Panorama rapide de l’actualité « Propriété intellectuelle » des semaines 1er septembre au 30 septembre 2025
Sélection de l’actualité « Propriété intellectuelle » marquante des des semaines 1er septembre au 30 septembre.
 
                            Propriété littéraire et artistique
Condition de protection
- Protection d’une police de caractère (oui). En l’espèce, M. [N] expose que la police de caractères « Lethal Slime » a été pensée dans un style horrifique, son parti-pris esthétique résidant dans la combinaison des éléments suivants : l’aspect visqueux des lettres illustré par les écoulements de matière, qui leur confère un caractère de relief et de mouvement, leur délimitation tortueuse et irrégulière, des proportions calculées de manière à conférer à cette police une épaisseur et une certaine tenue, une délimitation noire et un intérieur blanc, ce qui permet de faire ressortir les écoulements de matière au sein même des caractères et donc d’accentuer leur visualisation en trois dimensions. Ces éléments descriptifs, accompagnés de visuels correspondants, sont précis et déterminent les choix opérés par leur auteur et son intention esthétique. (…) Par ailleurs, il est observé que la police de caractères « Lethal Slime » se différencie nettement des polices de caractères qui lui sont opposées, lesquelles présentent un aspect moins travaillé, plus linéaire, sans relief et plus liquide, outre que la seule de ces polices qui avait été publiée antérieurement à la police litigieuse, en l’espèce la police « Slimed », en apparaît très éloignée, pour s’apparenter à une police de graffiti dont la peinture s’écoulerait, davantage que comme une police typographique horrifique. L’originalité de la police de caractères « Lethal Slime » est en conséquence caractérisée. (TJ Nanterre, 1re ch., 10 sept. 2025, n° 23/04144)
Titularité
- Présomption de titularité (non). L’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre a été divulguée. Cet article instaure une présomption légale mais au profit du seul auteur, personne physique dont le nom est porté à la connaissance du public lors de la divulgation de l’œuvre. Il ne s’agit que d’une présomption simple qui peut être combattue par tout moyen. À ce titre, l’auteur effectif s’entend de celui qui réalise ou exécute personnellement l’œuvre ou l’objet, et non simplement à celui qui a émis l’idée de cette réalisation. Néanmoins l’exécutant matériel doit également rapporter la preuve de son activité créatrice personnelle. En l’espèce, la société AB PRODUCTION soutient avoir commercialisé dès le mois de décembre 2010 le modèle de maillot de bain féminin BODY PIERCE, et, dès le mois de janvier 2015, le modèle de maillot BODY CHARM. Au soutien de la revendication de ses droits d’auteur, la société AB PRODUCTION verse au débat des factures de vente de ces modèles, à différents clients revendeurs, pour les périodes visées. Elle expose être la créatrice des deux modèles de maillots litigieux. Il n’est pas contesté que les marques LOLITA ANGELS et DOLLY & JANE ont été déposées et renouvelées par Monsieur [H], et non par la société AB PRODUCTION. Le fait que le titulaire des marques soit distinct (bien qu’il s’agisse du gérant) de la société AB PRODUCTION qui revendique les droits d’auteur est de nature à écarter la présomption de titularité. Les pièces produites au débat établissent que la société AB PRODUCTION est le distributeur des maillots BODY PIERCE et BODY CHARM, mais ne démontrent pas qu’elle en serait la conceptrice. Les pièces 5 et 11 de la demanderesse, dénommées « WORK BOOK », ne permettent pas de fixer la date de la création des maillots, ni de déterminer leur auteur. De même, les extraits de catalogues montrent la diffusion sous les marques dont Monsieur [H] est titulaire, mais ne permettent pas d’identifier l’auteur des modèles. Aucun des éléments soumis au tribunal ne montre que la société AB PRODUCTION aurait dessiné les deux maillots en litige. En conséquence, les demandes formulées par la société AB PRODUCTION au titre de la contrefaçon de droits d’auteur sur les maillots BODY CHARM et BODY PIERCE seront rejetées. (TJ Marseille, 1re ch., 4 sept. 2025, n° 22/07815)
