Pas d’intérêt, pas de pension alimentaire !

L’intérêt à faire appel est lié à la succombance, qui s’entend comme le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction, sur un plusieurs chefs, devant le premier juge. Il se distingue de l’intérêt à percevoir, durant l’instance d’appel, la pension alimentaire due à l’un des époux au titre du devoir de secours.

Il en résulte que l’époux, qui a obtenu satisfaction du chef du prononcé du divorce, n’est pas recevable à en demander l’infirmation dans le cadre d’un appel incident, quand bien même il justifie d’un intérêt à percevoir la pension alimentaire au cours de l’instance d’appel.

Pour une meilleure compréhension, rappelons les faits de l’espèce.

Le 10 novembre 2019, un jugement prononce le divorce de deux époux, aux torts exclusifs de l’époux.

Celui-ci fait appel, en le limitant aux seuls effets du divorce.

Nous comprenons que l’époux, en excluant de la dévolution le prononcé du divorce, a souhaité que le divorce acquiert force de chose jugée au plus tôt, pour mettre fin au devoir de secours dont nous ignorons le montant, mais nous devinons qu’il devait être d’un montant élevé au regard du montant de la prestation compensatoire.

L’époux n’acquiesce pas au jugement du chef du divorce, étant rappelé que la limitation ne vaut pas – ne vaut plus (Civ. 2e, 24 févr. 1993, n° 91-18.213 P) – acquiescement des chefs non dévolus (Civ. 2e, 19 nov. 2020, n° 19-13.642 P, Dalloz actualité, 9 déc. 2020, obs. H. Ciray ; D. 2020. 2349 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ).

L’épouse indique, dans ses conclusions, former appel incident, du chef du prononcé du divorce, de manière à obtenir le maintien de la pension alimentaire au titre du devoir de secours.

Évidemment, l’époux soulève l’irrecevabilité de cet appel incident devant la cour d’appel, pour défaut d’intérêt, l’épouse ayant obtenu satisfaction de ce chef, le divorce ayant été prononcé aux torts exclusifs de l’époux.

La cour d’appel écarte la fin de non-recevoir, estimant que l’épouse avait intérêt, en vertu de l’effet suspensif de l’appel, à ce que le divorce n’acquière force de chose jugée qu’à la date à laquelle les conséquences du divorce acquièrent elles-mêmes force de chose jugée. L’intérêt de l’épouse était justifié, pour les juges d’appel, par le maintien du devoir de secours qui, autrement, aurait pris fin, sans pouvoir percevoir la prestation compensatoire qui n’est pas revêtue de l’exécution provisoire (C. pr. civ., art. 1079).

La Cour de cassation censure les juges d’appel. Pour la première chambre, « l’intérêt à interjeter appel a pour mesure la succombance, qui réside dans le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance », sans pouvoir s’entendre de son intérêt à ce que « le divorce n’acquière force de chose jugée qu’à la date à laquelle les conséquences du divorce acquièrent elles-mêmes force de chose jugée ».

Un arrêt conforme au précédent avis

Cet arrêt a un air de déjà-vu, et pour cause. En effet, sur demande d’avis de la Cour d’appel de Paris, la première chambre de la Cour de cassation avait répondu que « l’intérêt d’un époux à former appel de ce chef ne peut s’entendre de l’intérêt à ce que, en vertu de l’effet suspensif de l’appel, le divorce n’acquière force de chose jugée qu’à la date à laquelle les conséquences du divorce acquièrent elles-mêmes force de chose jugée » (Civ. 1re, avis, 20 avr. 2022, n° 22-70.001 P, Dalloz actualité, 13 mai 2022, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 792 ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2022. 281, obs. J. Casey ; RTD civ. 2022. 593, obs. A.-M. Leroyer ).

Nous pouvons nous étonner que la même cour d’appel, celle de Paris, qui était à l’origine de cette demande d’avis, se fasse sanctionner pour le même motif, laissant entendre qu’elle n’entendait pas se satisfaire de la réponse.

Cependant, à la décharge des juges d’appel, nous avons pu constater qu’à cet avis, a succédé des arrêts, publiés et non publiés, qui ont semé le trouble en ce qu’ils semblaient précisément l’ignorer.

