Pas de troisième abrogation pour les textes sur l'isolement et la contention… pour le moment !

Dans une décision n° 2023-1040/1041 QPC « M. Sami G. et autre », le Conseil constitutionnel décide que les deux premières phrases du paragraphe I de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique sont conformes à la Constitution en répondant à deux questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la Cour de cassation.

Depuis la loi du 14 juin 2013 transférant au juge administratif la compétence pour contrôler les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), l’office du juge administratif a été considérablement précisé et affiné par la jurisprudence du Conseil d’État. Ce juge contrôle ainsi, à l’occasion des contestations des décisions administratives dont il est saisi, la procédure d’élaboration du plan et son contenu, à des degrés variables selon que le contentieux concerne la décision relative à l’homologation du document unilatéral ou, au contraire, la validation d’un plan issu d’un accord collectif – sur laquelle il exerce un contrôle moins approfondi conformément à l’architecture et à l’esprit des textes applicables (CE 7 déc. 2015, n° 383856, Lebon  ; AJDA 2016. 645  ; ibid. 1866, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ). Le juge judiciaire demeure quant à lui compétent, en aval du PSE, pour connaître des contentieux individuels relatifs, notamment, au motif économique des licenciements, et à la mise en œuvre des mesures prévues par le plan.

Malgré ces lignes de partage globalement clarifiées, un questionnement majeur demeurait, jusqu’à l’important arrêt rendu par le Tribunal des conflits le 8 juin 2020, concernant une problématique pourtant fondamentale dans le contexte anxiogène des réorganisations engendrant des licenciements collectifs : celle du contrôle de la prévention et de la prise en charge des risques psychosociaux. Le tribunal des conflits a consacré l’existence d’un contrôle de l’administration en la matière, et la compétence corrélative du juge administratif. L’arrêt du Conseil d’État du 21 mars 2023 rendu sous le n° 450012 (UES AFPA), qui constitue le premier arrêt de principe en la matière, s’inscrit dans les suites de cette décision et précise les modalités de cette compétence nouvelle dévolue au juge administratif. Les arrêts nos 460660 et 460924 (Société Presse sport investissement) du même jour étendent ces exigences aux sociétés en cessation d’activité ou en liquidation judiciaire.

Retour sur la problématique de la santé des salariés jusqu’en 2020

En matière de prévention des risques pour la santé et la sécurité des salariés, au premier rang desquels figurent, en pratique, les risques psychosociaux, aucune disposition textuelle (et notamment ni l’article L. 1233-57-2 ni l’article L. 1233-57-3 du code du travail, fixant respectivement le champ du contrôle administratif de l’accord collectif ou du document unilatéral) n’imposait à l’administration du travail d’exercer un quelconque contrôle, à l’exception de la consultation obligatoire du CSE, en matière de document unilatéral portant PSE, sur les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail (C. trav., art. L. 1233-30-I, 2°).

Les questions de santé et de sécurité ne figurent, en effet, pas au nombre des éléments obligatoires du PSE, qui doit essentiellement comporter des mesures permettant d’éviter les licenciements ainsi que des mesures de reclassement (C. trav., art. L. 1233-61).

Si le juge judiciaire avait réaffirmé sa compétence en cas de litige individuel tenant aux risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre du plan (Soc. 14 nov. 2019, n° 18-13.887 P, Dalloz actualité, 3 déc. 2019, obs. H. Ciray ; D. 2019. 2253  ; ibid. 2020. 1136, obs. S. Vernac et Y. Ferkane  ; RDT 2020. 48, obs. S. Ranc ), un vide juridique demeurait donc sur ces questions au stade de l’élaboration du plan lui-même (v. les interrogations soulevées par D. Piveteau dans son entretien à la SSL du 28 janv. 2019 n° 1846, Des frontières encore à préciser pour le juge du PSE).