- Co-titularité d’une œuvre audiovisuelle (oui). Si les défendeurs soutiennent que M. [C] n’aurait participé à la rédaction que du premier document de 2012 et du scénario V1, cette affirmation est contredite par leurs explications selon lesquelles “les autres documents dont se prévaut M. [C] (ses pièces 9, 11 et 12) sont soit la traduction en anglais du traitement soit des versions légèrement corrigées ne comportant que des modifications mineures comme des changements de séquences, des modifications de certains dialogues et des corrections” (page 12 de leurs conclusions). De même, ils ne rapportent pas la preuve de la paternité de M. [V] sur le titre “Stratum” qui est contredite par l’intitulé du scénario de 2016. En outre, M. [C] est crédité en tant que coscénariste de l’œuvre audiovisuelle “Stratum: the prologue” aux côtés de MM. [V] et [T], comme l’indiquent les défendeurs en page 3 de leurs conclusions et tel que justifié par la pièce n° 11 qu’ils versent aux débats. Si les défendeurs soutiennent que l’œuvre audiovisuelle n’a fait l’objet d’aucune diffusion auprès du public, ils reconnaissent toutefois sa diffusion sur internet par une comédienne ayant participé au tournage (p. 3 de leurs conclusions). En outre, ils expliquent qu’elle a été diffusée le 15 mars 2018 “lors d’une soirée privée sur invitation par la chaîne de télévision locale de Saint-Étienne TL7 autour d’une conférence à destination des professionnels”. Il apparaît encore de la pièce des défendeurs n° 8 (courriel de M. [L]) que l’œuvre audiovisuelle a pu être visionnée par des tiers. Ces diffusions constituent des divulgations de l’œuvre au sens des textes précités. Il résulte de ce qui précède que M. [C] doit être présumé coauteur des synopsis et scenarii susvisés de l’œuvre audiovisuelle, lesquelles sont des œuvres de collaboration. (TJ Paris, 3e ch., sect. 3, 10 sept. 2025, n° 23/02262)
Droit moral
- Demande de communication anticipée d’un ouvrage avant sa publication. La FRANCE INSOUMISE considère qu’elle dispose d’un motif légitime pour solliciter la communication anticipée d’un ouvrage avant sa publication en ce qu’il contiendrait des propos diffamatoires à son endroit. Elle fait valoir que les accusations de l’ouvrage, formulées dans un contexte pré-électoral et à la veille des commémorations du 7 octobre 2023, excèdent les limites de la critique légitime et ont pour seul objectif de venir délégitimer un parti d’opposition. Les défendeurs s’opposent à la demande de communication forcée en évoquant notamment l’article L. 121-23 du code de la propriété intellectuelle relatives au droit de divulgation en ce qu’elle lui retirerait la liberté du contenu et du moment où son œuvre sera rendue publique. Ils ajoutent qu’elle contreviendrait au droit à la liberté d’expression, aucun préjudice irréversible et insusceptible d’être ultérieurement réparé ne découlant de la publication à venir de l’ouvrage.
 Le tribunal juge que dans ces conditions, et compte tenu de la gravité de l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression de l’auteur et de l’éditeur de l’ouvrage, il appartient à la demanderesse de démontrer la particulière gravité de l’atteinte qu’elle invoque, laquelle doit causer un dommage irrémédiable qui ne pourrait être réparé après publication. En l’espèce, l’association fait valoir qu’elle dispose d’un motif légitime à se voir communiquer l’ouvrage en vue d’actions en justice ultérieures, en ce que cet ouvrage lui imputerait des faits d’intelligence avec des puissances étrangères, de collusion avec des groupes terroristes, de proximité avec l’islamisme et les islamistes, d’antisémitisme et d’incitation à la haine et à la violence, son contenu étant ainsi susceptible de relever des qualifications pénales de diffamation publique envers un particulier, de provocation publique non suivie d’effet à commettre une atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique, et de diffusion de fausse nouvelle. Dans ces conditions, et au vu des pièces produites, il n’est pas n’établi pas que la parution de cet ouvrage le 2 octobre 2025, au-delà des discussions et controverses que son sujet va nécessairement susciter et qui s’inscrivent dans le libre jeu du débat politique, entraînerait pour elle un dommage d’une particulière gravité, dont les conséquences irréversibles justifieraient qu’une mesure de communication préalable soit ordonnée aux fins d’en prévenir le cas échéant les effets. La mesure sollicitée en demande n’est dans ces conditions pas justifiée ni proportionnée. Il sera relevé qu’en décider autrement, sur la base d’extraits succincts et des prises de position de l’auteur de l’ouvrage, au motif d’une atteinte à ce jour encore hypothétique, reviendrait à conférer un droit de regard systématique et a priori à toute personne physique ou morale susceptible d’être évoquée dans un ouvrage traitant d’un sujet d’intérêt général, faisant peser sur les médias une contrainte contraire à l’équilibre que le législateur a souhaité instituer entre liberté de l’information et protection des droits d’autrui, sauf pour ceux-ci à devoir répondre a posteriori des abus de cette liberté. Pour ces raisons, la demanderesse sera déboutée de ses demandes, sans qu’il soit besoin d’évoquer le moyen tiré de la violation des dispositions de l’article L.121-23 du code de la propriété intellectuelle invoquée par [D] [G] [U]. (TJ Paris, service des référés, 18 sept. 2025, n° 25/56086)
