Parquet européen : premières précisions sur la mise à exécution d’une saisie en France
La chambre criminelle délivre deux enseignements majeurs, d’une part, quant aux formalités nécessaires à la mise à exécution d’une saisie en France sur délégation du procureur européen d’un autre État membre et, d’autre part, quant à l’office de la chambre de l’instruction lorsqu’une telle mesure d’exécution lui est soumise.
Contexte procédural : délégation d’une saisie en France dans le cadre d’une procédure conduite par le procureur européen en Belgique
À titre liminaire, quelques éléments de contexte apparaissent utiles à la bonne compréhension de la décision commentée.
Celle-ci intervient dans le cadre d’une procédure diligentée en Belgique par le procureur européen délégué dans cet État et un juge d’instruction, mettant en cause un groupe hongkongais pour des faits, notamment, d’escroquerie à la TVA et de fausse déclaration de valeur en douane, pour un préjudice fiscal subi par l’État belge estimé à plus de 300 millions d’euros.
Le 7 août 2023, le procureur européen délégué belge en charge de l’affaire a, d’abord, pris une décision de délégation à son homologue français, afin qu’il identifie les comptes bancaires de dix-neuf sociétés du groupe situées en France. Et, le 24 août suivant, il lui a donné délégation afin de procéder à la saisie, ordonnée le même jour par le juge d’instruction, des sommes figurant au crédit du compte bancaire français d’une des sociétés du groupe. La saisie bancaire a ensuite été exécutée par un officier de douane judiciaire à la demande du procureur européen délégué en France, puis maintenue, en application de l’article 706-154 du code de procédure pénale, par une ordonnance du juge des libertés de la détention du 29 août 2023. À la suite de l’appel interjeté contre l’ordonnance de maintien, la société propriétaire des avoirs saisis a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt confirmatif rendu par la chambre de l’instruction de Paris.
C’est dans ces circonstances que la chambre criminelle a eu à connaître de cette affaire. La Haute juridiction avait donc à se prononcer pour la première fois sur la mise à exécution en France d’une ordonnance de saisie prise par un juge étranger dans le cadre d’une délégation opérée par le procureur européen délégué d’un autre État membre de l’Union.
La mise à exécution d’une saisie avant la formalisation de la demande
C’est le premier enseignement de la décision rendue par la chambre criminelle : le procureur européen délégué assistant, en l’espèce le procureur français, peut mettre à exécution une saisie sur la base d’une simple communication informelle avec son homologue en charge de l’affaire, avant même que la décision de saisir et la délégation pour y procéder ne soient formalisées (§ 18).
Précisément, ici, le procureur européen délégué en France avait été informé par le juge d’instruction belge, le 22 août 2023, que celui-ci lui adresserait une demande de gel des avoirs le lendemain, par l’intermédiaire du procureur européen délégué belge en charge de l’enquête. Le lendemain matin, 23 août 2023, ce dernier informait à son tour, par mail, le procureur français que des instructions de gel du compte et une ordonnance de saisie seraient matérialisées par le juge dans la journée, tout en précisant que toutes précautions devaient d’ores et déjà être prises pour éviter que les fonds ne disparaissent. Sur la base de ces informations, un officier du Service d’enquête judiciaire des finances (SEJF) a, sur autorisation du procureur européen délégué assistant en France, procédé le même jour à la saisie des sommes figurant au crédit du compte de la société française appartenant au groupe mis en cause dans le cadre de la procédure belge. C’est finalement le 24 août 2023 que le juge d’instruction belge établissait un certificat de gel et une ordonnance de saisie-arrêt conservatoire des sommes inscrites au crédit du compte bancaire litigieux, puis que le procureur européen délégué en charge de l’affaire formalisait une délégation aux fins de mise en œuvre de cette saisie.
Partant de ces incohérences de calendrier, la société saisie faisait valoir au soutien de son pourvoi que la chambre de l’instruction ne pouvait confirmer une saisie mise à exécution par un procureur assistant sur la base de simples instructions informelles, avant même d’avoir reçu la délégation nécessaire pour y procéder. À l’appui de son argumentation, elle se prévalait d’une violation des articles 30 et 31 du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 qui prévoient la délégation de mesures d’enquête entre les procureurs européens.
La chambre criminelle rejette le grief. Pour fonder sa décision, elle rappelle qu’un ordre de saisie, qui ne requiert aucun formalisme, a été donné par le procureur européen délégué français à l’officier de police, à la demande du procureur européen délégué et du juge d’instruction belges en charge de l’enquête, et qu’en application de l’article 706-154 du code de procédure pénale, la saisie bancaire est autorisée par tout moyen par le procureur de la République (en ce sens déjà, Crim. 17 avr. 2019, n° 18-84.057 P, Dalloz actualité, 14 mai 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 891
; 17 avr. 2019, nos 18-84.081 et 18-84.082).
Par une sorte de parallélisme des formes, la Haute juridiction semble donc considérer que l’autorisation de procéder à une saisie donnée par le procureur à l’officier de police ne répondant à aucun formalisme, la délégation préalable entre procureurs européens délégués peut elle-même intervenir par tout moyen, dès lors qu’il n’y a aucun doute quant à l’existence d’une demande effectivement formulée et qu’une délégation en règle est bien intervenue avant que le juge des libertés et de la détention ne se prononce sur le maintien de la mesure.