En effet, alors que cet avis semblait sonner le glas à une jurisprudence favorable à l’époux bénéficiaire de la pension alimentaire au titre du devoir de secours, la première chambre avait semblé ne pas vouloir suivre la ligne qu’elle venait de se fixer, et a donc assez largement ouvert la possibilité pour le bénéficiaire de la pension alimentaire de différer le moment où le divorce devait acquérir force de chose jugée.

Ainsi a-elle retenu, semblant faire fi de l’intérêt à faire appel, que « lorsque ni l’appel principal ni, le cas échéant, l’appel incident ne porte sur le prononcé du divorce, celui-ci acquiert force de chose jugée à la date du dépôt des conclusions de l’intimé mentionnées à l’article 909 » (Civ. 1re, 9 juin 2022, n° 20-22.793 P, Dalloz actualité, 4 juill. 2022, obs. N. Hoffschir ; D. 2022. 1151 ; ibid. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2022. 389, obs. D. D’Ambra ; RTD civ. 2022. 594, obs. A.-M. Leroyer ; 9 juin 2022, n° 20-23.695 NP, D. 2023. 523, obs. M. Douchy-Oudot ; RTD civ. 2022. 594, obs. A.-M. Leroyer ; 5 janv. 2023, n° 21-14.599 NP).

L’appel, qu’il soit principal ou incident, suppose un intérêt au sens procédural strict.

La question se posera dans les mêmes conditions lorsqu’il s’agit non pas de continuer à percevoir le devoir de secours, mais de soumettre pour la première fois devant la cour d’appel une demande de prestation compensatoire dont nous savons qu’elle est indivisible au divorce, et qu’une telle demande nouvelle suppose que le chef du prononcé du divorce ait été dévolu, par un appel recevable (Civ. 1re, 11 mai 2023, n° 21-17.153 P, D. 2023. 1008 ; ibid. 2024. 441, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2023. 345, obs. F. Eudier ; RTD civ. 2023. 602, obs. A.-M. Leroyer ).

Cet arrêt, même s’il est conforme à l’avis de 2022, interpelle quant à sa portée : rétropédalage ou simple limite néanmoins contournable ?

Rétropédalage ?

Auparavant, lorsque la Cour de cassation opérait revirement, cela ne ressortait pas de l’arrêt. Depuis récemment, la Cour de cassation fait preuve de pédagogie, et elle a pris l’habitude de préciser que l’arrêt revire et pour quelle raison (par ex., Civ. 2e, 5 oct. 2023, n° 21-21.007 P, Dalloz actualité, 19 oct. 2023, obs. M. Barba ; D. 2023. 1753 ; AJ fam. 2023. 537, obs. F. Eudier et V. Avena-Robardet ; RTD civ. 2024. 199, obs. P. Théry ; Civ. 1re, 24 janv. 2024, n° 22-16.115 P, Dalloz actualité, 29 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 665 , note M. Zaffagnini ; ibid. 500, chron. E. Buat-Ménard, C. de Cabarrus, A. Daniel, A. Feydeau-Thieffry et S. Robin-Raschel ; RTD civ. 2024. 387, obs. H. Barbier ).

Rien de tel ici, de sorte que, a priori, nous pourrions considérer que cet arrêt s’inscrit dans la logique procédurale de la chambre en la matière.

En d’autres termes, la Cour de cassation confirme que la jurisprudence mise en place depuis son avis de 2022 est maintenue, avec une évidente clémence au profit de celui qui perçoit la pension alimentaire. Toutefois, cette clémence ne peut se faire à n’importe quel prix, et les avocats devront faire preuve d’habileté procédurale, que ce soit pour agir au profit de celui qui est créancier ou débiteur de la pension alimentaire du devoir de secours.

Mais pour apprécier la portée de cet arrêt, il faut tout d’abord se poser la question suivante : l’époux qui bénéficie d’un divorce prononcé aux torts de l’autre époux est-il dans la même situation que celui pour lequel le divorce est sur demande acceptée, et d’une manière générale d’un divorce non discuté dans son principe ?

