Orientation à bref délai et neutralisation du délai 908 : passé, présent et avenir
Ajoute à la loi une condition qu’elle ne comporte pas la cour d’appel qui subordonne le défaut d’application de l’article 908 du code de procédure civile, dans une procédure fixée selon les dispositions de l’article 905 du même code, à la condition que la fixation de l’affaire à bref délai intervienne dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.
En cause d’appel, l’orientation en circuit court est loin d’être indifférente. C’était vrai avant l’entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 ; c’est encore vrai aujourd’hui ; ce le sera encore au lendemain de l’entrée en vigueur du décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023. Le présent arrêt a le mérite de le rappeler tout en apportant d’importantes précisions.
Le 9 février 2017, appel d’un jugement prud’homal est relevé. L’appelant notifie ses conclusions à l’intimé le 14 septembre 2017. Le 12 octobre 2017, le président de chambre fixe un calendrier de procédure au visa de l’article 905 du code de procédure civile. Cependant, par ordonnance du 10 septembre 2018, il annule ce calendrier et désigne un conseiller de la mise en état au visa de l’article 907 du code de procédure civile. En somme, il réoriente finalement le dossier en circuit long. Le conseiller de la mise en état déclare l’appel caduc sur le fondement de l’article 908 du code de procédure civile. Sur déféré, l’ordonnance est confirmée par la cour d’appel dont l’arrêt sera néanmoins cassé par la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 19-18.884).
L’appelant saisit la cour d’appel de renvoi. Par arrêt avant dire droit du 9 juin 2021, la cour d’appel saisie au fond, soulevant d’office la question de la caducité de la déclaration d’appel, invite les parties à formuler leurs observations. La caducité de la déclaration d’appel est finalement prononcée par arrêt du 20 janvier 2022.
L’arrêt retient que l’orientation en circuit court postérieure à l’expiration du délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel prévu par l’article 908 du code de procédure civile n’évince pas l’application de ce dernier. Autrement dit, il faudrait que l’orientation en circuit court intervienne dans le délai 908 pour exclure tout à fait l’application dudit article 908. En l’occurrence, ce ne fut pas le cas et les premières conclusions au fond furent déposées au-delà du délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel, justifiant la caducité. L’appelant se pourvoit en cassation.
Selon le requérant, ajoute à la loi la cour d’appel qui considère que l’éviction de l’article 908 du code de procédure civile est subordonnée à une orientation en bref délai devant intervenir dans le délai prévu par ledit article 908.
Le moyen fait mouche. Au visa des articles 905, 907 et 908 du code de procédure civile pris en leur rédaction applicable, i.e. antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, et après évocation d’un précédent avis de la Cour de cassation (Cass., avis, 3 juin 2013, n° 13-70.004, D. 2013. 1631
), la deuxième chambre civile estime qu’ajoute effectivement à la loi une condition qu’elle ne comporte pas la cour d’appel qui subordonne « l’absence d’application de l’article 908 du code de procédure civile, dans une procédure fixée selon les dispositions de l’article 905 du même code, à la condition que la fixation de l’affaire à bref délai intervienne dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel » (§ 11).
La cassation intervient sans renvoi sur le fondement de l’article L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire. Statuant au fond, la deuxième chambre civile juge que la déclaration d’appel n’est pas caduque. Non sans paradoxe, la Cour de cassation dit n’y avoir lieu à renvoi… mais que l’affaire se poursuivra au fond devant la cour d’appel. Comprendre : il n’y a pas lieu à renvoi sur la question de la caducité de la déclaration d’appel, irrévocablement jugée ; en revanche, il y a matière à « renvoi » sur le fond, qui reste à juger. Ce panachage du dispositif est opportun à ceci près qu’on peine à identifier de quelle façon devra être saisie la cour d’appel à défaut de renvoi (conclusions de reprise d’instance ? ou bien reprise de l’instance « comme si de rien n’était » via de nouvelles conclusions au fond après une demande de rétablissement ?).
Quoi qu’il en soit, la deuxième chambre civile livre une solution digne d’approbation. Pour apprécier pleinement cette solution, son opportunité et sa pérennité, il faut contempler le passé (avant le décret du 6 mai 2017), le présent (après ledit décret mais avant l’entrée en vigueur du décret du 29 déc. 2023) et l’avenir (après l’entrée en vigueur du décret du 29 déc. 2023).