- Préjudice personnel et atteinte (non). Si le droit au respect du nom protégé par l’article L. 121-1 précité a pour raison d’être la protection de l’auteur au travers de l’une de ses œuvres, le droit moral de l’auteur est étranger à la défense du nom patronymique en tant que droit de la personnalité, quand bien même il est utilisé à propos de l’œuvre. Or, en l’espèce, Mme [M] n’invoque aucun usage par la société EK [Localité 6] du nom de Mme [Z] associé au modèle de lunettes en cause, mais l’utilisation, à la rubrique « Histoire de la maison » de son site internet, du nom de Mme [Z] pour relater ses différentes périodes créatives depuis 1960 jusqu’à son décès. Dans ces circonstances, alors que le droit au nom patronymique, en tant que droit de la personnalité, s’éteint au décès de la personne et n’est pas transmissible à cause de mort, Mme [M], agissant en sa qualité de légataire de Mme [W], est, à défaut d’invoquer un préjudice qui lui est personnel, irrecevable à solliciter l’indemnisation du préjudice consécutif à l’exploitation dans un but commercial par la société EK [Localité 6] du nom patronymique de celle-ci. Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action indemnitaire de Mme [M] au titre de l’atteinte au nom et à l’image de Mme [Z]. (Versailles, 3e ch. com., 17 sept. 2025, n° 22/04390)
Exception au droit d’auteur
- Exception de parodie. L’exception de parodie procède de la liberté d’expression qui a valeur constitutionnelle. Dans un arrêt du 3 septembre 2014, la CJUE a précisé que “la parodie a pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie” (aff. C-6201/13, Deckmyn). Trois conditions cumulatives se dégagent de cette décision : l’œuvre seconde doit évoquer une œuvre existante ; elle ne doit pas risquer d’être confondue avec l’œuvre première ; et elle doit constituer une manifestation d’humour ou une raillerie. En l’espèce, il n’est pas discuté que l’œuvre critiquée évoque l’œuvre première de la commune de [Localité 10], puisqu’elle est reprise entièrement. Mais elle comporte également l’expression “Brisé !” en rouge sous le mot “cœur”. Cette adjonction, non accessoire, eu égard à son positionnement, à la dimension des caractères et leur couleur et à la signification qu’elle apporte au slogan, constitue une modification substantielle destinée à démarquer la reproduction critiquée du logo original en sorte qu’il exclut le risque de confusion possible avec celle-ci. Le tribunal relève le décalage entre le logo d’origine, évoquant la générosité de la ville, et sa reproduction litigieuse évoquant, par la simple adjonction de “brisé!” au mot “cœur”, le chagrin d’amour, la déception amoureuse, qui témoigne d’une démarche humoristique et participe ainsi des lois du genre de la parodie sans qu’il s’agisse de ridiculiser ou de dénigrer l’œuvre initiale, de manière générale de porter atteinte de façon excessive aux intérêts de la requérante, les propos demeurant respectueux. L’existence d’une contestation politique plus sérieuse, sur le sujet de la fermeture de la piscine de [Localité 10] et plus généralement les contradictions politiques de la municipalité et la déception que son action provoque, n’exclut pas le caractère humoristique du logo qui la soutient. Il y a ainsi lieu d’admettre l’exception de parodie invoquée en défense. (TJ Lille, 1re ch., 12 sept. 2025, n° 23/05346)
