Ordonnance sur requête et délais de grâce en matière de droit de la consommation

Dans un arrêt rendu le 8 février 2024, la deuxième chambre civile opère quelques rappels autour de l’ordonnance sur requête au sujet du mode de saisine du juge statuant sur les délais de grâce demandés par le débiteur mais également concernant le formalisme applicable pour préserver le caractère exécutoire de l’ordonnance rendue.

Le carrefour entre le droit de la consommation et la procédure civile peut être, à bien des titres, aussi dangereux que subtil. Les questions procédurales en la matière sont, en effet, nombreuses tant sur l’office du juge que sur les règles suivies devant ce dernier (v. par ex., Civ. 2e, 8 juin 2023, n° 20-21.625 F-B, Dalloz actualité, 14 juin 2023, obs. C. Hélaine). En témoigne un nouvel arrêt rendu le 8 février 2024 par la deuxième chambre civile lequel est promis aux honneurs du Bulletin et aux très sélectives Lettres de chambre. Il intéresse les délais de grâce servant assez régulièrement d’antichambre aux mesures de surendettement (v. en ce sens, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2024, p. 254, n° 175).

Rappelons brièvement les faits à l’origine du pourvoi. Une personne physique souscrit auprès d’un établissement bancaire un crédit immobilier le 2 juillet 2007. Par ordonnance sur requête du 4 février 2014, les obligations du débiteur sont suspendues pour deux ans en application de l’article L. 313-12 du code de la consommation ancien (désormais le nouv. art. L. 314-20 du même code). Durant ce délai, les sommes du crédit ne produisaient plus d’intérêts. Le 24 août 2015, la banque prononce la déchéance du terme. Le 10 novembre 2015 puis le 10 décembre suivant, divers actes d’exécution forcée sont réalisés sur les biens de l’emprunteur. Le débiteur décide, dans ce contexte, d’assigner son créancier et l’huissier de justice ayant procédé aux saisies devant le tribunal de grande instance.

Par jugement du 9 mars 2018, il est décidé que l’ordonnance du 4 février 2014 était exécutoire et opposable à la banque. Celle-ci ne pouvait pas prononcer la déchéance du terme selon le jugement. L’emprunteur est ainsi condamné à payer une certaine somme, au titre du capital restant dû et aux intérêts, à partir de la validité de la déchéance du terme au 8 février 2016. Un appel est interjeté. La Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion décide que le juge du tribunal d’instance pouvait être saisi par requête afin de suspendre les obligations du débiteur et donc que celui-ci n’avait pas à être nécessairement saisi par assignation. Elle déclare l’ordonnance exécutoire et opposable à la banque en jugeant que ladite ordonnance avait un caractère exécutoire résultant de la délivrance de la minute reçue par lettre recommandée du 19 août 2014.

Mécontente de cette décision, la banque se pourvoit en cassation. Elle articule essentiellement deux moyens : le premier sur la saisine du juge, le second sur le caractère opposable de l’ordonnance sur requête. L’arrêt du 8 février 2024 aboutit à une cassation seulement sur ce dernier moyen, l’autre n’étant pas fondé pour la deuxième chambre civile. Nous allons examiner pourquoi.

Mode de saisine du juge et ordonnance sur requête

L’affaire n’étant pas récente, on retrouve l’ancien article L. 313-12 du code de la consommation prévoyant la compétence du juge du tribunal d’instance et « les articles 1244-1 à 1244-3 du code civil ». Désormais, le nouvel article L. 314-20 prévoit la compétence du juge des contentieux de la protection concernant l’article 1343-5 lequel a fusionné en une disposition les articles 1244-1 à 1244-3 à l’occasion de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (v. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2éd., Dalloz, 2018, p. 874 s., nos 972 s.). La banque qui s’est pourvue en cassation reprochait de ne pas avoir été mise en cause par le demandeur au délai de grâce, une telle décision ne pouvant qu’être, selon elle, rendue qu’à l’issue d’un débat contradictoire.