Cette situation était d’autant plus regrettable qu’avant le transfert de compétence de 2013, la jurisprudence judiciaire exerçait un contrôle vigilant en la matière, allant jusqu’à permettre de suspendre voire d’interdire une réorganisation engendrant un trop grand risque pour la santé des travailleurs (Soc. 5 mars 2008, n° 06-45.888, Dalloz actualité, 31 mars 2008, obs. J. Cortot ; D. 2008. 857  ; ibid. 2306, obs. M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, C. Dupouey-Dehan, B. Lardy-Pélissier, J. Pélissier et B. Reynès  ; Dr. soc. 2008. 519, obs. P.-Y. Verkindt  ; ibid. 605, obs. P. Chaumette  ; RDT 2008. 316, obs. L. Lerouge ).

Une absence de contrôle de l’administration (et, en cas de litige, du juge administratif) aurait donc conduit à amoindrir considérablement, en cas de « grands » licenciements collectifs, la portée de l’obligation pourtant générale de prévention de l’employeur (C. trav., art. L. 4121-1), qui l’oblige à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Et ce en dépit des pouvoirs dont dispose l’administration du travail, au stade de l’élaboration du PSE, d’adresser à l’employeur observations, propositions ou injonctions.

Le vide juridique comblé par la décision du Tribunal des conflits

Répondant à cette problématique cruciale, le Tribunal des conflits est venu parfaire le bloc de compétence dévolu au juge administratif, en jugeant que le contrôle du respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques en vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail relève de l’administration (et, partant, du juge administratif) (T. confl., 8 juin 2020, n° 4189, Syndicat CGT Alstom Grid Villeurbanne, Lebon  ; AJDA 2020. 2061 ).

Cet arrêt a ainsi jugé que, « dans le cadre d’une réorganisation qui donne lieu à l’élaboration d’un PSE, il appartient à l’autorité administrative de vérifier le respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » et qu’« à cette fin, elle doit contrôler tant la régularité de l’information et de la consultation des institutions représentatives du personnel (IRP) que les mesures auxquelles l’employeur est tenu en application de l’article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d’application de l’opération projetée, ce contrôle n’étant pas séparable de ceux qui lui incombent en vertu des articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du code du travail ». Ce contentieux relève, bien entendu, du juge administratif.

Quant au juge judiciaire, il lui revient d’assurer le respect par l’employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l’origine du litige est soit sans rapport avec le projet de licenciement collectif et l’opération de réorganisation et de réduction des effectifs en cours, soit liée à la mise en œuvre de l’accord ou du document de l’opération de réorganisation.

Cette solution a ainsi étendu la compétence du juge administratif en matière de contrôle des PSE tout en l’invitant à exercer pleinement, en la matière, un rôle renouvelé. L’arrêt UES AFPA du Conseil d’État du 21 mars 2023 précise les modalités et définit les contours de ce contrôle.

Les apports de l’arrêt UES AFPA (n° 450012)

Le contrôle des risques au stade de la procédure d’information-consultation du CSE

L’arrêt précise qu’il incombe à l’administration de vérifier que l’employeur a adressé au CSE, parmi tous les éléments utiles qu’il doit lui transmettre pour lui permettre de se prononcer « en toute connaissance de cause », des éléments relatifs à l’identification et à l’évaluation des conséquences de la réorganisation de l’entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs ainsi que, en présence de telles conséquences, les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale.

Dans le sillage de l’arrêt du Tribunal des conflits, le Conseil d’État intègre donc cette dimension de prévention des risques au contrôle de la régularité de la procédure d’information-consultation en la combinant à l’exigence classique selon laquelle l’instance doit avoir été amenée à se prononcer « en toute connaissance de cause » (CE 22 juill. 2015, n° 385816, HeintzDalloz actualité, 24 juill. 2015, obs. D. Poupeau ; Lebon  ; AJDA 2015. 1444  ; ibid. 1632 , chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe  ; D. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; RDT 2015. 514, concl. G. Dumortier  ; ibid. 528, étude F. Géa  ; ibid. 2016. 113, obs. C. Gilbert  ; 22 mai 2019, n° 420780, British Airways ; Lebon  ; D. 2019. 2153, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; RDT 2019. 574, obs. F. Géa  ; 7 déc. 2015, n° 383856, Lebon  ; AJDA 2016. 645  ; ibid. 1866, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet  ; CE 22 juill. 2015, n° 385668, Pages JaunesD. Poupeau, art. préc. ; Lebon avec les conclusions  ; AJDA 2015. 1444  ; ibid. 1632 , chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe  ; D. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; RDT 2015. 514, concl. G. Dumortier  ; ibid. 528, étude F. Géa ).

