Pas de contrefaçon de droit d’auteur sans preuve des droits sur des photographies
Doit être débouté de ses demandes au titre de la contrefaçon de droits d’auteur sur des photographies réalisées par son frère le demandeur qui ne parvient pas à rapporter la preuve des droits qu’il invoque.
Par certains aspects, le droit de la contrefaçon est devenu particulièrement complexe, notamment en ce qui concerne la preuve de l’originalité des œuvres invoquées. Mais dans certains cas, l’action en contrefaçon peut échouer pour des motifs on ne peut plus basiques, comme la simple absence de preuve des droits sur les clichés exploités sans aucune autorisation.
L’usage de photographies sans autorisation
Dans cette affaire, il était reproché à une société L’Œil de la Photographie, éditrice d’un site internet du même nom dédié à l’actualité de la photographie, d’avoir diffusé sur son site neuf clichés d’un photographe décédé en illustration d’un article dédié au Carnegie Hall de New York. Le frère du photographe s’était manifesté pour s’opposer à la diffusion de ces images et obtenir une indemnisation à ce titre. En l’absence d’accord amiable malgré l’envoi d’une lettre de mise en demeure, il avait assigné la société L’Œil de la Photographie, éditrice du site internet, devant le Tribunal judiciaire de Paris pour contrefaçon de droits d’auteur et violation du droit moral de l’auteur, le nom de son frère n’étant pas indiqué.
Au vu du jugement rendu le 24 avril 2024, le demandeur, sans doute au fait des exigences jurisprudentielles quant à la caractérisation de l’originalité des clichés, avait fourni un travail descriptif assez précis, afin de déterminer les caractéristiques originales de chaque image.
Par exemple, pour une première photographie, il était précisé que l’originalité se caractérisait « par le choix de la couleur, le format paysage plutôt que portrait, l’angle et le recul pris pour inclure la verdure en fond ainsi que la mise en avant du modèle en premier plan en floutant légèrement l’arrière-plan ».
De même, pour une seconde photographie, il était avancé que l’originalité se caractérisait par « le choix de la couleur, le format paysage plutôt que portrait, l’angle et le recul pris pour inclure la lumière et la pose naturelle du modèle donnant l’impression qu’il n’avait pas conscience de la présence d’un photographe ».
Les férus de droit d’auteur appliqué à la photographie resteront peut-être circonspects à la lecture de ces descriptions, qui ne semblent pas de nature à rapporter la preuve de l’originalité de clichés. Cela dit, on rappellera qu’au stade de l’assignation, il est surtout demandé de définir les éléments pouvant donner prise au droit d’auteur, afin de circonscrire le débat.
Par exemple, par une ordonnance du juge de la mise en état du 22 juin 2017, le Tribunal de Paris avait prononcé la nullité d’une assignation pour contrefaçon de droits d’auteur au motif que le demandeur ne décrivait pas suffisamment les photographies en cause : « Il n’est ici pas question d’imposer aux demandeurs la démonstration prématurée de l’originalité de chaque œuvre en débat (…), mais l’identification et la définition objective des éléments subjectifs qui la caractérisent pour permettre un débat contradictoire à la fois pertinent et loyal interdisant aux demandeurs d’ajuster l’assiette des droits qu’ils revendiquent aux moyens opposés tant dans le cadre d’une fin de non-recevoir que dans celui d’une défense au fond. »
Ainsi, en l’espèce, le demandeur semblait à tout le moins répondre à cette exigence jurisprudentielle : par sa description, même basique, des clichés en cause, il posait les fondements d’un débat en droit d’auteur et permettait ainsi à la défenderesse, si elle s’était présentée devant le tribunal, de construire son argumentation.
La preuve de la titularité des droits en question
Cette décision illustre une nouvelle fois la difficulté pour un demandeur d’engager un procès et de se présenter devant le tribunal sans adversaire. En effet, la société L’Œil de la Photographie avait fait le choix de ne pas constituer avocat et, partant, de ne pas se défendre. Cette attitude est risquée, mais, dans cette hypothèse, comme souvent, le juge n’a pas hésité à se montrer particulièrement scrupuleux.
C’est ainsi que, dans cette affaire, le Tribunal de Paris a reproché au demandeur, indépendamment de la question de l’originalité des clichés, de ne pas avoir rapporté la preuve des droits qu’il invoquait. En effet, comme indiqué ci-dessus, le demandeur n’était pas lui-même le photographe, auteur des clichés en cause, mais le frère du photographe, décédé dans les années 1980. Il lui appartenait donc de démontrer qu’il était bien titulaire des droits sur les clichés par l’effet des règles de dévolution successorale. Ce qu’il n’a pas fait.
