Pacte Dutreil : précisions sur la condition liée à l’exercice d’une fonction de direction
En cas d’engagement collectif réputé acquis, l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, des parts ou actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs, prévu à l’article 787 B du code général des impôts, ne s’applique que lorsque, pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, l’un des héritiers, donataires ou légataires exerce effectivement dans la société son activité professionnelle principale, si celle-ci est une société de personnes, ou l’une des fonctions de direction éligibles, lorsque celle-ci est soumise à l’impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option.
Il est question, dans cet arrêt de rejet, d’une donation d’entreprise dans un cadre familial, de prime abord éligible au dispositif du « Pacte Dutreil ». Pour mémoire, l’article 787 B du code général des impôts exonère, sous conditions, de droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % de leur valeur, les parts ou actions d’une société ayant une activité industrielle commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises entre vifs ou par décès. Parmi les conditions exigées figurent cumulativement : la conclusion par au moins deux des associés de la société, dont le donateur ou le défunt, d’un engagement collectif de conservation d’une durée minimale de deux ans pris par le défunt ou le donateur, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d’autres associés et qui devra être toujours en cours au moment de la transmission ; l’exercice d’une fonction de direction au sein de la société pendant la durée de l’engagement collectif de conservation et pendant les trois ans qui suivent la date de la transmission.
Dans l’affaire jugée, par une déclaration de don manuel à titre de partage anticipé du 17 juin 2011, enregistrée le 30 juin suivant par le service des impôts, une personne, qui détenait seule, depuis au moins deux ans, 34 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres de la société anonyme S, et exerçait, depuis plus de deux ans, les fonctions de président du conseil de surveillance de cette société, a fait donation de 204 actions de ladite société à chacun de ses deux enfants, ladite déclaration précisant que les 408 actions en cause étaient éligibles au dispositif d’exonération prévu par l’article 787 B du code général des impôts. Par une proposition de rectification du 16 décembre 2016, l’administration fiscale a remis en cause cette exonération partielle. Après rejet des observations de l’un des deux enfants donataires, elle a, le 17 avril 2017, émis un avis de mise en recouvrement des droits éludés et des intérêts de retard. Par réclamation du 20 juillet 2017, le même donataire a sollicité le dégrèvement des sommes réclamées, puis a assigné l’administration fiscale aux mêmes fins. En vain, tant les premiers juges que les juges d’appel (la Cour d’appel de Bordeaux) ayant considéré que la donation litigieuse ne pouvait pas bénéficier de l’exonération partielle de droits de mutation prévue à l’article 787 B du code général des impôts, de sorte que l’administration fiscale était en droit de procéder au rappel des sommes éludées, pour un montant de 595 814 €, et de rejeter les demandes du donataire.
Ce dernier forme alors un pourvoi en cassation, qui est également rejeté. C’est ici la condition liée à l’exercice d’une fonction de direction au sein de la société objet de la libéralité qui était contestée par l’administration fiscale. Cela demande quelque explicitation (v. BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 21 déc. 2021, spéc. nos 70 s.) : le bénéfice de l’exonération partielle de droits de mutation est subordonné à l’exercice continu et effectif, pendant la durée de l’engagement collectif ou unilatéral de conservation, par une personne ayant signé l’engagement collectif ou unilatéral de conservation (associés en cas de donation de son vivant, héritiers ou légataires en cas d’engagement post mortem) d’une activité professionnelle principale, si la société est une société de personnes visée à l’article 8 du code général des impôts ou à l’article 8 ter du même code (société en nom collectif, société civile, etc.) ou d’une fonction énumérée au 1° du 1 du III de l’article 975 du code général des impôts, si cette société est soumise à l’impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option (gérant, directeur général, etc.).
C’est cette seconde hypothèse qui nous intéresse ici, la société concernée étant, pour rappel, une société anonyme. À l’évidence, la condition liée à l’exercice d’une fonction de direction au sein d’une société soumis à l’impôt sur les sociétés n’était pas remplie, en l’occurrence. En effet, cette fonction de direction doit avoir été exercée post-transmission l’une des personnes bénéficiaires de la libéralité ayant signé l’engagement de conservation (associés, héritiers ou légataires en cas d’engagement post mortem). C’est d’ailleurs la position de l’administration fiscale (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 21 déc. 2021, n° 395). Or, ici, seul le donateur avait exercé l’une des fonctions de direction éligibles pendant les trois années postérieures à ces donations, et non pas l’un des bénéficiaires des titres sociaux.
D’où le rejet – logique – du pourvoi. Il est tout de même opportun, au nom de la sécurité juridique, que la Cour de cassation confirme cette solution.
Com. 24 janv. 2024, FS-B, n° 22-10.413
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