- Théorie de l’accessoire (non) et exception d’information immédiate (non). La reproduction et la représentation d’une œuvre n’est pas une communication au public lorsqu’elle est accessoire par rapport au sujet traité et par rapport au sujet représenté, en ce qu’elle est imbriquée avec le sujet traité et qu’une telle communication accessoire ne porte pas atteinte au monopole du droit d’auteur (en ce sens, Civ. 1re, 12 mai 2011, n° 08-20.651). Selon les dispositions de la directive européenne 2001/29/CE du 22 mai 2001, dont les articles précités réalisent la transposition, relative à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, l’auteur ne peut céder son monopole, en cas d’apparition accessoire de son œuvre dans une autre, que si cette inclusion présente un caractère fortuit. La notion d’inclusion fortuite visée par la directive, doit s’entendre comme une représentation accessoire et involontaire par rapport au sujet traité ou représenté (en ce sens, Civ. 1re, 12 mai 2011, n° 08-20.651 ; 12 juill. 2012, n° 11-15.165). En l’occurrence, les sociétés Diversité TV France, Nextinteractive, TV Presse Productions et Slug News Network, reconnaissent avoir délibérément produit une copie de l’œuvre de M. [M], de sorte qu’elles sont mal fondées à opposer que cette reproduction serait accessoire par rapport au sujet traité, ce d’autant plus qu’elles expliquent leur volonté de reproduire le bureau du professeur [K] auquel elles n’ont pu avoir accès compte tenu de son caractère atypique et en ce qu’il est “marqué de l’empreinte de la personnalité de celui-ci”, en vue d’informer le public sur sa personnalité (p. 14 et 16 de leurs conclusions). L’exception tirée de la théorie de l’accessoire doit, en conséquence, être écartée.
 Sur l’exception de reproduction ou de représentation dans un but exclusif d’information immédiate. Selon l’article L. 122-5, 9°, du même code, lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :“9° La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur. Le premier alinéa du présent 9° ne s’applique pas aux œuvres, notamment photographiques ou d’illustration, qui visent elles-mêmes à rendre compte de l’information. (…) Ainsi, par dérogation aux droits exclusifs d’exploitation reconnus aux auteurs, l’exception d’information prévue par l’article L. 122-5, 9°, précitée justifie que l’autorisation des auteurs n’ait pas à être sollicitée pour la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, de leur œuvre graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite ou en ligne, à condition que la reproduction ou la représentation de l’œuvre serve un but d’information immédiate, en relation directe avec l’œuvre, et que le nom de l’auteur de l’œuvre soit clairement indiqué. En outre, la reproduction ou la représentation de l’œuvre doit être en stricte proportion avec le but exclusif d’information immédiate poursuivi, afin que celle-ci ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. En l’occurrence, les sociétés Diversité TV France, Nextinteractive, TV Presse Productions et Slug News Network ne démontrent pas que la reproduction de l’œuvre de M. [M] était indispensable à l’information immédiate du public sur la personnalité de M. [K], ni même n’explique précisément en quoi elle était nécessaire, ce d’autant plus qu’elles soutiennent par ailleurs que cette œuvre n’avait qu’un caractère accessoire par rapport au sujet du reportage. La reproduction de l’œuvre de M. [M] dans ce contexte apparaît en tout état de cause disproportionnée avec le but poursuivi, dès lors que les défenderesses auraient pu avoir recours à des images d’archives, le bureau de M. [K] ayant été médiatisé à plusieurs reprises. L’exception d’information sera par conséquent écartée. (TJ Paris, 3e ch. sect. 3, 10 sept. 2025, n° 23/07780)
- Copie privée, téléphones reconditionnés et QPC. Copie France avait assigné Phone Recycle Production en paiement de la redevance pour copie privée calculée sur les téléphones mobiles reconditionnés vendus en France. Phone Recycle soulevait une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle, qui régit la composition de la commission. Le tribunal considère que le fait que le fonctionnement de la commission de la copie privée relève de l’intérêt public, comme la rappelé la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt dont se prévalent les sociétés Phone recycle, n’a pas d’incidence sur le respect, par le mode de désignation de ses membres, des droits et libertés constitutionnels qu’elles invoquent. En particulier, le fait que cette nature publique puisse éventuellement impliquer le respect de certaines règles légales ou règlementaires relatives aux organes publics relève, précisément, de la loi ou du règlement et non du droit au recours effectif, du droit d’accès aux documents administratifs, du droit de propriété, de la souveraineté ou de l’égalité entre les femmes et les hommes tels qu’ils sont garantis par la Constitution. En définitive, la critique formée par les sociétés Phone recycle revient notamment à considérer que l’interprétation selon laquelle les organisations représentant les intérêts en présence sont elles-mêmes membres de la commission n’est pas conforme au texte de l’article L. 311-5. Mais qu’une interprétation soit illégale (le cas échéant) n’implique pas qu’elle soit inconstitutionnelle. Par conséquent, la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, laquelle est dépourvue de sérieux, est rejetée. (TJ Paris, 3e ch., sect. 2, 5 sept. 2025, n° 23/02894 ; à rapprocher de TJ Paris, 3e ch. - sect. 3, 10 sept. 2025, n° 24/01494)