C’est ici où les choses se compliquent. Pour aboutir à l’idée selon laquelle ce moyen n’est pas fondé, il faut en revenir à l’article 493 du code de procédure civile selon lequel l’ordonnance sur requête est une décision « rendue non contradictoirement » (pt n° 11 de l’arrêt). En ce sens, l’argumentation du plaideur était condamnée dans la mesure où le juge du tribunal d’instance pouvait être saisi par voie de requête pour les délais de grâce de l’article 1244-1 ancien du code civil. Par conséquent, une assignation n’était pas nécessaire dans cette optique. La solution paraît, par ailleurs, aisément transposable aux nouveaux textes puisque le nouvel article 845 du code de procédure civile, reprenant l’article 851 ancien prévoit que le juge des contentieux de la protection « est saisi par requête dans les cas spécifiés par la loi ». Il y a là une certaine « éviction temporaire de la contradiction » dont parlent certains auteurs spécialistes du droit judiciaire privé en raison de l’intérêt de ce type de procédure (C. Chainais, L. Mayer, F. Ferrand et S. Guinchard, Procédure civile – Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage, 36e éd., Dalloz, 2022, p. 1531, n° 1970).

La cassation n’était donc pas ouverte puisque la cour d’appel avait considéré que le juge du tribunal d’instance avait été saisi par voie de requête afin de suspendre les obligations du débiteur à l’origine de l’acte introductif. Sans nécessité de procéder par voie d’assignation, la procédure était donc parfaitement valable. Il faut probablement louer cette souplesse procédurale qui permet de confirmer le rôle que peuvent avoir les mesures de grâce par rapport au droit du surendettement dont l’architecture est beaucoup plus lourde (J.-D. Pellier, op. cit., p. 254, n° 175, note 1 citant G. Raymond et S. Bernheim-Desvaux sur l’alternative entre mesures de grâce et droit du surendettement).

Cette souplesse rencontre toutefois un formalisme qui doit être respecté.

Du caractère opposable de l’ordonnance sur requête

Le troisième moyen présente une argumentation qui, quant à elle, aboutira à la cassation de l’arrêt attaqué. Le demandeur au pourvoi affirmait que l’article 495, alinéa 3, du code de procédure civile soumet le caractère opposable de l’ordonnance sur requête à certaines conditions, notamment de laisser à la disposition de la partie adverse une copie de la requête. Or, la cour d’appel, n’avait pas recherché si la banque avait bien reçu cette copie. Elle retenait, en effet, dans son arrêt que le caractère exécutoire devait résulter de la délivrance de la minute. Or, deux éléments cumulatifs sont exigés par l’article 495 du code de procédure civile pour le caractère opposable : la requête initiale et l’ordonnance, qui est certes en réalité le même document mais sur lequel est rajoutée la motivation à son pied. La copie de la minute ne peut donc pas être suffisante puisqu’il manque alors la requête initiale. 

Il y a ici évidemment seulement l’ouverture d’une cassation pour défaut de base légale et non d’une violation de la loi (pt n° 18 de l’arrêt). Cette orientation permet de parfaitement donner à l’article 495 ses pleins effets rappelant que « le maintien d’un certain formalisme » est assuré pour l’ordonnance sur requête (C. Chainais, L. Mayer, F. Ferrand et S. Guinchard, op. cit., p. 1536, n° 1975). Le pli du 19 août 2014 englobait peut-être la requête concernée en plus de la minute de l’ordonnance sur requête. La cour d’appel de renvoi devra simplement le vérifier pour adopter la même solution que l’arrêt frappé du pourvoi. L’argumentation du demandeur à la cassation semble partir du postulat qu’il n’a pas reçu copie de ce document initial. Si tel est le cas, le caractère opposable de l’ordonnance sur requête sera perdu purement et simplement. Comme le note le moyen (pt n° 15), une telle copie permet en effet d’apprécier les droits en présence et notamment l’exercice d’une éventuelle voie de recours en rétractation.

Par conséquent, la souplesse procédurale notée dans la première partie de l’analyse rencontre l’exigence du formalisme, altéré mais existant, de l’ordonnance sur requête. En somme, peu de choses sont exigées mais encore faut-il en respecter la teneur. L’ensemble permet à l’arrêt du 8 février 2024 d’aboutir à des rappels très utiles pour une pratique qui apprécie l’efficacité de ces actes juridictionnels particuliers.

 

Civ. 2e, 8 févr. 2024, F-B, n° 21-21.719

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