Au regard de la notion d’intérêt, rappelé par la Cour de cassation, la réponse semble être affirmative.

Au demeurant, cela semble être la position de la première chambre pour laquelle « lorsque ni l’appel principal ni, le cas échéant, l’appel incident ne portent sur le prononcé du divorce, celui-ci acquiert force de chose jugée à la date du dépôt des conclusions de l’intimé mentionnées à l’article 909 du code de procédure civile, cette décision concernant tous les divorces contentieux » (Civ. 1re, 14 juin 2023, n° 23-70.005 NP, AJ fam. 2023. 361, obs. F. Eudier ).

Le seul cas dans lequel le divorce est discuté est le divorce pour faute.

Il en résulte que pour tous les divorces autres que le divorce pour faute, il n’y aurait aucune succombance du chef du prononcé du divorce, que sorte que l’appel de ce chef, qu’il soit incident ou principal, sera nécessairement irrecevable.

Cependant, la difficulté tient au fait que la première chambre, avec une logique qui échappera à beaucoup, semble donner à la dévolution un effet de nature à contrecarrer cette irrecevabilité pour défaut d’intérêt.

Pour la première chambre, en effet, « il résulte de (l’art. 562) qu’en cas d’appel de tous les chefs du dispositif d’un jugement de divorce, la décision, quant au divorce, ne peut passer en force de chose jugée, sauf acquiescement ou désistement, avant le prononcé de l’arrêt, peu important, même en cas de divorce sur demande acceptée, que l’acceptation du principe de la rupture ne puisse plus être contestée, sauf vice du consentement » (Civ. 1re, 15 déc. 2021, n° 20-18.457 NP, AJ fam. 2022. 91, obs. F. Eudier ).

Surtout, la première chambre avait retenu, dans une affaire dans laquelle l’appelant avait mentionné le chef du prononcé dans l’acte d’appel – sans précision du type de divorce, mais pour lequel l’appelant ne semblait pas demander l’infirmation – que ce chef, pourtant non critiqué par l’appelant principal, ni par l’intimé par un appel incident, avait été dévolu à la cour d’appel. La Cour de cassation sanctionne les juges d’appel qui auraient dû se placer à la date du prononcé du divorce, soit l’arrêt d’appel, pour apprécier la prestation compensatoire au profit de l’intimé (Civ. 1re, 12 juill. 2023, n° 21-19.258 NP). Dès lors « que la déclaration d’appel critiquait (sic) expressément le chef du jugement prononçant le divorce », la cour d’appel en était saisie et devait se placer à la date de l’arrêt pour apprécier la prestation compensatoire (Civ. 1re, 15 mars 2023, n° 20-20.730 NP, AJ fam. 2023. 287, obs. F. Eudier ).

L’appelant principal n’étant pas différent d’un appelant incident, il découlerait de l’arrêt du 23 octobre 2024 que l’appelant principal, faute de succombance, serait irrecevable à faire appel du chef du jugement de divorce prononcé aux torts de l’intimé. Pour les raisons exprimées supra, il en serait de même si le principe du divorce n’est pas discuté.

Nous voyons que cette position semble se heurter à cet arrêt, non publié, de juillet 2023.

Nous pourrions comprendre que le présent arrêt, qui vise expressément l’article 562, marque le coup d’arrêt de cette jurisprudence discutable, en affirmant que la dévolution est liée à la recevabilité de l’appel, ce qui paraît cohérent.

Mais la différence ne tient-elle pas au fait que dans l’affaire de 2023, l’irrecevabilité de l’appel n’avait pas été soulevée par l’intimé, de sorte que la dévolution avait opéré ?

En d’autres termes, la dévolution opèrerait, même d’un chef non critiquable, sauf irrecevabilité de l’appel, principal ou incident, du chef du prononcé du divorce.

Avocat dans l’embarras

Partant de là, l’avocat va se trouver dans une situation délicate, qu’il agisse au soutien des intérêts du créancier ou du débiteur de la pension alimentaire, qu’il soit appelant ou intimé.

