Pas de parasitisme sans preuve de la réalité des investissements effectués

Dans cet arrêt, la chambre commerciale de la Cour de cassation approuve la décision des juges du fond qui n’ont pas retenu d’actes de parasitisme, la victime n’ayant pas apporté la preuve d’une « valeur économique identifiée et individualisée ». Au-delà de la solution de la présente affaire, par cet arrêt de principe, la Cour a cherché à remédier au « flou » de la notion de parasitisme économique en clarifiant sa définition prétorienne.

Bien que la notion de parasitisme économique soit une construction doctrinale, consacrée depuis longtemps par la jurisprudence (Paris, 18 mai 1989, Ungaro, D. 1990. 340 , note L. Cadiet ; ibid. 75, obs. Y. Serra ; RTD com. 1990. 581, obs. A. Chavanne ), elle génère un contentieux qui est loin de se tarir. La raison en est simple : comme l’a souligné la chambre commerciale de la Cour de cassation elle-même dans sa Lettre de juillet 2024, toute la difficulté de cette notion, qui se situe au confluant du droit de la propriété intellectuelle et de la liberté du commerce et de l’industrie, est de savoir précisément quelle protection accorder sur le fondement du parasitisme à des biens qui ne font pas ou plus l’objet d’un droit privatif. C’est pourquoi, par deux arrêts rendus le même jour – dont l’un fait l’objet de ce commentaire – la Cour a voulu remédier au « flou de cette notion », qui a fait l’objet de « courants d’approches variés », en clarifiant la définition prétorienne du parasitisme.

Dans cette affaire, les faits étaient les suivants : les sociétés Auchan avaient commercialisé des tasses et des bols comportant des images « vintage », commandés à la société KATS, qui avait fait réaliser les dessins par la société Inter@ction. La société Maisons du Monde, estimant que ces objets reproduisaient l’une de ses toiles, a assigné ces sociétés en dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme. Saisie sur renvoi après cassation, la Cour d’appel de Rennes a débouté la société Maisons du Monde de ses demandes. Cette dernière s’est alors pourvue en cassation. Dans un arrêt de rejet rendu le 26 juin 2024, la Cour a finalement approuvé les juges du fond qui ont considéré qu’aucun acte de parasitisme n’avait été commis en l’espèce.

Il s’agit sans aucun doute d’un arrêt important en matière de parasitisme économique. La forme ainsi que le fond de la décision en témoignent.

S’agissant de la forme, en premier lieu, il convient de noter que cette décision bénéficie d’une publicité maximale, puisque, outre les commentaires qui en sont faits dans la Lettre de la chambre commerciale, elle est publiée au Bulletin et doit paraître au Rapport. Par ailleurs, cet arrêt fait l’objet d’une motivation développée, la Cour n’hésitant pas à cet égard à citer sa propre jurisprudence. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la Cour cite son propre arrêt à l’appui de sa solution, ce qui semble attester que cet arrêt fait déjà date dans le domaine du parasitisme.

S’agissant du fond, en second lieu, si la Cour n’innove pas à proprement parler, elle effectue des rappels très utiles et propose, en quelque sorte, un test harmonisé en matière de parasitisme, permettant de caractériser de tels actes. Dans cette perspective, la Cour rappelle d’abord la définition classique du parasitisme, puis les conditions pertinentes et indifférentes de la qualification de parasitisme pour enfin en tirer toutes les conséquences dans cette affaire.

Le rappel de la définition classique du parasitisme

Dans sa motivation, la Cour commence par préciser que le parasitisme n’est autre qu’une forme de concurrence déloyale et donc une faute au sens de l’article 1240 du code civil. De manière plus exhaustive, cela « consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis ». Outre la référence à peine dissimulée aux deux types de parasitisme souvent identifiés par les juges – à savoir le parasitisme de notoriété et le parasitisme d’investissement (M.-A. Frison-Roche et J.-C. Roda, Droit de la concurrence, 2e éd., Dalloz, 2022, n° 954) – il ressort de cette définition que le parasitisme économique implique, pour simplifier, qu’un « parasite » se place dans le sillage d’un autre, le « parasité », en profitant des investissements de ce dernier, sans bourse délier.

Le rappel des conditions pertinentes et indifférentes pour caractériser le parasitisme

Par la suite, la Cour énonce les deux conditions traditionnellement admises du parasitisme, qui concernent respectivement la preuve de la réalité des investissements effectués et l’exigence plus subjective de la volonté ou de l’intention de se placer dans le sillage d’une entreprise (Com. 3 juill. 2001, n° 98-23.236, D. 2001. 2892 , obs. E. Chevrier ).

