Participation aux acquêts : la plus-value du castor est un acquêt (saga « Officine de pharmacie », épisode 2)
Dans le régime de participation aux acquêts, lorsqu’un bien du patrimoine originaire a été amélioré par l’industrie personnelle d’un époux, la plus-value qui en résulte forme un acquêt donnant droit à participation pour l’autre époux.
 
                            Le régime de participation aux acquêts a désormais sa propre saga ! Comme il y a eu Faurecia 1 et 2 ou encore Maison de Poésie 1, 2 et 3, il existe désormais une affaire « Officine de pharmacie » qui a donné l’occasion à la Cour de cassation de rendre non pas une mais deux décisions marquantes en droit des régimes matrimoniaux. Le deuxième épisode fait l’objet de la présente étude.
Une pharmacienne exploitante d’une officine et un directeur d’un laboratoire d’analyses médicales s’étaient mariés sous le régime de participation aux acquêts. Ils craignaient qu’en cas de divorce leurs biens professionnels ne soient menacés. Sous ce régime en effet, celui qui s’est le plus enrichi doit payer à l’autre une créance de participation, calculée en divisant par deux le résultat de la soustraction du patrimoine originaire au patrimoine final. Or, lorsque le patrimoine du débiteur est composé majoritairement de biens professionnels, il se trouve parfois contraint de vendre ses actifs, donc de cesser son activité, pour assumer la charge de sa dette. Afin d’éviter un tel désagrément, les époux avaient, sur les conseils de leur notaire, inséré dans leur contrat de mariage une clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation.
Suite à leur divorce prononcé le 26 septembre 2008, des difficultés sont apparues dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial. L’ex-époux estima notamment que la clause d’exclusion des biens professionnels devait être révoquée par le divorce. L’article 265 du code civil prévoit en effet la révocation de plein droit des avantages matrimoniaux ne prenant effet qu’à la dissolution du régime matrimonial.
Après bien des débats, la Cour de cassation trancha la qualification en faveur du demandeur, clôturant ainsi le premier volet de la saga (Civ. 1re, 18 déc. 2019, n° 18-26.337 FS-P+B+I, Dalloz actualité, 23 janv. 2020, obs. Q. Guiguet-Schielé ; D. 2020. 635  , note T. Le Bars et L. Mauger-Vielpeau
, note T. Le Bars et L. Mauger-Vielpeau  ; ibid. 1058, chron. I. Kloda, C. Dazzan, V. Le Gall, S. Canas, J. Mouty-Tardieu et E. Buat-Ménard
 ; ibid. 1058, chron. I. Kloda, C. Dazzan, V. Le Gall, S. Canas, J. Mouty-Tardieu et E. Buat-Ménard  ; ibid. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier
 ; ibid. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier  ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot
 ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot  ; AJ fam. 2020. 126, obs. N. Duchange
 ; AJ fam. 2020. 126, obs. N. Duchange  ; RTD civ. 2020. 175, obs. B. Vareille
 ; RTD civ. 2020. 175, obs. B. Vareille  ; ibid. 178, obs. B. Vareille
 ; ibid. 178, obs. B. Vareille  ; JCP 2020. 225, note J.-R. Binet ; JCP N 2020, n° 1-2, actu. 116 et étude 1004 ; ibid. n° 9, étude 1059, note A. Karm ; Dr. fam. 2020. Comm. 44, note S. Torricelli-Chrifi ; RJPF 2020-2/14, note J. Dubarry ; Defrénois 27 févr. 2020, n° 157m3, p. 23, note F. Lettelier ; Gaz. Pal. 7 avr. 2020, n° 376x3, p. 66, note A. Depret).
 ; JCP 2020. 225, note J.-R. Binet ; JCP N 2020, n° 1-2, actu. 116 et étude 1004 ; ibid. n° 9, étude 1059, note A. Karm ; Dr. fam. 2020. Comm. 44, note S. Torricelli-Chrifi ; RJPF 2020-2/14, note J. Dubarry ; Defrénois 27 févr. 2020, n° 157m3, p. 23, note F. Lettelier ; Gaz. Pal. 7 avr. 2020, n° 376x3, p. 66, note A. Depret).