Contrats
- Obtention du code source. Le code source de [S] et les droits administrateurs du compte AWS constituent des ’connaissances nouvelles’ au sens de la convention qui lie les parties et qui subordonne leur communication au paiement complet des prestations. Or, il n’est pas contesté que la totalité des factures émises par le prestataire n’a pas été réglée. Dès lors, en faisant valoir le défaut de paiement complet des factures émises, la société oppose une contestation sérieuse à la demande de condamnation de la société [J] à lui remettre le code et les droits administrateurs du compte. (Paris, pôle 1 - 3e ch., 4 sept. 2025, n° 24/20021)
- Contrat relatif à la publication d’un livre, résolution judiciaire (non). Madame [O] [K] affirme que Monsieur [T] [Y] n’a pas respecté le contrat conclu, ce dernier n’ayant pas rédigé le livre et ayant imprimé un livre de 158 pages et non les 200 pages prévues sans mise en page personnalisée et qualitative. Elle ajoute qu’il n’a pas assuré la publication, la promotion et la gestion logistique des ventes de l’ouvrage internet. Elle soutient qu’il a perçu une somme de 1 250 € sans exécuter les prestations visées au devis et a manqué à ses obligations contractuelles. En l’espèce, il est nécessaire de rappeler que Madame [O] [K] ne verse pas les conditions générales du contrat et qu’il a déjà été jugé que cette dernière ne rapportait pas la preuve que Monsieur [T] [Y] s’était limité à retranscrire ses fichiers audios. Il s’ensuit que Madame [O] [K] ne démontre pas que Monsieur [T] [Y] n’a pas rédigé le livre. S’agissant du nombre de pages, Madame [O] [K] ne produit aux débats que quelques pages d’un manuscrit annoté à plusieurs endroits. Aucun élément ne permet d’établir qu’il s’agit du manuscrit définitif mis en page qui lui a été adressé par Monsieur [T] [Y]. Compte tenu des annotations, cette pièce peut, en effet, constituer un document de travail comportant les corrections à apporter au manuscrit pour publication. Les échanges de courriers électroniques entre les parties et plus spécialement celui du 24 avril 2024 émanant de Madame [O] [K] montrent, en effet, que cette dernière recevait des épreuves pour validation : « je n’ai pas fini de valider tout l’écrit ». Compte tenu de ces constatations, il apparaît que ces quelques pages ne permettent pas de conclure que Monsieur [T] [Y] n’a pas respecté ses obligations contractuelles et légales concernant la mise en page, le nombre de pages du livre et la présence des mentions légales, étant au surplus rappelé qu’en l’absence de production des conditions générales du contrat il n’est pas prouvé que Monsieur [T] [Y] devait procéder à une mise en page personnalisée et qualitative. Madame [O] [K] ne rapporte pas la preuve que Monsieur [T] [Y] a manqué à ses obligations contractuelles. Elle sera, en conséquence, déboutée de sa demande de résolution judiciaire du contrat. (TJ Bordeaux, 8 sept. 2025, n° 25/01773)
- Utilisation de publications scientifiques dans le cadre d’une recherche de financement et contrefaçon (non). Le docteur [I] ne rapporte nullement la preuve que le CHU ait édité, reproduit, représenté ou encore diffusé, par quelque moyen que ce soit, les articles scientifiques auxquels il a participé en tant qu’auteur et dont il communique la liste. Le seul fait que le CHU ait bénéficié de financements publics, sur la base de ces publications scientifiques, durant les années où le docteur [I] était membre de son personnel ne peut en aucun cas être considéré comme un acte de contrefaçon au sens des dispositions précitées. De tels financements ne donnent lieu ni à des actes d’édition, ni de reproduction, ni de diffusion des articles en cause. (…) Ce mode de financement impose, pour une part variable des dotations MERRI allouées chaque année, la prise en compte de certains indicateurs d’activité parmi lesquels les publications scientifiques réalisées par les praticiens de l’établissement concerné. (…) En définitive, la contrefaçon alléguée n’est nullement établie et les demandes du docteur [I] à ce titre ne peuvent qu’être rejetées. (TJ Rennes, 2e ch. civ., 8 sept. 2025, n° 20/00180)