Certes, le demandeur avait produit les négatifs et les versions numériques des neuf photographies revendiquées. Mais il ne démontrait pas en quoi, pour quelle raison ni sur quel fondement, il serait titulaire des droits sur ces clichés. Selon le jugement, le demandeur « ne produit aucune pièce établissant qu’il détient les droits d’auteur des photographiées arguées de contrefaçon (…) la seule invocation de ce qu’il serait le seul héritier [du photographe] [étant] insuffisante à le justifier ».
Cette absence de preuve est d’autant plus étrange que la question avait, semble-t-il, déjà été soulevée dans le cadre des échanges écrits entre les parties, préalablement à l’introduction du procès. En effet, le jugement relève, dans une formule assez maladroite, que « la titularité de ses droits a été interrogée (sic) par la défenderesse lors des échanges de courriers antérieurs à l’instance ».
La preuve de la titularité des droits d’auteur constitue pourtant une condition sine qua non de la recevabilité de l’action. Conformément aux règles de base de la procédure civile, il appartient à celui qui agit en justice de rapporter la preuve des droits qu’il invoque. Cette exigence est générale et vaut aussi bien pour les procédures au fond que les procédures sur requête, notamment dans le cadre d’une saisie-contrefaçon. Et si la preuve de la titularité des droits d’auteur peut être rapportée par tout moyen, il est indispensable, pour celui qui n’est pas l’auteur de l’œuvre, de rapporter la preuve de la chaîne des droits.
On rappellera à cet égard que les personnes morales bénéficient pour leur part d’une présomption de titularité, création jurisprudentielle qui repose sur l’exploitation non équivoque d’une œuvre, sous son nom et en l’absence de toute revendication d’un auteur. Cette jurisprudence fait reposer cette présomption sur l’article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle, applicable en matière d’œuvres collectives.
L’absence de présomption de droits d’auteur au bénéfice des personnes physiques
Pour une personne physique, une telle présomption n’existe pas à l’heure actuelle. On pourrait toutefois imaginer que l’exploitation continue et sans contestation de certaines œuvres par une personne puisse constituer à tout le moins un élément d’un faisceau d’indices de nature à rapporter la preuve de la titularité des droits. Par exemple, dans notre affaire, si le demandeur avait organisé régulièrement des expositions sur les œuvres de son frère, peut-être cela aurait-il permis de répondre à l’exigence de preuve des droits invoqués.
Et, précisément, il semble bien qu’un vernissage présentant les œuvres du photographe décédé ait été organisé en 2015 à Cannes, en présence du frère de l’auteur et d’une cousine. En l’absence d’héritiers en ligne directe, les règles successorales veulent que ce soient les parents et frères et sœurs qui héritent. Et, si les parents du défunt sont eux-mêmes décédés, alors les frères et sœurs héritent de toute la succession. Voici donc une décision surprenante, le tribunal ayant préféré faire valoir une règle de procédure sur une règle de fond.
En l’occurrence, sans preuve de la titularité des droits sur les clichés en cause, ces derniers pourraient théoriquement être considérés comme des « œuvres orphelines », c’est-à-dire des œuvres dont le titulaire ne peut pas être retrouvé, pour quelque raison que ce soit (CPI, art. L. 113-10).
Cependant, la loi exclut expressément la qualification d’œuvres orphelines pour des photographies et des images fixes (CPI, art. L. 131-1, 1°), ce alors même qu’il est extrêmement fréquent que des clichés soient utilisés alors même que l’on ignore le titulaire des droits y afférents, ce qui est illustré par l’utilisation de l’acronyme « DR » (pour « droits réservés ») à côté de chaque cliché. Certains auteurs y voient une pratique autorisant une banalisation de la contrefaçon, alors même que l’usage des photographies devrait être soumis à l’autorisation des ayants droit.
Ainsi, en l’espèce, l’utilisation des clichés en cause était théoriquement prohibée, mais s’est tout simplement heurtée à un problème procédural.
Conclusion
Engager un procès en contrefaçon de droits d’auteur suppose toujours de réunir des éléments préalables permettant de s’assurer à tout le moins de la recevabilité de son action. À cet égard, la preuve des droits sur les œuvres invoquées constitue un prérequis minimal et indispensable.
TJ Paris, 24 avr. 2024, n° 23/15682
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