Pacte de préférence sans durée et engagements perpétuels
Dans un arrêt rendu le 25 septembre 2024, la première chambre civile rappelle qu’un engagement perpétuel – comme un pacte de préférence sans durée – n’est pas sanctionné par la nullité, chaque cocontractant pouvant y mettre fin à tout moment, sous réserve d’un préavis contractuel ou, à défaut, d’un délai raisonnable.
La notion d’engagement perpétuel est rarement au cœur de décisions publiées au Bulletin. Le 25 janvier 2023, la première chambre civile avait pu rendre un arrêt selon lequel la prohibition de ce type d’engagement n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie d’une société, de sorte que toutes les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement (Civ. 1re, 25 janv. 2023, n° 19-25.478, Dalloz actualité, 9 févr. 2023, obs. R. Libchaber ; D. 2023. 370
, note C. Barrillon
; ibid. 1922, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau
; ibid. 2060, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier
; AJ fam. 2023. 296, obs. N. Levillain
; Rev. sociétés 2023. 292, note B. Fages
; RTD civ. 2023. 358, obs. H. Barbier
; RTD com. 2023. 375, obs. A. Lecourt
; ibid. 378, obs. A. Lecourt
). Aujourd’hui, nous retrouvons une décision publiée le 25 septembre 2024 qui permet de déterminer comment appréhender un pacte de préférence conclu sans durée. La réponse donnée ne manquera pas d’intéresser la pratique tant plusieurs orientations sont possibles en l’état du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
Commençons par rappeler les faits brièvement. Le 19 juillet 1990, une personne physique consent un pacte de préférence à un couple. La particularité du contrat est qu’il ne comporte aucune borne temporelle enfermant le droit de préférence ainsi conféré sur une propriété. Le 16 mai 2011, le propriétaire du bien souhaite vendre celui-ci à une tierce personne. Il adresse donc une lettre aux bénéficiaires du pacte de préférence afin qu’ils prennent position dans un délai de trois mois. Le 3 juillet suivant, ces derniers indiquent qu’ils exerceront leur droit de préférence. Voici que le propriétaire ne souhaite toutefois pas signer l’acte authentique de vente le 13 septembre 2011. Deux sommations à comparaître chez le notaire sont diligentées par le soin des bénéficiaires du pacte de préférence, sans succès. Le propriétaire décède en laissant à sa survivance son légataire universel qui se révèle également être la personne voulant acquérir le bien en mai 2011. Les bénéficiaires assignent le légataire afin de voir prononcer la vente judiciaire et forcée du bien. En cause d’appel, les juges du fond considèrent que les bénéficiaires ont exercé leur droit de préférence en exécution du contrat conclu plus de trente ans auparavant le 19 juillet 1990. La cour d’appel saisie considérait, en effet, que le pacte de préférence ne pouvait pas être concerné par la prohibition des engagements perpétuels. Le légataire universel, devenu propriétaire du bien objet du pacte, se pourvoit en cassation en voyant dans ce raisonnement une erreur de droit. À défaut, il estime qu’un défaut de base légale est constitué dans la mesure où les juges du fond n’ont pas étudié si l’absence de terme ne signait pas une durée excessive.
L’arrêt du 25 septembre 2024 doit sa publication au Bulletin probablement en raison de sa forte résonance pratique. Il existe très certainement, en effet, un certain nombre de pactes de préférence conclus sans durée. Étudions pourquoi la solution dessinée par la première chambre civile ne devrait guère étonner.
Quelques clarifications sur les engagements perpétuels
Commençons par rappeler que le contrat conclu était daté du 19 juillet 1990, soit il y a plus de trente-quatre ans. Il était donc évidemment régi par le droit antérieur au 1er octobre 2016, date d’application de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Désormais, l’article 1210 nouveau du code civil clarifie la question des engagements perpétuels en précisant que chaque partie peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. L’arrêt du 25 septembre 2024 indique de manière fort affirmative que « les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable » (pt n° 6, nous soulignons). La première chambre civile reprend ainsi, sans la mentionner expressément, une solution de septembre 2022 rendue par la chambre commerciale (Com. 21 sept. 2022, n° 20-16.994 F-B, Dalloz actualité, 13 oct. 2022, obs. P. Gaiardo ; D. 2022. 1700
; ibid. 2023. 1922, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau
; Rev. sociétés 2023. 23, note G. Pillet
; RTD civ. 2022. 879, obs. H. Barbier
; ibid. 2023. 92, obs. H. Barbier
; ibid. 120, obs. P.-Y. Gautier
; RTD com. 2023. 151, obs. A. Lecourt
; ibid. 154, obs. A. Lecourt
).
La position du droit antérieur était, pourtant, bien plus ambigüe puisque la jurisprudence hésitait assez fortement entre la nullité du contrat, celle de la clause considérée ou, tout simplement avec une requalification de l’engagement perpétuel en contrat à durée indéterminée comme le rappellent les professeurs Terré, Simler, Lequette et Chénedé (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, Dalloz, coll. « Précis », p. 759, n° 660). Les Professeurs Chantepie et Latina notent également à ce titre que « la jurisprudence usait d’une grande variété dans le choix des sanctions » (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 3e éd., Dalloz, 2024, p. 621, n° 580). La formulation de la solution étudiée peut donc légèrement étonner. Elle ne distingue pas, en effet, le droit ancien du droit nouveau en utilisant le présent de l’indicatif, marque d’une certaine généralité. La première chambre civile souhaite, probablement, ainsi clarifier la position ambigüe du droit ancien. Mais n’aurait-il pas fallu, au préalable, expliquer que quelques doutes subsistaient avant la réforme ayant conduit à clarifier l’ensemble au sein du nouvel article 1210 du code civil ? La question peut au moins se poser. Une référence à l’arrêt du 21 septembre 2022 aurait pu certainement éclairer le lecteur dans cette optique.