Procédure
- Prescription. Vu l’article 2224 du code civil. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Il s’en déduit que lorsque la contrefaçon résulte d’une succession d’actes distincts, qu’il s’agisse d’actes de reproduction, de représentation ou de diffusion, et non d’un acte unique de cette nature s’étant prolongé dans le temps, la prescription court pour chacun de ces actes, à compter du jour où l’auteur a connu un tel acte ou aurait dû en avoir connaissance. Pour dire irrecevable comme prescrite l’action en contrefaçon, l’arrêt constate que l’album comportant le titre litigieux « Whenever » est sorti en 2010 et que, le 30 décembre 2011, M. [J] et M. [S] ont mis en demeure M. [M], Mme [F], ainsi que les sociétés concernées de réparer le préjudice causé par la contrefaçon de leur œuvre et en déduit qu’ils avaient eu connaissance dès cette mise en demeure, des faits leur permettant d’exercer l’action en contrefaçon de leurs droits d’auteur, de sorte que leur action, engagée plus de cinq ans après cette date, était prescrite, peu important que l’album ait été encore dans le commerce en avril 2018 ou que ce titre ait été encore disponible sur des plateformes de téléchargement en mars 2018, ces actes de commercialisation et de diffusion n’étant que le prolongement normal de ceux réalisés antérieurement. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté l’existence d’actes de diffusion de l’œuvre contrefaisante, constitutifs de contrefaçon, antérieurs de moins de cinq années à l’introduction de l’action, la cour d’appel a violé le texte susvisé. (Civ. 1re, 3 sept. 2025, n° 23-18.6169, FS-B, Dalloz actualité, 29 sept. 2025, obs. A. Zadela)
- Prescription de l’action en contrefaçon (oui). Or, dans la mesure où M. [L] et la société Xray production ont conclu une transaction le 17 juillet 2015 ayant pour objet l’exploitation non autorisée de photographies issues du contrat de cession du 20 février 2013, M. [L] ne saurait raisonnablement soutenir aujourd’hui qu’il n’a pas consulté le site internet de la société Xray productions, non seulement avant la signature de l’acte mais aussi après celle-ci, ne serait-ce que pour en contrôler l’exécution, ce d’autant qu’il s’était adjoint le concours d’un avocat à cette occasion. (…) Ainsi, M. [L] pouvait agir en contrefaçon au titre de la diffusion de la pochette de ces vinyles sur le site xrayproduction.com jusqu’au mois de juillet 2020. L’assignation ayant été signifiée le 13 septembre 2021, le délai de prescription était donc expiré. (…) En conséquence, il y a lieu de déclarer irrecevables l’action en contrefaçon au titre de l’exploitation de la photographie 1 sur les jaquettes des albums “EP The World of Biga*Ranx & Maffi” et “EP The World of Biga*Ranx & Ondubground”, ainsi que les demandes de suppression et de retrait subséquentes. (TJ Paris, 3e ch. - sect. 1, 18 sept. 2025, n° 21/11565)
- Méthode d’évaluation du préjudice. La société L. fait grief à l’arrêt de limiter la condamnation de la société P. à lui payer la somme de 291 128 € en réparation de son préjudice patrimonial du fait des actes de contrefaçon, alors « qu’aux fins de réparer les préjudices causés par une contrefaçon de logiciels, la masse contrefaisante est composée de chaque acte de reproduction totale ou partielle du logiciel en cause ; qu’en retenant, pour fixer à 400 le nombre d’actes de contrefaçon du logiciel de la société L. déterminer ainsi le montant de l’indemnité due par la société P., que le nombre de 10 000 actes de contrefaçon invoqué par la société L. ne pouvait être retenu dès lors que cette dernière ne démontrait pas « qu’il correspond au nombre de clients utilisateurs de l’application », cependant que tout acte de reproduction du logiciel de la société Lundi matin constituait un acte de contrefaçon et devait donc être comptabilisé dans la masse contrefaisante pour déterminer l’indemnité due, sans se limiter aux seuls actes d’utilisation dudit logiciel, la cour d’appel a violé les articles L. 122-6 et L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle. »
 La cour d’appel, qui a réparé les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits de la société L., ayant consisté dans la reproduction du logiciel R résultant de son exécution par l’application G. a pu fixer l’indemnisation en considération du seul nombre de clients utilisateurs de cette application ayant souscrit une licence. (Civ. 1re, 3 sept. 2025, n° 24-13.135, F-D)