Bien que le ou les avis émis in fine par le CSE soient dépourvus de toute valeur contraignante, la procédure d’information-consultation de cette instance s’en trouve donc enrichie. Or les exigences procédurales demeurent, quelles que soient les modalités d’élaboration – unilatérale ou négociée – du plan, essentielles : il appartient au juge, lorsqu’il constate que la procédure a été irrégulière, d’annuler la décision administrative, sans avoir à rechercher l’influence exercée par cette irrégularité sur la décision en litige ni à examiner si elle a privé les salariés d’une garantie (CE 29 juin 2016, n° 386581, Astérion ; Lebon  ; AJDA 2016. 1866, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ).

Le contrôle des risques au stade du contrôle du contenu du PSE

S’emparant pleinement de la compétence reconnue par le Tribunal des conflits, le Conseil d’État apporte d’importantes précisions quant au contrôle devant être exercé par l’administration – et, en cas de litige, le juge administratif – relativement aux mesures de prévention elles-mêmes devant être mises en place par l’employeur.

Ces précisions concernent, d’abord, les modalités du contrôle, que l’on pourrait résumer en deux étapes.

La première doit conduire l’administration à vérifier si la réorganisation présente des risques pour la santé ou la sécurité des travailleurs. Si l’on conçoit difficilement qu’un plan de restructuration/réorganisation engendrant des licenciements collectifs puisse être regardé comme n’entraînant pas de risques psychosociaux, ceux-ci ne sont pas pour autant présumés. Et l’administration doit en apprécier l’existence au regard des éléments suivants : les éléments d’identification et d’évaluation des risques transmis au CSE, les débats qui se sont déroulés au sein de cette instance, ainsi que les échanges d’informations et les observations et injonctions éventuelles formulées lors de l’élaboration du PSE.

La seconde étape apparaît donc conditionnée par le résultat de la première : ce n’est que lorsque ces éléments la conduisent à retenir que la réorganisation présente des risques que l’administration doit vérifier si l’employeur a arrêté des actions pour y remédier et si celles-ci correspondent à des mesures précises et concrètes.

Ces précisions concernent, ensuite, l’intensité du contrôle.

À cet égard, le Conseil d’État reprend, en matière de prévention des risques, le contrôle global consistant à considérer les mesures « prises dans leur ensemble », référentiel déjà consacré pour apprécier la suffisance des mesures du PSE élaboré par décision unilatérale (CE 22 juill. 2015, n° 383481, Syndicat CGT de l’union locale de Calais et environsDalloz actualité, 24 juill. 2015, préc. ; Lebon  ; AJDA 2015. 1444  ; ibid. 1632 , chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe  ; ibid. 2016. 1866, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet  ; D. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; RDT 2015. 514, concl. G. Dumortier  ; ibid. 528, étude F. Géa  et, s’agissant du plan de reclassement, v. 30 mai 2016, n° 384114, Louis Lageat (Sté), Lebon  ; AJDA 2016. 1866, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ).

L’illustration apportée par les arrêts Société Presse sport investissement (nos 460660 et 460924)

Ces arrêts, reprenant la solution de principe comme la grille d’analyse dégagée par l’arrêt UES AFPA, présentent l’intérêt de préciser que ce contrôle concerne également les sociétés en cessation d’activité ou en liquidation judiciaire.