Passé
Avant le décret du 6 mai 2017, il existait déjà un circuit court (sans mise en état) et un circuit long (avec mise en état). En revanche, le circuit court n’était pas pourvu de ses propres délais couperets : il appartenait au président de chambre de décider, d’abord, de l’orientation de l’affaire à bref délai et de déterminer, ensuite, un calendrier de procédure cohérent avec la fixation prioritaire de l’affaire. En certains cas, l’orientation en circuit court était rapidement actée, de sorte que ne se posait pas vraiment la question de savoir si l’appelant devait respecter les délais déterminés aux articles 908 à 911 du code de procédure civile. Mais en d’autres cas, l’orientation en circuit court pouvait tarder et n’intervenir qu’après trois mois suivant la déclaration d’appel. En pareil cas, l’appelant pouvait se trouver embarrassé : l’article 908 du code de procédure civile avait-il vocation à s’appliquer, ensemble la sanction de caducité y fulminée ?
Le 16 mai 2013, la Cour de cassation a apporté une première précision fondamentale, qui était attendue : « les dispositions de l’article 908 du code de procédure civile n’ont pas vocation à s’appliquer aux procédures fixées en application de l’article 905 s’agissant de l’appel d’une ordonnance de référé » (Civ. 2e, 16 mai 2013, n° 12-19.119, Dalloz actualité, 7 juin 2013, obs. M. Kébir ; D. 2014. 795, obs. N. Fricero
). Un avis du 3 juin 2013 abonda dans le même sens, en généralisant le propos : « les dispositions des articles 908 à 911 du code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures fixées selon les dispositions de l’article 905 du même code » (Cass., avis, 3 juin 2013, n° 13-70.004, préc. ; rappr., Civ. 2e, 19 mars 2015, n° 14-12.933, D. 2016. 449, obs. N. Fricero
). D’un côté, la précision était rassurante, en tant qu’elle indiquait qu’en cas d’orientation à bref délai, les délais couperets propres au circuit long ne trouvaient pas application. D’un autre côté, demeurait la question de savoir comment se comporter concrètement dans l’attente d’une orientation à bref délai, laquelle pouvait intervenir postérieurement à l’expiration du délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.
La jurisprudence a bien apporté d’autres précisions. Par exemple, les dispositions des articles 908 à 911 du code de procédure civile sont applicables dès lors que l’appel a été instruit conformément à l’article 907 du même code, i.e. faute d’orientation en circuit court (Civ. 2e, 21 janv. 2016, n° 14-28.985, Dalloz actualité, 12 févr. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 263
; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati
; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero
; Com. 15 nov. 2016, n° 14-22.784, D. 2017. 422, obs. N. Fricero
), ce qui est parfaitement rationnel. En contrepoint, en cas de bref délai de droit (à l’instar de l’appel d’une ordonnance de référé), le défaut d’ordonnance de fixation à bref délai est indifférent à la neutralisation des dispositions des articles 908 à 911 du code de procédure civile, qui reste acquise (Civ. 2e, 12 avr. 2018, n° 17-10.105, Dalloz actualité, 16 mai 2018, obs. R. Laffly ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero
; AJ fam. 2018. 498, obs. M. Jean
; rappr., Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-18.121, Dalloz actualité, 31 janv. 2022, obs. C. Lhermitte). Par ailleurs, la Cour de cassation a précisé – sur une question tout à fait proche – que les dispositions de l’article 902 du code de procédure civile n’ont pas vocation à s’appliquer aux procédures fixées en application de l’article 905 du même code (Civ. 2e, 2 juin 2016, n° 15-18.596, Dalloz actualité, 23 juin 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 1262
).
Malgré toutes ces précisions, une hésitation pouvait demeurer au cas d’une orientation à bref délai postérieure à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel, spécifiquement en cas de bref délai facultatif.
Au moyen du présent arrêt, la deuxième chambre civile vient lever cette hésitation : le délai 908 est neutralisé en tous les cas. En visant l’avis du 3 juin 2013, la deuxième chambre civile montre non seulement la continuité de sa jurisprudence mais aussi et surtout que la solution s’y trouvait déjà en germe : en 2013, la Cour de cassation a généralement affirmé que les dispositions des articles 908 à 911 du code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures fixées selon les dispositions de l’article 905 du même code. À cette occasion, elle n’a pas distingué selon le moment de l’orientation en circuit court. Là où la jurisprudence ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer. En conséquence, ajoute bien à la loi une condition qu’elle ne comporte pas la cour d’appel qui subordonne « l’absence d’application de l’article 908 du code de procédure civile, dans une procédure fixée selon les dispositions de l’article 905 du même code, à la condition que la fixation de l’affaire à bref délai intervienne dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel » (§ 11).