À cet égard, il convient de relever qu’en justifiant sa décision sur le fondement de l’article 706-154 du code de procédure pénale, la chambre criminelle rappelle que les saisies spéciales qui interviennent en France dans le cadre d’une procédure suivie par le parquet européen sont mises en œuvre conformément à notre droit interne. Tel est d’ailleurs le cas, tant lorsque le procureur européen délégué français ordonne une mesure de saisie (C. pr. pén., art. 696-128), que lorsqu’il l’exécute à la demande d’un de ses homologues (Règl. [UE] 2017/1939, art. 32).
Absence d’effectivité du contrôle de la délégation par le procureur européen assistant
Cette décision questionne toutefois l’effectivité du contrôle effectué par le procureur délégué assistant sur la délégation qui lui est soumise, dès lors qu’il peut régulièrement mettre en œuvre une mesure avant même d’avoir reçu la délégation pour ce faire.
En effet, l’article 31, § 5, du règlement du 12 octobre 2017 prévoit que le procureur européen délégué assistant peut informer le procureur européen chargé de la surveillance de l’affaire notamment lorsque « a) la délégation est incomplète ou comporte une erreur manifeste significative […] c) une autre mesure moins intrusive permettrait d’atteindre les mêmes résultats que la mesure déléguée […] ».
On peut donc légitimement se demander si ces dispositions conservent un effet utile dans l’hypothèse où le procureur assistant alerterait le procureur chargé de la surveillance de l’affaire sur l’existence d’une difficulté quant à la délégation, alors même qu’il aurait déjà exécuté la mesure déléguée.
Toutefois, force est de constater que la Cour de cassation semble sûre de sa lecture des dispositions en cause, puisqu’elle considère qu’en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle sur le sujet.
Office circonscrit de la chambre de l’instruction lorsque le procureur européen délégué en France agit sur délégation
Le second enseignement de cette décision est sans doute le plus important et justifie sa publication au Bulletin des arrêts rendus par la chambre criminelle. La Haute juridiction juge que le contrôle des conditions de fond de la saisie relève seulement des juridictions de l’État membre du procureur européen délégué chargé de l’affaire (§ 27).
Au soutien de son pourvoi, la société propriétaire des fonds saisis invoquait les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, pour faire valoir que si le contrôle opéré dans l’État membre d’exécution est, par principe, limité à la validité des actes d’exécution, un plein contrôle de la justification et de l’adoption de la mesure se justifiait, en l’espèce, dès lors qu’elle ne bénéficiait pas en Belgique d’un recours juridictionnel lui permettant de protéger son droit de propriété de manière effective.
Là encore, bien qu’intéressante, la critique est rejetée par la chambre criminelle qui considère que c’est à bon droit que la chambre de l’instruction s’est refusée à analyser le bien-fondé de la mesure décidée par le juge d’instruction belge. L’office de la chambre de l’instruction est donc circonscrit dès lors que le procureur européen délégué français agit sur délégation du procureur européen délégué d’un autre État membre.
La décision a le mérite de la clarté : les juridictions de l’État membre d’exécution se borneront à contrôler la régularité des actes d’exécution et l’analyse du bien-fondé de la mesure sera renvoyée aux juridictions de l’État membre du procureur européen délégué en charge de l’affaire, conformément à l’article 31, § 2, du règlement (UE) 2017/1939 du 12 octobre 2017.
Cette solution s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de demande d’entraide internationale qui retient déjà une répartition identique des rôles. Elle juge ainsi que « s’il n’appartient pas aux juridictions françaises d’apprécier le bien-fondé des mesures sollicitées par l’autorité requérante, il incombe à la chambre de l’instruction, dans le respect des règles conventionnelles éventuellement applicables, de contrôler la régularité de l’exécution de la demande d’entraide au regard des formes prévues par la loi nationale » (Crim. 6 oct. 2015, n° 15-81.752 P, D. 2015. 2078
; dans le même sens, Crim. 26 janv. 2016, n° 12-81.785 ; 29 juin 2016, n° 15-82.147 ; 6 mars 2019, n° 18-82.088 ; 4 déc. 2019, n° 19-80.409).
Droit d’accès aux pièces relatives à la saisie devant la chambre de l’instruction
Enfin, malgré la limitation de l’office de la chambre de l’instruction et donc des débats qui ont vocation à se tenir devant elle, la chambre criminelle juge que le tiers appelant d’une mesure de saisie exécutée en France sur délégation d’un procureur européen étranger doit avoir accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste, et constate que les mentions de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que tel a bien été le cas en l’espèce (§ 27).
La Cour de cassation inscrit donc sa décision dans la lignée de sa jurisprudence désormais bien établie selon laquelle le tiers à la procédure qui conteste une mesure de saisie doit avoir accès aux pièces de la procédure se rapportant à celle-ci (en matière de saisie bancaire, Crim. 17 mai 2023, n° 22-81.058 ; 28 juin 2023, n° 22-86.693 ; 11 oct. 2023, n° 22-84.782 ; 2 oct. 2024, n° 23-83.769).
Il est heureux qu’il en soit également ainsi lorsque la chambre de l’instruction se prononce sur le recours formé par un tiers contre une mesure d’exécution. En effet, étant donné que dans cette configuration, la chambre de l’instruction a seulement vocation à contrôler la régularité des actes d’exécution, ceux-ci se devaient nécessairement d’être mis à la disposition du requérant, sauf à porter une atteinte substantielle à l’effectivité de son droit au recours.
Crim. 24 sept. 2025, F-B, n° 24-82.624
par Pierre Bellicaud, Avocat au Barreau de Paris
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