Le deuxième épisode débute devant la cour d’appel de renvoi. Sommée de prendre en compte les biens professionnels pour déterminer le montant de la créance de participation, la Cour d’appel de Grenoble devait déterminer la valeur de l’officine de pharmacie tant dans le patrimoine originaire (car l’épouse en avait la propriété au jour du mariage) que dans le patrimoine final (car elle en était toujours propriétaire au jour du divorce). Une difficulté se présentait : entre le jour du mariage et celui du divorce, l’officine avait pris de la valeur. Cette augmentation était due à l’activité professionnelle de l’exploitante (son « industrie ») et non à un quelconque investissement financier. Cette « plus-value de travailleur » (ou du castor) devait-elle être considérée comme un enrichissement (un acquêt) au même titre que le serait une « plus-value d’investisseur » ? L’ex-époux le pensait mais ne parvint pas à en convaincre la cour d’appel.
Sur un plan technique, les juges du fond devaient se demander si le bien devait être compté pour la même valeur dans le patrimoine originaire et le patrimoine final (écrasant ainsi la plus-value par soustraction) ou s’il fallait tenir compte de la modification de l’état dans le patrimoine final mais pas dans le patrimoine originaire (faisant ainsi ressortir la plus-value en tant qu’acquêt). Les articles 1569 et suivants du code civil ne règlent nullement cette question. La cour d’appel raisonna alors par analogie avec le régime légal de communauté d’acquêts, dans lequel les plus-values des biens propres résultant de l’industrie personnelle d’un époux échappent à la masse commune. Elle en déduisit que la plus-value ne devait pas compter non plus en participation aux acquêts.
Sur pourvoi, le demandeur en revient logiquement aux textes, lesquels ne distinguent pas entre les plus-values de travailleur et les plus-values d’investisseur. Le moyen emporte la conviction de la première chambre civile de la Cour de cassation qui censure l’arrêt d’appel.
Au visa des articles 1569, 1571 et 1574 du code civil, la Cour rappelle la logique fondamentale du régime de participation aux acquêts : pendant la durée du mariage, il fonctionne comme une séparation de biens mais « à la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final » (§ 8).
Elle précise ensuite la méthode liquidative : « les biens compris dans le patrimoine originaire comme dans le patrimoine final sont estimés à la date de la liquidation du régime matrimonial, d’après leur état au jour du mariage ou de l’acquisition pour les biens originaires et d’après leur état à la date de la dissolution du régime pour les biens existants à cette date » (§ 9).
Elle en déduit qu’il ne faut pas distinguer là où la loi ne distingue pas : « lorsque l’état d’un bien a été amélioré, fût-ce par l’industrie personnelle d’un époux, il doit être estimé, dans le patrimoine originaire, dans son état initial et, dans le patrimoine final, selon son état à la date de dissolution du régime, en tenant compte des améliorations apportées, la plus-value ainsi mesurée venant accroître les acquêts nets de l’époux propriétaire » (§ 10).
Elle reproche en conséquence à la cour d’appel d’avoir distingué entre « les plus-values volontaires consécutives à des investissements financiers » et « les plus-values résultant de l’industrie personnelle d’un époux » (§ 11), violant ainsi les textes visés. Elle prononce alors une seconde cassation dans cette affaire, qu’elle renvoie devant la Cour d’appel de Lyon.
Plusieurs raisons justifient l’intérêt qui sera probablement porté à cette décision par les observateurs. La première est d’ordre statistique : les arrêts rendus en matière de participation aux acquêts sont rares. Non seulement ce régime est assez peu choisi en raison de sa technicité (très surestimée), mais de surcroît les interprétations de l’article 265 du code civil réalisées par la Cour de cassation dans l’épisode 1 en 2019 ont placé la participation aux acquêts sur la liste des espèces en voie de disparition (sur cette question, Q. Guiguet-Schielé, Nouvel appel à modifier l’article 265 du code civil sur les avantages matrimoniaux : la Cour de cassation en plein paradoxe, Gaz. Pal. 12 déc. 2023, n° 41, p. 42 ; Les clauses menacées par les nouvelles interprétations de l’article 265 du Code civil, Gaz. Pal. 31 mars 2020, n° 31, p. 58).
