Pas d’obligation d’assurance des vélos à assistance électrique
Un vélo à assistance électrique ne relève pas de l’obligation d’assurance des véhicules automoteurs car il n’est pas actionné exclusivement par une force mécanique.
L’indemnisation des accidents de la circulation repose, en Belgique comme en France, en grande partie sur la théorie du risque, les victimes non conductrices étant soumises à des règles plus protectrices que les victimes conductrices, lesquelles participent en effet de la création du risque automobile (A. Cayol, Responsabilité du fait des accidents de la circulation, in R. Bigot et F. Gasnier [dir.], Encyclopédie Droit de la responsabilité civile, Lexbase, 9 mai 2022). Déterminer la qualité de la victime (conductrice ou non) est dès lors essentiel afin d’identifier le régime juridique applicable. Si cette étape préalable de qualification est généralement chose aisée – la victime étant par exemple aux commandes d’une voiture ou, au contraire, un piéton ou un simple passager –, elle se complique en présence d’un accident complexe (R. Bigot et A. Cayol, Le droit de la responsabilité civile en tableaux, préf. P. Brun, Ellipses, 2022, p. 320) ou lorsque la nature du véhicule utilisé n’est pas clairement fixée. Tel était le cas dans l’affaire soumise à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 12 octobre 2023 (CJUE 12 oct. 2023, aff. C-286/22, D. 2023. 1798
) concernant un vélo à assistance électrique.
Débat sur la qualité de conducteur d’un véhicule automoteur
En l’espèce, le conducteur d’un tel vélo est grièvement blessé, puis décède, après avoir été heurté par une voiture sur la voie publique en Belgique. Cet accident constituant, pour cette victime, un « accident de trajet », l’assureur de son employeur en matière d’accidents du travail verse des indemnités et bénéficie d’une subrogation dans ses droits et ceux de ses ayants droit. Ledit assureur assigne ensuite l’assureur de la voiture impliquée dans l’accident afin d’obtenir le remboursement de ses frais. Ce dernier présente une demande reconventionnelle en vue d’être remboursé de sommes qui auraient été indument versées. En défense, l’assureur de l’employeur en matière d’accidents du travail invoque le fait que la victime ne pouvait pas être considérée comme le conducteur d’un véhicule automoteur.
La juridiction d’appel retient son argumentation. Elle souligne que la notion de « véhicule automoteur », visée par la loi belge, correspond à celle de « véhicule », figurant à l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103/CE, aux termes duquel « On entend par : 1) “véhicule” : tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique, sans être lié à une voie ferrée, ainsi que les remorques, même non attelées ». Le droit belge précise, de manière semblable, qu’on entend « par véhicules automoteurs : les véhicules destinés à circuler sur le sol et qui peuvent être actionnés par une force mécanique sans être liés à une voie ferrée ; tout ce qui est attelé au véhicule est considéré comme en faisant partie ». Après avoir constaté qu’aucun de ces deux textes ne définit précisément la notion de « force mécanique », la juridiction affirme cependant que « cette notion était néanmoins explicite et que les termes « qui peuvent être actionnés par une force mécanique » devaient être compris comme signifiant qu’un véhicule automoteur est un véhicule capable de mouvement sans effort musculaire » (pt 14). En l’espèce, le vélo utilisé par la victime ne fournissait qu’une assistance au pédalage, même la fonction turbo – permettant d’accélérer sans pédaler jusqu’à une vitesse de 20 km/h – ne pouvant être activée qu’après utilisation de la force musculaire. Elle en déduit que la victime n’était pas conductrice d’un véhicule automoteur, au sens de la loi belge, et qu’elle pouvait donc prétendre à une indemnisation en tant qu’« usager faible de la route », de même que l’assureur de l’employeur subrogé dans ses droits (pt 15).
L’assureur de la voiture forme un pourvoi en cassation, soutenant que « dès lors que l’article 1er de la loi du 21 novembre 1989 ne distingue pas entre les véhicules destinés à circuler sur le sol qui peuvent être actionnés exclusivement par une force mécanique et ceux qui peuvent être actionnés également par une force mécanique, seuls les véhicules actionnés exclusivement par la force musculaire sont exclus du champ d’application de cette loi » (pt 17). Autrement dit, là où la loi ne distingue pas, l’interprète ne doit pas distinguer (Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus).
La Cour de cassation de Belgique décide de poser une question préjudicielle à la CJUE, portant sur l’interprétation de l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité. L’objectif est de déterminer si la force mécanique requise pour caractériser un véhicule doit jouer un rôle exclusif dans l’actionnement de ce dernier.