Quoi qu’il en soit, cette reprise de la solution de septembre 2022 venant unifier la sanction des engagements perpétuels en droit ancien est nécessairement la bienvenue. Le contexte d’une incertitude sur les sanctions applicables à ce type de contrat était un vecteur d’insécurité juridique. L’arrêt commenté aurait toutefois, sans doute, gagné à être rédigé sous une forme davantage enrichie pour expliquer la grande variété des sanctions et l’unification initiée par la Cour de cassation il y a maintenant plusieurs années en droit ancien. L’avantage le plus important de l’orientation ainsi renouvelée réside probablement dans la continuité des solutions entre le droit ancien et le droit nouveau. Ceci peut ressembler à la méthodologie suivie par la cour par exemple sur certains pans du droit des sûretés (v. par ex., nos obs. critiques sur Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-22.866 FS-B, Dalloz actualité, 2 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1842
, note C. Guillard
; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; ibid. 1828, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; Rev. prat. rec. 2022. 23, chron. O. Salati
; RTD civ. 2022. 678, obs. C. Gijsbers
).
Tirons maintenant les conséquences de cette absence de nullité de l’engagement perpétuel. Le pacte de préférence sans durée pouvant être résilié à tout moment par chacune des parties, sa temporalité peut s’étirer de manière fort importante.
Des dangers de l’absence de durée du pacte de préférence
On peut lire dans l’arrêt étudié « qu’en l’absence de résiliation du pacte de préférence, M. et Mme [U] pouvaient exercer leur droit de préférence » (pt n° 7, nous soulignons). La solution ne peut pas étonner puisqu’il s’agit de la simple conséquence de l’absence d’annulation de l’engagement perpétuel. Dans le cas d’espèce, le pacte conclu sans durée n’avait pas été résilié et, au contraire, celui-ci avait été parfaitement — au moins dans un premier temps — respecté par le propriétaire du bien qui avait proposé préférentiellement la vente aux époux, défendeurs à la cassation, bénéficiaires dudit pacte. Ce n’est que postérieurement, lors du rendez-vous de signature de l’acte authentique, que la situation s’est crispée. En ce sens, les professeurs Flour, Aubert et Savaux avaient envisagé une hypothèse proche de la solution du 25 septembre 2024 pour résoudre la difficulté de l’absence de stipulation d’un délai dans un pacte de préférence en regrettant toutefois que le législateur n’ait pas réglé la question (J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil – Les obligations – t. 1 : l’acte juridique, 18e éd., Dalloz, coll. « Université », 2024, p. 358, n° 284). Ainsi, l’engagement perpétuel laissait toute latitude à chacune des parties de provoquer sa terminaison dans un délai raisonnable faute de délai de préavis contractuel. Or, aucune des parties n’ayant résilié la convention, la priorité continuait de produire ses effets jusqu’à la vente projetée en 2011.
Il convient d’observer la substitution de motifs opérée par la première chambre civile pour sauver l’arrêt frappé du pourvoi de la cassation. Les juges du fond avaient, en effet, considéré que les pactes de préférence échappaient à la prohibition des engagements perpétuels. Aucune règle de droit ne permet, pourtant, d’aboutir directement à cette solution. La difficulté n’est toutefois pas dirimante car la Cour de cassation pouvait parfaitement glisser le motif de pur droit tiré de la possibilité de libre résiliation d’un engagement perpétuel à la place de cette confusion.
Cette espèce démontre probablement à quel point l’absence de durée de la préférence peut être dangereuse pour celui qui s’engage à proposer par priorité le bien à son cocontractant. À défaut de durée, la préférence doit pouvoir continuer à produire ses effets puisque chaque partie est libre de tout simplement résilier le contrat en respectant un préavis contractuellement prévu – qui n’existe sans doute pas dans de nombreux contrats concernés – soit en respectant un délai « raisonnable ». Le recours à une certaine forme d’ingénierie contractuelle doit par conséquent être privilégiée. Il nous semble bien dangereux, de nos jours, de prévoir un pacte de préférence sans durée à moins d’être absolument certain que la concorde continue de régler entre les parties même des décennies plus tard. Les conseils assistant les parties doivent, dès lors, toujours informer leurs clients des conséquences d’une préférence octroyée sans insérer de durée précise. La préférence donnée il y a vingt ans peut se révéler fort déplaisante au moment d’un dénouement lointain par rapport à sa conclusion. L’article 1585 de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, mené par la commission présidée par le professeur Stoffel-Munck, vient distinguer utilement le pacte conclu à durée déterminée de celui conclu à durée indéterminée et soumis alors au droit commun de ce type de contrat.
Voici un arrêt passionnant sur l’engagement perpétuel. Sans durée contractuellement prévue, le pacte de préférence peut toujours être résilié par l’une des parties sous réserve de respecter le préavis prévu par le contrat ou, du moins, un délai raisonnable. Dont acte, il ne reste plus alors qu’à insister sur l’importance de la prévision d’une durée du pacte, garante d’une prévision contractuelle plus aiguisée pour les parties. À défaut, la priorité continue de produire ses effets même des décennies plus tard.
Civ. 1re, 25 sept. 2024, F-B, n° 23-14.777
© Lefebvre Dalloz