La deuxième raison tient au positionnement de la Cour de cassation, qui forme le cœur de l’arrêt. Au-delà de la méthode, il faut surtout retenir que cette décision prend acte de l’autonomie du régime de participation par rapport au régime de communauté. La première chambre civile balaie d’ailleurs l’argument a pari des juges du fond sans même prendre la peine de s’y attarder. Le message est clair : pour interpréter les textes régissant la participation aux acquêts, le raisonnement par analogie avec la communauté légale n’est pas admis.
Ce qui marque surtout la différence entre les deux régimes, c’est la solution ici retenue : la plus-value du castor est un acquêt donnant lieu à participation en régime de participation aux acquêts mais pas en communauté légale. On se souvient en effet que d’après une jurisprudence bien établie, lorsqu’un époux commun en biens améliore un propre par son travail, aucune récompense n’est due à la communauté. Il conserve donc pour lui seul l’augmentation de la valeur du bien consécutive à son labeur (Civ. 1re, 28 févr. 2006, n° 03-16.887 P, JCP 2006. I. 193, n° 19, obs. A. Tisserand-Martin ; D. 2006. 882  ; AJ fam. 2006. 208, obs. P. Hilt
 ; AJ fam. 2006. 208, obs. P. Hilt  ; RTD civ. 2006. 360, obs. B. Vareille
 ; RTD civ. 2006. 360, obs. B. Vareille  ).
).
Doit-on s’émouvoir d’une telle différence de traitement ? Tel n’est pas notre humble avis. Bien au contraire, il faut saluer l’occasion saisie par les juges du droit d’acter l’autonomie conceptuelle de la participation aux acquêts. Contrairement à une fausse opinion trop répandue, ce régime n’est en rien une « communauté en valeur ». Il ne peut y avoir communauté que par le prisme d’une propriété collective. La participation aux acquêts repose sur une logique inverse : celle de la séparation de biens. La participation s’obtient ici au moyen d’un droit personnel (une créance) non d’un droit réel (part de communauté). Dit autrement, et pour englober une théorie plus moderne, la propriété ne porte pas sur les biens présents du couple mais sur le bien futur d’un époux : la créance de participation. Dire que la participation aux acquêts constitue une communauté en valeur c’est confondre les notions de participation et de communauté, donc amalgamer le genre et l’espèce, mélanger le but et le moyen.
Il est tout aussi faux d’affirmer que le régime de participation aux acquêts a pour but ultime d’aboutir à un résultat liquidatif identique à celui d’une communauté de biens. Les différences entre les deux régimes sont très nombreuses et furent d’ailleurs mathématiquement démontrées par Madame le Professeur Karm (Liquidation d’un régime de participation aux acquêts en comparaison avec la communauté légale, Actes pratiques et stratégie patrimoniale 2016, n° 4, p. 9, art. 26). Pour s’en convaincre, il suffit d’ailleurs de constater qu’en participation aux acquêts le juge dispose d’un pouvoir modérateur inconnu de la communauté de biens (C. civ., art. 1579). Autre différence, si les deux époux se sont appauvris, le moins appauvri ne doit rien à l’autre : il n’y a pas de participation aux appauvrissements (C. civ., art. 1575), alors qu’une communauté se répartit à parts égales même si elle est déficitaire.