Dans cet arrêt, l’accent est clairement mis sur la première de ces conditions qui, comme la Cour l’a déjà expliqué par le passé, consiste concrètement à identifier la « valeur économique individualisée » pour la victime alléguant le parasitisme (Com. 20 sept. 2016, n° 14-25.131, Dalloz actualité, 4 oct. 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 1938 ; ibid. 2484, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2017. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; RTD com. 2016. 755, obs. F. Pollaud-Dulian ).

À ce dernier égard, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle la seule longévité et le succès de la commercialisation d’un produit ne suffisent pas à caractériser une telle preuve (Com. 5 juill. 2016, n° 14-10.108, Dalloz actualité, 31 août 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 1556 ; ibid. 2244, chron. F. Arbellot, A.-C. Le Bras, T. Gauthier et S. Tréard ; ibid. 2484, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; AJCA 2016. 399, obs. S. Chatry ; Légipresse 2016. 585 et les obs. ), et donc des actes de parasitisme. D’aucuns ont fait valoir qu’une telle solution découle de la nature de cette action, qui est une action en responsabilité civile du fait personnel, c’est-à-dire une action en responsabilité pour faute prouvée. Il serait donc inconcevable de « déduire » ou de présumer une telle preuve sur la base de ces seuls éléments (Centre de droit de la concurrence Yves Serra, préc.). Dans le même ordre d’idées, la Cour reprend une solution déjà posée en vertu de laquelle, les idées étant de libre parcours, le simple fait de reprendre le concept d’un concurrent en le déclinant ne constitue pas en soi un acte de parasitisme (Civ. 1re, 22 juin 2017, n° 14-20.310, D. 2017. 1359 ; Dalloz IP/IT 2017. 597, obs. A. Lecourt ; Légipresse 2017. 366 et les obs. ; RTD com. 2017. 885, obs. F. Pollaud-Dulian ). Et l’on comprend aisément pourquoi, car sinon le parasitisme permettrait à la victime de tels actes de contourner l’absence de protection des idées par le droit d’auteur (F. Pollaud-Dulian, préc.).

L’absence de preuve de la « valeur économique identifiée et individualisée » par la victime

Une fois ces éléments posés, la motivation de la Cour s’appuie sur l’ensemble des indices identifiés par les juges du fond. En substance, ces derniers ont relevé que : en ce qui concerne le travail de conception du produit, il s’agissait simplement de la reprise de clichés libres de droit reproduits sur de la vaisselle ; s’agissant de l’investissement publicitaire, le produit a été peu mis en avant ; et pour ce qui concerne le caractère innovant du produit, que celui-ci s’inscrivait dans une forte tendance du marché. Ainsi, les juges du quai de l’Horloge ont approuvé à juste titre la décision des juges du fond selon laquelle la preuve de la réalité des investissement effectués n’était pas rapportée et que, par conséquent, aucun acte de parasitisme ne pouvait être caractérisé. Autrement dit, l’idée-force de cet arrêt pourrait être résumée comme suit : pour qu’il y ait parasitisme, il faut avant tout qu’il y ait quelque chose à parasiter.

Si la solution de la Cour doit être approuvée à la lumière de ces « appréciations souveraines », elle conduit à une certaine casuistique, source d’insécurité juridique. Preuve s’il en est, dans l’autre arrêt rendu le même jour, la Cour a adopté la solution inverse, en retenant la faute de parasitisme dans une affaire impliquant le masque dit « Easybreath » de la société Decathlon (Com. 26 juin 2024, n° 22-17.647, D. 2024. 1231 ). Cela étant, elle l’a fait en suivant exactement le même modus operandi que dans le présent arrêt. Ainsi, la sécurité juridique ne serait pas compromise par cette approche casuistique ; au contraire, elle est garantie dès lors que les critères utilisés par la Cour pour qualifier des actes de parasitisme sont appliqués systématiquement d’une affaire à l’autre. En d’autres termes, ce qui compte, du point de vue de la sécurité juridique, c’est moins le résultat de la Cour en soi que le processus par lequel elle parvient à sa décision.

En tout état de cause, l’avenir nous dira si cette clarification de la jurisprudence en matière de parasitisme économique, et notamment l’importance désormais accordée à la preuve d’une « valeur économique identifiée et individualisée » aura pour effet de tarir ou, au contraire, d’accroître encore le contentieux dans ce domaine.

 

Com. 26 juin 2024, FS-B+R, n° 23-13.535

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