Recevabilité de la demande
La recevabilité d’une telle demande est contestée par le gouvernement allemand, selon lequel le litige relèverait exclusivement du droit interne de la responsabilité. La CJUE rappelle en effet (pt 23) que seule l’obligation de couverture par l’assurance de la responsabilité civile des dommages causés aux tiers du fait des véhicules automoteurs est garantie par la réglementation de l’Union, l’étendue de l’indemnisation de ces dommages au titre de la responsabilité civile de l’assuré étant, quant à elle, régie, essentiellement par le droit national (CJUE 23 oct. 2012, Marques Almeida, aff. C-300/10 ; 30 mars 2023, AR e.a., aff. C-618/21, Dalloz actualité, 5 juin 2023, obs. V. Roulet, pt 42). Toutefois, elle souligne que lorsque, selon le droit d’un État membre, pour interpréter une disposition relevant d’un domaine non harmonisé il convient de se référer à une notion du droit de l’Union, il importe, pour éviter des divergences d’interprétation futures, que cette notion reçoive une interprétation uniforme (pt 26). La question porte justement ici sur l’interprétation de la notion de « véhicule » au sens de la directive 2009/103/CE, la Cour de cassation belge ayant précisé que la définition de la notion de « véhicules automoteurs » figurant dans la loi belge correspond à celle de « véhicule » de la directive. La demande est donc recevable.
Rejet de la qualification de véhicule, au sens de la directive 2009/103/CE
La CJUE opte résolument, en l’espèce, pour une interprétation téléologique de la directive, affirmant qu’« il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis » (pt 32). La Cour relève, d’abord, que l’économie générale de la directive 2009/103/CE concerne l’assurance automobile, « expression qui vise traditionnellement, dans le langage courant, l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation d’engins tels que les motocycles, les voitures et les camions qui, hormis les cas où ils sont hors d’usage, sont mus exclusivement au moyen d’une force mécanique » (pt 37). S’agissant des objectifs de la directive, la Cour précise, ensuite, qu’elle « vise à assurer la libre circulation tant des véhicules stationnant habituellement sur le territoire de l’Union que des personnes qui sont à leur bord et à garantir que les victimes des accidents causés par ces véhicules bénéficieront d’un traitement comparable, quel que soit l’endroit du territoire de l’Union où l’accident s’est produit » (pt 39). Or, les dommages susceptibles d’être causés par des engins qui ne sont pas actionnés exclusivement par une force mécanique et qui ne peuvent donc pas se déplacer sur le sol sans utilisation de la force musculaire, tels que le vélo à assistance électrique, sont bien moindre en termes de quantité et de gravité que ceux que peuvent causer les véhicules actionnés exclusivement par une force mécanique, ces derniers pouvant atteindre une vitesse sensiblement plus élevée (pt 40).
Dans son communiqué de presse n° 155-23 du 12 octobre 2023, la CJUE insiste ainsi sur le fait que l’objectif poursuivi par la directive n’impose pas que les vélos à assistance électrique relèvent de la notion de « véhicule », au sens de cette dernière. Une telle solution est conforme à la nouvelle définition du « véhicule » retenue par la directive (UE) 2021/2118 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2021, modifiant la directive 2009/103/CE, qui deviendra applicable à partir du 23 décembre 2023. Cette dernière précisera désormais qu’un « véhicule » est « tout véhicule automoteur actionné exclusivement par une force mécanique » (excluant par ailleurs expressément « les fauteuils roulants destinés aux personnes ayant un handicap physique » : art. 1er). Le plus faible risque de création de dommage est là encore mis en avant, ainsi que la volonté de ne pas décourager l’innovation (consid. 6). « Conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité » (consid. 6), les vélos à assistance électrique ne sont donc pas soumis à l’obligation d’assurance automobile par le droit de l’Union. Il convient cependant de bien distinguer ces vélos à simple assistance électrique (VAE) des speed-bikes, lesquels sont dotés d’un moteur électrique permettant de rouler sans aucune force musculaire. La puissance de ces véhicules est supérieure (plus de 250W) et leur vitesse peut excéder les 25 km/h pour atteindre 45 km/h. La souscription d’une assurance responsabilité civile est alors requise, comme pour les trottinettes électriques (T. Garandeau, Règlementation des engins de déplacement motorisés, JT 2020, n° 229, p. 36
), s’agissant de véhicules automoteurs actionnés exclusivement par une force mécanique.
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