Il n’est donc pas illogique que, par certains aspects, le régime de participation aux acquêts soit plus participatif que la communauté d’acquêts : la plus-value du castor en est à présent une bonne illustration. Ce qui paraît illogique en revanche, c’est que si des époux communs en biens venaient à stipuler un droit à récompense en faveur de la communauté pour la plus-value du castor sur un propre, cet aménagement serait considéré comme un avantage matrimonial, alors qu’elle n’en est pas un en participation aux acquêts. Cela tient à la logique de triple étalons de calcul des avantages matrimoniaux consacrée en 2019 dans l’épisode 1 : pour la Cour de cassation, ni la communauté légale, ni la séparation de biens, ni le régime de participation aux acquêts ne produisent en eux-mêmes d’avantage matrimonial. Seuls les aménagements de ces régimes sont qualifiables d’avantages matrimoniaux. Mais puisque ces régimes ne sont pas identiques, qu’en est-il des aménagements de l’un qui tendent à s’aligner sur la logique de l’autre ? Pourquoi tantôt admettre et tantôt refuser d’y voir des avantages matrimoniaux ? En révélant une nouvelle différence entre participation et communauté d’acquêts, la Cour de cassation affaiblit dans « Officine de pharmacie 2 » le critère déjà discutable dégagé dans « Officine de pharmacie 1 ».
Remarquons au passage que la solution aurait été identique si les époux avaient opté pour le régime de participation dit « franco-allemand » ou « moderne ». Selon l’accord du 4 février 2010, les biens meubles sont évalués au jour de la prise d’effet du régime dans le patrimoine originaire (art. 9) mais au jour de la dissolution du régime dans le patrimoine final (art. 11). Toutes les plus-values sont ainsi considérées comme des acquêts donnant droit à participation. Il n’en va autrement que pour les immeubles (autres que les usufruits et droits d’usage et d’habitation) pour lesquels réapparaît la différence entre les plus-values naturelles et artificielles, seules ces dernières constituant des acquêts, sans distinction cependant entre les cas d’industrie et d’investissement.
Une troisième et dernière remarque peut être formulée quant au style très didactique de la Cour dans cet arrêt du 13 décembre 2023. Elle prend notamment soin dans l’attendu de son paragraphe 9 de « fusionner » les articles 1571 et 1574 pour en synthétiser la teneur avec le plus de clarté possible. Elle met ainsi en avant le principal point commun entre les patrimoines originaires et finaux : ils s’évaluent tous deux à la date de la liquidation du régime. Seule la date de l’état du bien varie, non la date de la valeur. Ce faisant, la Cour nous rappelle implicitement qu’on ne peut comprendre le régime de participation aux acquêts qu’en comparant les règles applicables aux deux patrimoines. De leurs différences ou de leurs similitudes dépendent la qualification d’acquêt et l’étendue de la participation de chacun aux richesses créées par l’autre.
La Cour aurait-elle eu à cœur de favoriser la compréhension de ce régime matrimonial pour en renforcer l’attractivité ? Si oui, l’intention est louable, mais les efforts sont insuffisants. La solution de l’arrêt elle-même devrait conduire les époux à privilégier la communauté s’ils ne souhaitent pas favoriser leur conjoint à ce point. À tout le moins, la différence entre les deux régimes quant à la prise en compte de la plus-value du castor est désormais un élément d’information préalable incontournable pour les époux. Le notaire ne pourra s’en abstraire s’il veut honorer convenablement son obligation de « les conseiller concrètement au regard de leur situation, en les éclairant et en appelant leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des régimes matrimoniaux pouvant répondre à leurs préoccupations » (Civ. 1re, 3 oct. 2018, n° 16-19.619 P, Dalloz actualité, 31 oct. 2018, obs. A. Hacene ; D. 2018. 2474  , note E. Rousseau
, note E. Rousseau  ; AJ fam. 2018. 621, obs. P. Hilt
 ; AJ fam. 2018. 621, obs. P. Hilt  ; RTD civ. 2018. 957, obs. B. Vareille
 ; RTD civ. 2018. 957, obs. B. Vareille  ). Devoir de conseil et responsabilité du notaire… tel sera peut-être le thème d’un 3e épisode de la saga « Officine de pharmacie ».
). Devoir de conseil et responsabilité du notaire… tel sera peut-être le thème d’un 3e épisode de la saga « Officine de pharmacie ».
 
© Lefebvre Dalloz