Techniquement, la solution est possiblement discutable en cas de bref délai facultatif, l’orientation tardive en bref délai semblant étrangement purger une caducité a priori acquise. Mais au-delà de la technique, on ne peut que se satisfaire de cette décision favorable à l’accès au juge d’appel. Surtout, il est constant que l’orientation en circuit court s’est avérée terriblement tardive, quand bien même elle était facultative au présent cas : appel est relevé le 9 février 2017… et ce n’est que le 12 octobre 2017 que l’orientation en circuit court est enfin actée. Partant, de deux choses l’une : soit c’est l’appelant qui subit cette inertie ou lenteur de la justice – et l’insécurité juridique associée – en encourant une caducité de sa déclaration d’appel ; soit il y échappe en tant qu’il n’en est pas responsable, et ce quand bien même il n’a pas droit au bref délai en l’occurrence. La deuxième chambre civile s’engage sobrement dans cette seconde voie et épargne donc l’appelant par un arrêt qui n’est pas sans rappeler la suite d’arrêts relatifs à la péremption d’instance en cause d’appel (Civ. 2e, 7 mars 2024, n° 21-19.475, n° 21-19.761, n° 21-20.719 et n° 21-23.230, Dalloz actualité, 20 mars 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 860
, note M. Plissonnier
; AJ fam. 2024. 183, obs. F. Eudier
; RDT 2024. 277, chron. S. Mraouahi
; RCJPP 2024. 29, obs. O. Salati
).
La question est à présent de savoir si l’apport de cet arrêt est transposable en droit positif.
Présent
Deux circuits existent toujours en droit positif, l’un court (brefs délais), l’autre long (avec mise en état). La différence est cependant que le circuit court a été doté par le décret du 6 mai 2017 de ses propres délais couperets (C. pr. civ., art. 905-2). De sorte qu’en un sens, l’exclusion des articles 908 à 910 du code de procédure civile en cas d’orientation en circuit court n’a jamais fait aucun doute ensuite du décret de 2017 : en circuit long, il convient de respecter les délais figurant aux articles 908 à 910 du code de procédure civile (3 mois pour chacun) ensemble l’article 911 s’agissant des notifications entre parties ; en circuit court, il convient de respecter les délais figurant à l’article 905-2 du même code (1 mois pour chacun) ensemble l’article 911 qui couvre aujourd’hui le circuit court s’agissant des notifications entre parties. Quant à la notification de la déclaration d’appel, si l’article 902 est classiquement écarté en circuit court, le bien connu article 905-1 prend désormais le relais en imposant une signification dans les dix jours de la réception de l’avis de fixation.
Aujourd’hui, il nous semble que la configuration rencontrée dans la présente espèce est insusceptible d’exister en pratique : il est douteux qu’un avis de fixation soit adressé aux parties dans un délai excédant les trois mois de la déclaration d’appel. De sorte que la question – la neutralisation de l’article 908 du code de procédure civile au cas d’une orientation à bref délai décidée après un délai de trois mois suivant la déclaration d’appel – ne devrait plus se poser en pratique.
Quoi qu’il en soit, si la question devait se poser, elle serait résolue de la même façon qu’en droit antérieur. En cas de brefs délais de droit, c’est l’article 905-2 du code de procédure civile qui trouve automatiquement à s’appliquer et son délai d’un mois pour conclure à compter de la réception de l’avis de fixation (v. en ce sens, Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-18.121, Dalloz actualité, 31 janv. 2022, obs. C. Lhermitte), rien n’empêchant de conclure avant la réception de cet avis. L’application de l’article 908 n’est pas envisageable.
En cas de brefs délais facultatif, si une orientation en circuit court est décidée à un moment ou un autre, l’article 908 du code de procédure civile est pareillement neutralisé pour faire place à l’application de l’article 905-2 du même code et son délai d’un mois à compter de l’avis de fixation. On ne voit pas ce qui, en droit positif, remettrait en cause la solution présentement livrée par la deuxième chambre civile, quand bien même elle est formellement énoncée en contemplation du droit antérieur au décret du 6 mai 2017. De même, on ne voit pas ce qui la remettrait en question au 1er septembre 2024.
