Pas d’assurance dommages-ouvrage avant réception pour des pures non-conformités
Le garant d’achèvement, dans le cadre d’un contrat de construction de maison individuelle, ne saurait agir à titre subrogatoire contre l’assureur dommages-ouvrage pour des non-conformités contractuelles, et ce même quand ces dernières conduisent à la démolition-reconstruction de l’ouvrage. L’existence d’un dommage matériel de gravité décennale, né d’un vice résultant de l’édification est requise pour ce faire.
En matière de contrat de construction de maison individuelle (CCMI), et quand bien même le contrat souscrit est un contrat de louage d’ouvrage, le législateur impose au constructeur la souscription de garanties construites sur le modèle de celles imposées au vendeur en l’état futur d’achèvement. À ce titre, le constructeur de maison individuelle est tenu de souscrire à la fois une garantie de bonne fin (CCH, art. L. 231-6) et une assurance dommages-ouvrage (CCH, art. L. 231-2, ensemble C. assur., art. L. 242-1).
Lorsque, comme en l’espèce, le garant d’achèvement mobilise sa garantie, dispose-t-il d’un recours contre l’assureur dommages-ouvrage et dans l’affirmative dans quelles conditions ?
Il convient, avant d’exposer la solution intéressante admise par cet arrêt destiné à la publication, de rappeler la finalité fondamentalement distincte des deux garanties. La première – la garantie de livraison à prix et délais convenus – vise à garantir le maître de l’ouvrage « contre les risques d’inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat » en initiant un mécanisme particulier permettant la réalisation des travaux en substitution du constructeur défaillant. Elle tend fondamentalement à permettre au maître de l’ouvrage de disposer de l’ouvrage convenu. La seconde, largement calquée sur le champ d’application de la garantie décennale des constructeurs, tend à permettre la réparation de désordres matériels graves affectant l’ouvrage en raison d’un vice caché.
Intuitivement, chacune des garanties a, en quelque sorte, son champ temporel d’application. La garantie d’achèvement a vocation à jouer avant réception. L’assurance dommages-ouvrage tend, par principe, à garantir les dommages matériels apparus après réception. Cependant, l’admission par le législateur d’une exception à ce principe autorisant, sous certaines conditions, à mobiliser l’assurance dommages-ouvrage avant réception, conduit à envisager que les deux garanties puissent trouver à s’appliquer de manière concurrente. La Cour de cassation a d’ailleurs précisé (Civ. 3e, 26 nov. 2003, n° 02-15.323 P) que le fait qu’il existe un garant d’achèvement n’allégeait pas l’obligation de cet assureur avant réception.
C’est à ce titre qu’il peut être envisagé que le garant d’achèvement puisse agir contre l’assureur dommages-ouvrage. Ceci a été admis dans un arrêt du 2 mars 2005 (Civ. 3e, 2 mars 2005, n° 03-15.936 P, D. 2006. 1784
, obs. H. Groutel
), lequel retient que « le garant de livraison bénéficiait d’un recours pour les désordres de nature décennale contre l’assureur dommages-ouvrage, chargé de préfinancer la réparation de tels désordres » (solution figurant égal. dans Civ. 1re, 3 juill. 2001, n° 98-12.570 P, D. 2001. 2458
; RDI 2001. 345, obs. G. Leguay
; ibid. 2002. 79, obs. D. Tomasin
). Cette action subrogatoire (Civ. 3e, 13 févr. 2020, n° 19-11.495) ne saurait cependant être admise que dans les strictes limites du champ d’application de la garantie dommages-ouvrage. C’est précisément cette question qui était discutée en l’espèce.
