Participation : un CSE pourra-t-il demain contester les prix de transfert ?
Un CSE a posé une question prioritaire de constitutionnalité visant à remettre en cause un article du code du travail empêchant toute remise en cause de montants des bénéfices nets comptables d'une entreprise, quand bien même la faiblesse de ces bénéfices résulte d'un montage et d'échanges entre sociétés d'un même groupe ayant pour but de minorer le droit des salariés à bénéficier d'une participation aux résultats. Le juge constitutionnel devra trancher.
La Cour de cassation a jugé la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) suffisamment étayée et sérieuse pour la transmettre, le 25 octobre, au Conseil constitutionnel. Le juge constitutionnel devra donc se prononcer sur la conformité à la Constitution de l'article L.3326-1 du code du travail. Cet article interdit en effet, à l'occasion d'un litige portant sur le calcul de la réserve de participation, toute remise en cause du bénéfice net d’une entreprise après l’attestation du commissaire aux comptes ou de l’inspecteur des impôts, même en cas de fraude.
Ce faisant, plaide le CSE de l'entreprise, appuyé par les syndicats FO et CGT, cet article, tel qu'il est interprété par la jurisprudence de la Cour de cassation (*), prive les salariés ou leurs représentants de "toute voie de recours permettant de contester utilement le calcul de la réserve de participation" et il conduit de plus "à neutraliser les accords passés au sein de l’entreprise dans le cadre de la détermination de la réserve de participation".
Deux principes en conflit
La Cour de cassation admet donc l'existence d'un conflit juridique entre deux principes : la non-remise en cause du bénéfice net après l'attestation du commissaire aux comptes tel qu'il est reconnu par la jurisprudence, et le droit à un recours juridictionnel effectif, qui ne peut donc pas s'exercer. La question n'est pas nouvelle mais elle va donc arriver, pour la première fois, devant le juge constitutionnel qui devra trancher. La plus haute juridiction judiciaire l'admet d'autant plus que la plus haute juridiction de la justice administrative, le Conseil d'Etat, va dans son sens.
Le juge administratif a en effet considéré (voir notamment la décision du 5 décembre 1984) que l'attestation délivrée en application de l'article L.3326-1 alinéa 1 du code du travail a "pour seul objet de garantir la concordance entre le montant du bénéfice net et des capitaux propres déclarés à l'administration et celui utilisé par l'entreprise pour le calcul de la réserve spéciale de participation des salariés aux résultats de l’entreprise", en sorte que l’inspecteur des impôts ou le commissaire aux comptes qui établit cette attestation "n’exerce pas, dans le cadre de cette mission, un pouvoir de contrôle de la situation de l’entreprise".
Il faut dire aussi qu'une précédente décision de la Cour de cassation à propos du non-versement de la participation avait pour le moins suscité la controverse.
Un accord de participation et un montage en question
Dans cette affaire, plusieurs sociétés du groupe ont signé en 2014 un accord de participation de groupe sur la participation des salariés aux résultats de l’entreprise.
Problème : selon le CSE, le groupe a mis en place des contrats de façonnage et de commissionnaire entre ces sociétés et la société de droit suisse, contrats qui permettent à cette société suisse de "fixer de manière arbitraire les bénéfices revenant aux sociétés [françaises] de façonnage et de distribution". Autrement dit, les clauses de ces contrats ont pour conséquence de prédéterminer le bénéfice des sociétés françaises et donc de réduire l’assiette de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise.
Le CSE et les syndicats FO et CGT ont bien tenté d'obtenir du juge judiciaire la nullité des attestations du commissaire aux comptes établies en vue du calcul de la réserve spéciale de participation, a minima faute de sincérité, et d'obtenir également la nullité des clauses de rémunération conclues entre la société suisse et les sociétés françaises du groupe. Tout cela afin de pouvoir désigner un expert afin de déterminer les sommes de participation dues aux salariés.
Mais la cour d'appel de Versailles a déclaré leur demande irrecevable dans un arrêt du 20 octobre 2022, fondé sur la lecture habituelle que fait la Cour de cassation de l'article L.3326-1 du code du travail. D'où leur décision, pour contester l'arrêt de la cour d'appel, d'en appeler au juge constitutionnel.
(*) Voir les arrêts du 11 mars 2009, du 8 décembre 2010, du 10 janvier 2017, du 28 février 2018, du 6 juin 2018.
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