Partie d’un bien organisé en volumes : inapplicabilité du droit de délaissement

Le droit de délaissement prévu par l’article L. 311-2 du code de l’urbanisme ne s’applique pas à une partie d’un bien organisé en volumes.

Une société (SNC Klecar France), propriétaire de lots de volume d’un centre commercial composé de vingt locaux, a conclu une promesse de vente avec une autre société (Covicar 23). Une condition suspensive de purge du droit de préemption urbain a été posée, et la déclaration d’intention d’aliéner transmise à la mairie.

Sur délégation de la ville, une société publique locale (SPL) a décidé de préempter le bien, sans que les parties ne soient parvenues à un accord sur le prix, puis y a renoncé en le notifiant à la société propriétaire en 2016. La décision de préemption avait pour vocation de faire de ces locaux des logements et un nouveau complexe commercial au sein d’une zone d’aménagement concerté (ZAC).

Dès lors, le droit de délaissement consacré par l’article L. 311-2 du code de l’urbanisme a été exercé par le vendeur. Celui-ci a mis en demeure la commune d’acheter le bien au prix initial, mais le conseil municipal a tout de même réduit le périmètre de la ZAC en en excluant les lots, entraînant ainsi l’exercice d’un recours pour excès de pouvoir par la société propriétaire. Le juge de l’expropriation a estimé l’action en délaissement recevable en janvier 2023, ce, « même si elle portait sur des lots en volume s’inscrivant dans une partie de l’ensemble immobilier ». En janvier 2024, la délibération du conseil municipal est annulée par la Cour administrative d’appel de Versailles.

Déclarant que la modification du périmètre de la ZAC avait pour seule finalité d’entraver le droit de délaissement, l’entachant d’un détournement de pouvoir, la cour administrative d’appel a déclaré que le vendeur était fondé à avancer que la décision de préemption « n’avait pas pour objet d’acquérir le bien mais de rompre la promesse de vente (…). De manière à pouvoir acquérir le bien à moindre coût et de façon générale à tirer vers le bas les prix de toutes les acquisitions à venir dans cette zone ». Le pourvoi de la ville a été rejeté (CE 13 déc. 2024, n° 493068).

Sur appel de cette dernière, le juge du second degré a formé la demande d’avis suivante : « le droit de délaissement prévu à l’article L. 311-2 du code de l’urbanisme est-il applicable à une partie d’un bien organisé en volumes ? » (Versailles, 12 nov. 2024, n° 23/02432).

Raisonnement et avis de la Cour : inapplicabilité du droit de délaissement

La troisième chambre civile a commencé par rappeler la définition d’une ZAC aux termes de l’article L. 311-1, alinéa 1er, du code de l’urbanisme « les zones d’aménagement concerté sont les zones à l’intérieur desquelles une collectivité publique ou un établissement public y ayant vocation décide d’intervenir pour réaliser ou faire réaliser l’aménagement et l’équipement des terrains, notamment de ceux que cette collectivité ou cet établissement a acquis ou acquerra en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés », avant de citer l’article L. 311-2, 1°, du code de l’urbanisme.

Conformément à ce dernier, les propriétaires de terrains situés dans le périmètre d’une ZAC ont la possibilité de mettre en demeure la collectivité ou l’établissement public de procéder à l’acquisition de leur terrain, ce, à compter de la publication, par cette même administration, de l’acte créateur de la zone. Cette mise en demeure d’acquérir le terrain (bâti ou non) doit être adressée à la mairie de la commune dans laquelle il est situé (C. urb., art. L. 230-1).

S’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, la Haute juridiction souligne bien que le recours au droit de délaissement dans les ZAC est réservé aux propriétaires de terrains bâtis ou non (Civ. 3e, 7 mai 1996, n° 95-70.031, D. 1997. 154 , obs. F. Catalano ; RDI 1997. 213, obs. C. Morel ), et précise que ce droit ne s’applique pas aux lots de copropriété qui portent uniquement sur une quote-part indivise du terrain (Civ. 3e, 10 mars 1982, n° 81-70.312). Dès lors et selon la Cour, le droit de délaissement ne peut être exercé pour une partie d’un bien organisé en volumes. En effet, dans cette perspective, la division en volumes déroge à l’article 552 du code civil au visa duquel « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous », empêchant ainsi le propriétaire d’un volume d’être considéré comme propriétaire d’un terrain au sens de l’article L. 311-2 susvisé.