En effet, et contrairement à un arrêt précédant rendu le 13 avril 2023 (Civ. 3e, 13 avr. 2023, n° 21-21.106 P, Dalloz actualité, 7 juin 2023, obs. N. De Andrade ; D. 2023. 784
), dans lequel la Cour de cassation avait admis le recours du garant contre l’assureur dommages-ouvrage en présence d’un dommage matériel de gravité décennale (« maison, "complètement bancale et de guingois", ne [pouvant] être réparée sans être démolie puis reconstruite, ce dont il résultait que les désordres étaient de la gravité de ceux prévus à l’article 1792 du code civil »), la situation était ici plus complexe. En effet, si la démolition-reconstruction était envisagée, et avait même conduit le garant à conclure avec le maître de l’ouvrage un protocole transactionnel l’admettant, ce n’était pas en raison d’un dommage matériel, mais en considération d’une non-conformité contractuelle sans désordre.
La Cour de cassation confirme, d’abord, le principe qui figurait dans son arrêt du 13 avril 2023 exigeant l’existence d’un désordre. Elle rappelle à ce titre que « les défauts de conformité affectant un immeuble n’entrent pas, en l’absence de désordre, dans le champ d’application de l’article 1792 du code civil ». Elle renvoie dans son motif enrichi à un arrêt ancien rendu en matière de responsabilité décennale (Civ. 3e, 20 nov. 1991, n° 89-14.867 P, RDI 1992. 96, obs. G. Leguay et P. Dubois
). La solution ne fait aucun doute et est constante. La garantie décennale est une garantie des vices cachées. Seule la caractérisation d’un dommage matériel de gravité décennale autorise sa mobilisation.
C’est son motif n° 8 qui est le plus intéressant. Il énonce qu’« il en est également ainsi des défauts de conformité aux stipulations contractuelles qui ne portent pas, en eux-mêmes, atteinte à la solidité ou à la destination de l’ouvrage et qui n’exposent pas le maître de l’ouvrage à un risque de démolition à la demande d’un tiers, quand bien même la démolition-reconstruction de l’ouvrage serait retenue pour réparer ces non-conformités ». Ainsi, la matérialité consécutive à la sanction de la non-conformité ne saurait être prise en compte. Seule celle résultant de la gravité du dommage matériel affectant l’ouvrage permet la mobilisation de la garantie décennale et, partant, des assurances obligatoires dommages-ouvrage et de responsabilité décennale. On notera que le motif n° 8 admet encore que la matérialité du dommage pourrait découler de la démolition induite par l’action d’un tiers. On pense ici clairement aux actions nées des empiètements, qui sont l’objet de débats importants en pratique sur le terrain du contrôle de proportionnalité.
La solution nous semble devoir être approuvée. Si la conformité contractuelle relève de l’essence de la garantie d’achèvement, tel n’est pas le cas de l’assurance dommages-ouvrage qui ne peut et ne doit être mobilisée qu’en présence d’un véritable dommage matériel affectant la construction et né d’un vice affectant l’ouvrage en raison de son édification. Les assurances obligatoires ne peuvent, sans être dévoyées, être appliquées à la réparation de dommages non matériels, qu’il s’agisse ici d’une non-conformité contractuelle pure ou des dommages immatériels consécutifs (en assurance DO, depuis Civ. 1re, 2 févr. 1994, n° 91-21.370 P, D. 1994. 521
, rapp. P. Sargos
; RDI 1994. 269, obs. G. Leguay et P. Dubois
, solution constante ; en assurance RCD, depuis Civ. 1re, 12 mai 1993, n° 90-14.444 P, RDI 1993. 397, obs. G. Leguay et P. Dubois
, solution égal. constante).
Plus généralement, cet arrêt souligne la difficulté que fait naître la mobilisation de la police dommages-ouvrage avant réception. Exception dans la logique du mécanisme légal de l’assurance obligatoire tournée vers la garantie du risque après réception, sa mobilisation doit rester exceptionnelle. Les garanties avant réception, qu’il s’agisse des garanties légales de bonne fin, des garanties contractuelles de bonne fin ou encore des garanties assurantielles dommages que constituent les polices d’assurance tous risques chantiers doivent être privilégiées.
Civ. 3e, 6 juin 2024, FS-B, n° 23-11.336
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