La haute juridiction administrative juge ainsi que la cour administrative d’appel a pu, « par une appréciation souveraine exempte de dénaturation », relever que la cessation d’activité de la société en cause se traduirait par la suppression de la totalité de ses emplois et que cette situation était de nature à avoir des incidences sur la santé physique et mentale de ses salariés, ainsi que l’avait constaté l’organisme mandaté à cet effet, et que l’employeur ne justifiait d’aucune mesure propre à protéger les salariés des conséquences sur leur santé physique ou mentale de la cessation de l’activité de l’entreprise.

Elle écarte également le moyen tiré de l’erreur de droit dès lors que la cour ne pouvait, en l’absence de toute mesure, se prononcer sur leur caractère approprié.

Questionnements quant à l’effectivité de la protection des salariés durant la procédure de PSE

Si la solution dégagée par l’arrêt de principe UES AFPA marque une avancée majeure au regard notamment de sa portée normative et de sa valeur hautement pédagogique, elle peut soulever certaines interrogations quant à ses applications concrètes.

En cas de risques identifiés, l’administration doit donc vérifier si « l’employeur a arrêté des actions pour y remédier et si celles-ci correspondent à des mesures précises et concrètes » (contrôle, donc, in concreto), « au nombre de celles prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, qui, prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs ».

La locution « au nombre de », entendue classiquement comme synonyme de « parmi », « au rang de », apparaît exclure l’exigence d’une application exhaustive des mesures prévues par l’article L. 4121-1 du code du travail, devant être mises en œuvre conformément aux principes généraux énoncés par l’article L. 4121-2.

En outre, il se déduit des termes de l’arrêt, éclairé par les conclusions de son rapporteur public, Jean-François de Montgolfier, qui opère une distinction entre « contrôle de nécessité » et « contrôle de suffisance », que le juge administratif n’a pas à contrôler, à proprement parler, la suffisance des mesures de prévention.

Le contrôle de ces mesures au regard des risques identifiés, donc de leur pertinence ou de leur caractère approprié, apparaît toutefois constituer une garantie protectrice des salariés. L’idée directrice est ainsi, selon la formule de Jean-François de Montgolfier, de préserver « le haut niveau de protection qui a résulté, jusque-là, de la jurisprudence du juge judiciaire ». Ce contrôle des risques apparaît en outre s’appliquer, en l’état de la jurisprudence, tant au PSE « document unilatéral » qu’au PSE « accord collectif », ce qui représente une exception notable au contrôle distancié dont ce dernier fait l’objet.

La mise en regard de cette approche n’en demeure pas moins délicate au vu de l’analyse judiciaire classique de l’obligation de sécurité de résultat à laquelle est tenu l’employeur. En effet, la Cour de cassation juge depuis 2015, après certaines adaptations de sa jurisprudence, que « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » et qu’il « ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail » (Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444, Air France (Sté), D. 2015. 2507  ; ibid. 2016. 144, chron. P. Flores, S. Mariette, E. Wurtz et N. Sabotier  ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; Dr. soc. 2016. 457, étude P.-H. Antonmattei  : solution réaffirmée très récemment par Soc. 2 mars 2022, n° 20-16.683 P, D. 2022. 463  ; JA 2022, n° 665, p. 38, étude P. Fadeuilhe  ; ibid., n° 663, p. 39, étude M. Julien et J.-F. Paulin ).

Le contrôle des PSE se trouvant désormais tout entier confié à l’administration, il y a lieu de compter sur la capacité de cette dernière à apprécier, malgré les délais restreints dont elle dispose, le caractère globalement adapté des mesures de prévention « prises dans leur ensemble », elles-mêmes largement tributaires de la diligence des instances représentatives du personnel durant la procédure de PSE. Cette vigilance de l’administration est d’autant plus primordiale que toute possibilité de saisir un juge au cours de la procédure de réorganisation afin, en cas de risques avérés, d’en ordonner la suspension (par ex. jusqu’à l’adoption de mesures de prévention des risques), a aujourd’hui disparu.

 

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