Cause de cette inapplicabilité : la notion de volumes

Par le biais de son rappel normatif et jurisprudentiel, l’avis sous étude défend une position ferme, selon laquelle l’invocation du droit de délaissement peut uniquement être mise en œuvre par les propriétaires de terrains au sens strict. En effet, les volumes sont des parties de biens immobiliers ne correspondant pas à une parcelle distincte du terrain mais à une division de la propriété sur le plan vertical ou horizontal (abstraction faite du sol).

Chacun des volumes constitue « un espace indépendant et autonome sur lequel peut s’exercer un droit réel », ce qui les différencie des lots de copropriété (v. l’avis de Mme Vasssalo, première avocate générale ; Civ. 3e, 19 sept. 2012, n° 11-13.679, Dalloz actualité, 4 oct. 2012, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2013. 444 , obs. D. Tomasin ; ibid. 2014. 680, étude P. Capoulade, D. Tomasin et P. Lebatteux ; RDI 2013. 87, obs. J.-C. Chaput ). La Cour fonde tout de même son raisonnement sur sa jurisprudence passée en matière de copropriété. Selon elle, si l’article 552 du code civil dispose que la propriété du sol est liée à celle du dessus et du dessous, la division en volumes déroge de facto au principe.

En admettant cependant que le bien divisé en volumes est susceptible d’accueillir l’exercice d’un droit réel immobilier et qu’il est considéré comme un terrain bâti, il paraît étonnant de ne pas lui permettre de faire l’objet de la procédure de délaissement.

Distinction opérée entre les notions de « terrain » et de « bien organisé en volumes »

La portée du droit de délaissement se voit donc restreinte aux propriétés véritablement assimilables à des terrains : l’interprétation des dispositions de l’article L. 311-2 du code de l’urbanisme est stricte. Si la juridiction administrative a admis qu’un volume construit ou non pouvait faire l’objet d’une expropriation (CE 22 juill. 1994, n° 89570, Lebon ; AJDI 1995. 317 , obs. C. M. ), la troisième chambre civile n’a ici pas reconnu la possibilité d’exercer le droit de délaissement pour un volume au sein d’une ZAC. Le propriétaire doit faire face à de potentielles procédures d’expropriation ou de préemption sur ce bien, mais sans pouvoir invoquer son droit de délaissement, ce qui peut accroitre sa position d’instabilité.

Limitation du droit de délaissement

Le droit de délaissement restant une garantie de stabilité des rapports entre administré et puissance publique, ainsi qu’une réponse au lien de subordination qui en découle, son absence en l’espèce permet à la collectivité de se libérer de l’impératif d’acheter les lots divisés. Cela se fait au détriment de la société propriétaire qui ne dispose plus d’un levier face aux prérogatives exorbitantes de l’administration (quand bien même ce droit n’entre pas dans la couverture de l’art. 17 DDH et ne constitue alors pas une privation de propriété, Cons. const. 21 juin 2013, n° 2013-325 QPC, Dalloz actualité, 25 juin 2013, obs. R. Grand ; AJDA 2013. 1304 ; D. 2013. 1548 ; AJDI 2015. 100, étude S. Gilbert ).

En définitive, le juge du droit offre une certaine garantie aux autorités locales et protège leurs intérêts. Il aurait peut-être été plus juste d’inclure les biens en volumes dans la notion de « terrain » consacrée par l’article L. 311-2 du code de l’urbanisme. En élargir le champ d’application affermirait la protection du particulier en appelant la commune à creuser d’avantage au regard de la préemption. Les faits traduisent une perte d’opportunité significative pour la société propriétaire.

 

Civ. 3e, avis, 20 mars 2025, P-B, n° 25-70.001

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