- Compétence judiciaire. Ayant relevé qu’elle n’était saisie d’aucune demande reconventionnelle ni d’aucun moyen de défense invoquant en droit et en fait les règles spécifiques du droit de la propriété littéraire et artistique, la cour d’appel en a exactement déduit que le litige dont elle était saisie ne relevait pas de la compétence des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire, en application de l’article L. 331-1, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle. Le moyen n’est donc pas fondé. (Civ. 1re, 3 sept. 2025, n° 23-19.179, FS-D)
Statut professionnel
- IRCEC. En l’espèce, il ressort de la pièce n° 4 de l’IRCEC que M. [B] [H] a perçu de la [10] (ci-après [9]) des droits d’auteur à hauteur de 15 317 € nets et 17 263 € bruts, et qu’il est l’auteur d’œuvres audiovisuelles consistant en des reportages. Il relève donc bien de la catégorie des auteurs au sens de l’article R. 382-1 alinéa 4 visant expressément, au titre de la branche du cinéma et de l’audiovisuel, les -auteurs d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, quels que soient les procédés d’enregistrement et de diffusion, ce qui est le cas en l’espèce de M. [B] [H] pour avoir réalisé des reportages. Les droits d’auteur de l’année 2019 étant supérieurs au seuil d’affiliation, c’est à juste titre que M. [B] [H] a été affilié d’office pour l’année 2020. (TJ Lille, ch. soc., 9 sept. 2025, n° 24/02477 ; à rapprocher de TJ Lille, ch. soc., 9 sept. 2025, n° 24/02478)
Propriété industrielle
Marques
- Distinctivité - Marque sonore. Le Tribunal de l’Union européenne censure une décision d’une chambre de recours de l’EUIPO qui avait considéré que marque sonore composée d’un jingle pour des services de transport n’était pas distinctive. Une telle appréciation s’avère erronée au regard tant des habitudes du secteur concerné, pour lequel il est important de pouvoir se servir du son pour permettre au public visé d’identifier les produits et les services d’une entreprise et pour façonner ainsi une identité sonore reconnaissable, que des éléments qui caractérisent la marque demandée, laquelle entend précisément agir auprès dudit public en tant que jingle court et percutant, susceptible d’être mémorisé et d’indiquer ainsi l’origine commerciale des services en cause, qui seront exclusivement associés à la requérante. De ce point de vue, ni la durée de la marque demandée ni sa prétendue « simplicité » ou « banalité », laquelle n’empêche pas en soi que la mélodie correspondante puisse être reconnue, ne sont des obstacles qui suffisent, en tant que tels, à justifier l’absence de tout caractère distinctif. Il s’avère, comme le fait observer la requérante, que, à supposer même qu’il y ait lieu d’envisager l’un des usages potentiels de la marque demandée comme le fait la chambre de recours, c’est-à-dire d’évoquer son utilisation dans une gare pour annoncer le service de transport associé, une telle utilisation, même si elle a un rôle fonctionnel, n’empêcherait nullement la marque demandée d’exercer sa fonction d’indication de l’origine commerciale dudit service. Tel serait même le rôle de la marque demandée dans un tel contexte, dès lors que le son de la mélodie qui caractérise cette marque a précisément pour objet de permettre au public visé de distinguer ce service et l’entreprise concernée des autres services susceptibles de lui être proposés par d’autres opérateurs intervenant dans le secteur des transports. (TUE, 10 sept. 2025, aff. T-288/24)
- Marque renommée - Juste motif. L’usage par un tiers d’un signe similaire à une marque renommée est susceptible d’être qualifié de juste motif, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 40/94, s’il est avéré, d’une part, que ce signe a été utilisé antérieurement au dépôt de ladite marque renommée et, d’autre part, qu’un tel usage est de bonne foi, ce qui est apprécié en tenant compte, en particulier, de l’implantation et de la réputation dudit signe auprès du public pertinent, du degré de proximité entre les produits et les services en cause et de la pertinence économique et commerciale de l’usage du signe pour les produits en question. (TUE, 10 sept. 2025, aff. T-425/24)
