Pas de perte de l’usage d’habitation en cas de réunion avec un autre local non affecté à cet usage !

Un local affecté à un usage d’habitation au 1er janvier 1970 ne perd pas cet usage lorsqu’il est ultérieurement réuni avec un autre local, quel que soit l’usage de ce dernier.

Par l’arrêt rapporté, la Cour de cassation adopte une position favorable à la lutte contre les meublés touristiques.

En l’espèce, la ville de Paris a poursuivi un propriétaire d’un appartement issu de la réunion de deux lots d’un immeuble parisien afin de le voir condamné à la restitution du bien à l’habitation et au paiement d’une amende civile en raison du changement d’usage qu’il a opéré sur son bien en l’offrant à la location en tant que meublé de tourisme.

Par un arrêt du 10 novembre 2022, la Cour d’appel de Paris avait rejeté les demandes de la ville de Paris en considérant que si « le lot n° 7, d’une surface de 42 m², [devait] être regardé comme étant à usage d’habitation à la date de référence », « tel n’était pas le cas du lot n° 2 d’une surface de 10 m² ». De telle sorte, en déduit-elle, que « le logement issu de la réunion de [ces deux lots] ne [pouvait] être considéré comme affecté dans son entier à l’usage d’habitation à la date de référence » et partant, il n’y avait pas lieu à condamnation.

Rappel des règles relatives à l’usage

L’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation dispose que « Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article. »

Sauf à encourir les sanctions prévues à l’article L. 651-2 du même code, la location saisonnière touristique implique donc d’opérer un changement d’usage pour les locaux affectés à l’habitation (à l’exception de la location saisonnière touristique de sa résidence principale qui, de lege lata, est autorisée sans besoin de procéder à un changement d’usage pour 120 jours de location maximum).

Aussi, les propriétaires désirant offrir un bien, autre que leur résidence principale, à la location meublée touristique doivent au préalable s’interroger sur l’usage de ce local afin, le cas échéant, de procéder aux démarches permettant un changement d’usage.

À Paris comme dans la plupart des grandes métropoles, le changement d’usage de locaux affectés à l’habitation est soumis à une autorisation préalable qu’il convient de solliciter auprès du service d’urbanisme de la mairie.

Cette autorisation est parfois soumise à la règle de la compensation de surfaces qui consiste pour le propriétaire sollicitant le changement d’usage (habitation vers un autre usage) à offrir en contrepartie une surface identique à l’usage d’habitation.

Dans certains quartiers, la compensation peut être renforcée par une obligation d’offrir une surface double voire triple par rapport à la surface dont l’usage d’habitation est supprimé.

En pratique, la commercialité se monnaie et il n’est pas rare que des promoteurs vendent l’usage commercial des locaux commerciaux ou industriels qu’ils transforment en habitation.

La détermination de l’usage du local

Or, pour déterminer l’usage d’un local, l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation précise qu’« un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve ».

Si la preuve est libre, force est de constater que la Cour de cassation a une interprétation rigoureuse de ces dispositions.

Ainsi, elle a, par deux arrêts du 7 septembre 2023, affirmé que les fiches H2 remplies par les redevables de la contribution foncière des propriétés bâties postérieurement au 1er janvier 1970 ne permettaient pas de démontrer l’usage d’habitation du local puisqu’elles ne permettaient pas d’établir l’usage du local à la date de référence (Civ. 3e, 7 sept. 2023, n° 22-18.101, Dalloz actualité, 25 sept. 2023, obs. A. Martineau ; D. 2023. 1589 ; ibid. 2024. 1047, obs. N. Damas ; AJDI 2024. 366 , obs. N. Damas  ; SNH 30/23 inf. 2, avec les obs. ; ibid. 31 /23 inf. 3, avec les obs. ; 7 sept. 2023 n° 22-21.797)

L’usage résultant des fiches H2, en ce qu’elles ont été établies postérieurement au 1er janvier 1970, doit être conforté par d’autres moyens tels que des baux de l’époque, les actes de vente ou les règlements de copropriété.

Dans la présente affaire, la preuve de l’usage n’était pas en jeu, car il était vraisemblablement établi qu’un des lots était à usage d’habitation au contraire de l’autre.

La question était de connaître l’usage du local issu de la réunification de deux lots, l’un étant affecté à l’habitation et l’autre non.

La ville de Paris considérait que le local, était au moins partiellement, à usage d’habitation. Elle faisait donc valoir dans son pourvoi que le local donné à bail meublé touristique « était, pour partie, composé d’un local affecté à l’usage d’habitation à la date de référence » et que cette partie au moins était soumise à autorisation pour le changement d’usage.

Au contraire, la Cour d’appel de Paris n’avait pas suivi cette argumentation et avait considéré que l’usage d’habitation pour l’intégralité du logement n’était pas démontré au 1er janvier 1970.

Les deux positions se défendent. D’un côté, la ville de Paris adopte une lecture fractionnée du local en considérant l’usage historique de chacun des lots et de l’autre, la Cour d’appel de Paris a une lecture stricte du texte qu’elle applique au nouveau local sans distinguer leur usage passé.

La Cour de cassation a tranché en faveur de la première et considère que la réunion des lots n’a aucune incidence sur l’usage d’habitation attaché à l’un des lots du nouveau local créé.

Au sens de cet arrêt, il eut fallu que le propriétaire modifie l’usage du lot affecté à l’habitation avant de le réunir avec son autre lot, lui, non affecté à l’habitation.

Cette solution s’aligne parfaitement avec la proposition de loi du 29 janvier 2024 visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en conférant plus de pouvoirs aux maires en matière de protection de l’habitation.

Ces derniers pourraient ainsi limiter la durée maximale de location à 90 jours par an, imposer des quotas de changement d’usage et établir des zones délimitées de protection de la résidence principale. Cette proposition de loi transpartisane fait l’objet d’une procédure accélérée. Elle est en attente d’examen par une commission mixte paritaire qui ne pourra avoir lieu qu’après les élections législatives à venir.

 

Civ. 3e, 13 juin 2024, FS-B, n° 23-11.053

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