la protection du public, la divulgation de ces informations porterait atteinte à la sécurité publique ». L’intérêt d’une communication n’est dès lors pas suffisant en l’espèce pour justifier qu’un tel risque puisse être pris. Par suite, RSN n’est pas fondée à demander l’annulation du refus d’EDF de lui communiquer les passages en litige.
© Lefebvre Dalloz