Avenir
Nul n’ignore qu’au 1er septembre 2024 entrera en vigueur la réforme de la procédure d’appel opérée par le décret du 29 décembre 2023. Ce décret a substantiellement reconfiguré les circuits de l’appel (sur lequel, v. M. Barba et R. Laffly, « Simplification » de la procédure d’appel, Dalloz actualité, 1er févr. 2024 ; J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : l’influence du décret du 29 décembre 2023 sur l’exercice des voies de recours, Dalloz actualité, 12 janv. 2024 ; K. Leclère-Vue et L. Veyre, Réforme de la procédure d’appel en matière civile : explication de texte, D. 2024. 362
; N. Gerbay, Le décret n° 2023-1393 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile : nouveautés et points de vigilance, Procédures 2/2024. Étude 1 ; F. Loyseau de Grandmaison, Décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 : premiers regards sur une simplification immobile de la procédure d’appel, Gaz. Pal. 9 janv. 2024, p. 13 ; C. Bléry et N. Reichling, Quelle réforme de la procédure d’appel ?, Gaz. Pal. 16 avr. 2024, p. 38 ; C. Lhermitte, Réforme de la procédure d’appel : vous vouliez de la simplification ? Vous aurez de la lisibilité, Lexbase Droit privé, 11 janv. 2024 ; F.-X. Berger, Réforme de la procédure d’appel : une voie pavée de bonnes intentions, RLDC, 1er mai 2024, p. 24 ; L. Mayer, L. Veyre et L. Larribère, Chronique de droit judiciaire privé, JCP 2024. Doctr. 673).
En particulier, il a, d’une part, pourvu la procédure à brefs délais d’une mise en état imposée, de sorte qu’on ne pourra plus opposer la procédure sans mise en état (circuit court) et la procédure avec mise en état (circuit long). D’autre part, le décret a procédé à un allongement des délais pour conclure (portés à 2 mois), venant relativiser la notion de brefs délais (C. pr. civ., art. 906-2 au 1er sept. 2024). Le délai pour signifier la déclaration d’appel a également été allongé (à 20 jours ; C. pr. civ., art. 906-1 au 1er sept. 2024) et une possibilité de passerelle a été ajoutée (C. pr. civ., art. 906-4, al. 2, au 1er sept. 2024).
Pour ce qui nous intéresse, aucune disposition ne remet en cause la solution présentement énoncée par la Cour de cassation. Dès lors qu’un bref délai est de droit – et à cet égard on rappellera qu’aux cas classiques sont venus s’ajouter l’appel d’un jugement partiel et l’appel d’une ordonnance de protection (C. pr. civ., art. 906 au 1er sept. 2024) –, les délais prévus aux articles 908 à 910 du code de procédure civile sont automatiquement neutralisés au bénéfice de ceux prévus à l’article 906-2 du même code. Et en cas d’orientation facultative en circuit court, la solution devrait être identique : seuls importent les délais prévus à l’article 906-2 du code de procédure civile, qui courent à compter de la réception de l’avis de fixation, même si rien n’empêche de conclure avant. À défaut d’orientation en circuit court, les délais du circuit long s’imposent logiquement.
En pratique, en dehors du cas d’un bref délai de droit, si l’avis de fixation tarde et qu’un doute naît dans l’esprit de l’appelant, il faut conclure à titre conservatoire dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel : si une orientation en circuit court est finalement actée, les conclusions auront déjà été déposées efficacement ; si aucune orientation en circuit court n’est décidée, les conclusions auront identiquement été déposées efficacement au regard de l’article 908. On rappellera par ailleurs que s’agissant des notifications de conclusions entre parties, c’est désormais l’article 906-2 du code de procédure civile qui prendra en charge la question (de façon classique) en circuit court, cependant que l’article 911 continuera de la régler (de façon aussi classique) en circuit long.
En définitive, la deuxième chambre civile livre là une solution opportune au regard du droit antérieur et qui ne manque pas d’éclairer le droit positif et le droit futur. Il est permis de s’en réjouir.
Civ. 2e, 13 juin 2024, F-B, n° 22-13.648
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