- Descriptivité. La marque 1926, déposée pour des produits d’horlogerie, peut être interprétée comme renvoyant à l’année de conception des produits concernés, et, dans la mesure où il s’agit d’une année ancienne pouvant faire référence à la durabilité de ces produits, à leur qualité et à la tradition et au prestige de l’entreprise les produisant. En outre, dans la mesure où toute référence à une année ancienne est, au moins en ce qui concerne les produits concernés, susceptible de transmettre une image de qualité, il n’est pas nécessaire, contrairement à ce que semble estimer la requérante, d’établir que c’est spécifiquement l’année 1926 qui transmet une telle image, ni d’examiner la question de savoir si cette année a une signification notable dans les secteurs de l’horlogerie, de la joaillerie et de la bijouterie. Pour les mêmes raisons, est dénué de pertinence le fait, invoqué par la requérante, que la production dans une année spécifique a une plus grande incidence sur la qualité du produit dans le secteur agricole, notamment pour les vins. Compte tenu du lien suffisamment direct et concret entre les produits concernés, qui se rapportent tous à l’horlogerie, à la joaillerie et à la bijouterie et présentent donc une certaine homogénéité, il n’est pas non plus nécessaire de les examiner séparément. (TUE, 10 sept. 2025, aff. T-444/24)
- Marque renommée - appréciation du lien. Dans le cadre d’un conflit opposant la marque OMV! by Vasigil, enregistrée pour des produits en classes 3 et 5, et la marque OMV, enregistrée pour des produits et services en classes 1, 4 et 37, le TUE affirme que, compte tenu du fait que les marques en conflit sont similaires à un degré élevé sur le plan visuel, présentent un degré « à tout le moins » moyen de similitude sur le plan phonétique et que les marques antérieures bénéficient d’une renommée exceptionnelle et d’un caractère distinctif élevé, ainsi que du fait que, bien que dissemblables, les produits et les services en conflit revêtent une certaine proximité, la chambre de recours a commis une erreur d’appréciation en excluant l’existence d’un lien entre les marques en conflit au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001. L’argument de la chambre de recours tiré du fait que le lien entre les signes en conflit serait exclu en raison de l’expression « by vagisil » figurant dans la marque contestée, laquelle indiquerait clairement l’origine des produits, ne saurait prospérer. En effet, cet élément ne saurait exclure l’existence d’un lien entre les marques en conflit, étant donné que celles-ci coïncident dans l’élément verbal « omv », lequel constitue l’élément dominant de la marque contestée, figurant au début de celle-ci, ainsi que le seul élément des marques antérieures, étant précisé, en outre, que cet élément est doté d’un caractère distinctif intrinsèque. (TUE, 3 sept. 2025, aff. T-303/24)
Dessins et modèles
- Renvoi préjudiciel. Précision des notions d’impression globale et utilisateur averti. L’article 10 du règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires, doit être interprété en ce sens que : l’étendue de la protection d’un dessin ou modèle au titre de l’article 8, § 3, de ce règlement doit être appréciée par référence à l’impression visuelle globale produite par ce dessin ou modèle sur un utilisateur averti qui, sans être un concepteur ou un expert technique, connaît différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d’un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement et, du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d’un niveau d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise en tant qu’éléments du système modulaire dont ils font partie et non pas sur un utilisateur qui, disposant des connaissances techniques analogues à celles pouvant être attendues d’un professionnel, examine dans le moindre détail le dessin ou modèle concerné et dont l’impression globale repose principalement sur des considérations d’ordre technique. 2) L’article 89, § 1, du règlement n° 6/2002 doit être interprété en ce sens que : ne relève pas de la notion de « raisons particulières », au sens de cette disposition, permettant à un tribunal des dessins ou modèles communautaires de ne pas prononcer une ou plusieurs des ordonnances visées à ladite disposition, la circonstance qu’une contrefaçon ne porte que sur certains éléments d’un système modulaire, quantitativement peu nombreux par rapport à l’ensemble des composants de ce système. (CJUE 4 sept. 2025, aff. C‑211/24, LEGO A/S / Pozitív Energiaforrás Kft)
par Yann Basire, Maître de conférences et Directeur général du CEIPI, Université de Strasbourg, et Stéphanie Le Cam, Maître de conférences, Université Rennes 2
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