Il sait que si l’époux qu’il représente est intimé et profite du devoir de secours, il y sera mis fin avant l’arrêt d’appel, et à la date de remise de ses conclusions en application de la jurisprudence de la Cour de cassation, si le divorce n’est pas dévolu par la déclaration d’appel. Mais pas au-delà, un appel incident de ce chef étant irrecevable.

Reste à savoir si cet époux pourra, s’il justifie par ailleurs d’un intérêt à faire appel, par exemple du chef des mesures accessoires sur lesquelles il a succombé, faire un appel principal visant également le chef du prononcé du divorce, quel qu’il soit. En application de la jurisprudence de juillet 2023, le chef du divorce est alors dévolu. La question demeure si cette jurisprudence de 2023 est ou non anéantie par le présent arrêt commenté. L’avocat aura donc intérêt à faire appel principal, tout en connaissant le risque que l’autre époux soulève l’irrecevabilité de l’appel du chef du prononcé du divorce, pour défaut d’intérêt.

Pour l’époux débiteur de la pension alimentaire, qui entend faire appel, un choix se posera à lui.

Tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt du 23 octobre 2024, l’époux pourra trouver un intérêt financier à ne pas discuter un divorce à ses torts exclusifs. Ainsi, il pourra opportunément faire un appel limité, ou à acquiescer du chef du divorce, de manière à mettre fin au devoir de secours, tout en sachant que l’autre époux sera irrecevable à former un appel incident de ce chef. Pour éviter que l’autre époux, pour contourner cette difficulté, ne forme un appel principal qui pourrait éventuellement opérer dévolution du chef du prononcé du divorce, il pourra lui être conseillé d’inscrire l’appel le dernier jour. En effet, s’il fait appel trop tôt, l’intimé pourrait être enclin à faire lui-même appel principal pour espérer une dévolution sur le tout, et continuer à bénéficier du devoir de secours.

Il en résulte que cet époux appelant, aux torts duquel le divorce a été prononcé, devra faire signifier le jugement dont il fait appel, même si ce jugement ne lui profite pas. L’époux qui recevra cette signification devra être vigilant, et comprendre le choix stratégique qui se cache derrière une signification a priori contre intuitive.

À la lumière de cet arrêt, l’avocat de l’intimé devra envisager un incident d’irrecevabilité de l’appel, du chef du prononcé du divorce, si l’époux appelant ne justifie pas d’un intérêt à faire appel de ce chef autre que celui de continuer à percevoir la pension alimentaire au titre du devoir de secours.

Et dès la première instance, anticipant un appel, un époux pourra trouver un intérêt à un divorce prononcé à ses torts, tandis que celui qui profite du devoir de secours pourra également avoir la préférence d’un divorce pour faute, mais dont les torts sont partagés.

Nous en arrivons à des situations un peu curieuses, obligeant les avocats à faire preuve de stratégie pour reculer ou avancer la date à laquelle le divorce acquiert force de chose jugée.

Il pourra être fait reproche à l’avocat, par l’un ou l’autre époux, de ne pas avoir agi dans leur intérêt. Notamment, le client pourra reprocher à son mandataire de ne pas lui avoir conseillé d’accepter le principe d’un divorce pour faute, voire de ne pas lui avoir proposé un divorce pour faute. L’époux pourra facilement quantifier la perte de chance en résultant, puisqu’elle correspond notamment à l’obligation d’avoir à verser une pension alimentaire devoir de secours pour le cours de l’instance, ou à la fin prématurée de ce devoir de secours.

Mais avec cet arrêt, une autre question va se poser, qui n’est pas anodine car elle conditionne notamment la date à laquelle le juge se place pour apprécier la prestation compensatoire et elle détermine la fin du devoir de secours : à quel moment le divorce acquiert-il force de chose jugée, que le divorce « irrecevable » ait été formé par l’appelant ou l’intimé ? À la date de remise des conclusions de l’intimé ? À la date de la déclaration d’appel ? Du jugement ? Du jour où le conseiller de la mise en état, ou la cour d’appel, aura déclaré l’appel irrecevable du chef du prononcé du divorce ?

 

Civ. 1re, 23 oct. 2023, FS-B, n° 22-17.103

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